Tous s’accorderont à reconnaître que la sainteté n’est pas l’affaire
de l’homme. Bien que tous soient par vocation destinés à la sainteté, bien que
l’on affirme la vocation universelle à la sainteté, force est de reconnaître qu’aux hommes, c’est impossible.
Les disciples « restèrent interdits à l'excès et se
disaient les uns aux autres : "Et qui peut être sauvé ?" Fixant
sur eux son regard, Jésus dit : "Pour les hommes, impossible" »
(Mc 10, 26-27)
Le salut, ce n’est pas pour nous. Nous ne sommes pas capables
de nous procurer le salut, nous ne sommes pas capables d’être saints, et tous
ceux qui promettent le grand soir, tous ceux que l’on tient pour des hommes
providentiels, ne sont que des imposteurs qui profitent de notre propre
esclavage. Nous voulons croire à la baguette magique, nous voulons croire à la
réussite. Jésus est on ne peut plus clair ; Pour les hommes, impossible.
Nous fêtons tous les saints de nos familles, nous canonisons
sans doute à bon compte ceux qui nous ont précédés. Plût à Dieu que l’Eglise
soit aussi généreuse dans la reconnaissance de la sainteté des vivants que dans
celle des morts ! S’ils sont saint ceux qui nous précèdent, que ne
reconnaît-on pas cette même sainteté à nous qui vivons bon an mal an la même
chose qu’eux, de l’échec de nos amours jusqu’au racisme ordinaire, de nos refus
de partager jusqu’à nos mesquineries narcissiques.
Socrate aimait aller aux enterrements. Ecoutez les éloges
funèbres, aujourd’hui comme hier : Tous ceux qui meurent sont les
meilleurs types du monde. On comprend que cela aille si mal s’il ne reste que
les plus mauvais. Il suffit que quelqu’un meure pour qu’il devienne excellent
homme ou femme d’exception. Nous fêtons tous les saints de nos familles, qui
pourtant, tout comme nous, ont été de piètres disciples, voire de fieffés
coquins quand ce n’est pas de bons ou moins bons païens ! Comment les
dire saints sans tomber dans le ridicule
déjà dénoncé par Socrate ?
Quelle image avons-nous de la sainteté pour ainsi la
conférer ou la reconnaître à ceux pour lesquels, dès demain, nous prierons, nos
défunts ?
La sainteté serait-elle l’indice d’une vie réussie malgré
tout, malgré les vicissitudes, nos petitesses, les aléas d’une existence
souvent mise en danger par le mal, celui dont nous sommes responsables, ou celui
que nous subissons, des autres ou des événements ? Réussir sa vie, dans la
foi – je n’ose même pas parler de la réussite scolaire ou professionnelle,
affective ou familiale ‑, ne signifierait que cela, parvenir à la
sainteté. Mais pour les hommes,
impossible. Pas plus de salut, de sainteté que de réussite. Impossible.
Nous sommes des hommes et des femmes cassés, du moins
partiellement. Où aller ? La
suite du Christ jusqu’au Golgotha est notre chemin. Nous n’allons pas au Mont
du Crâne, au calvaire, parce qu’il couronnerait le consentement à l’échec. Sous
prétexte que nous sommes les disciples de l’homme qui a échoué, Jésus, nous
devrions nous contenter de l’échec. Non. C’est une justification mortifère, une
complaisance dans le rebut et la dépréciation de soi, encore bien narcissique. N’importe
cependant pas davantage la réussite. Ainsi parle le Monde, et l’Eglise. Il
faudrait réussir sa vie. Non, tout cela est mondain, au plus mauvais sens du
terme.
Nous suivons la route du Golgotha ni par goût de l’échec, ni
par renoncement à la réussite. Nous prenons la route du Golgotha pour renvoyer
dos-à-dos, dans l’insignifiance, l’échec et la réussite. Nous prenons la route
du Golgotha parce que c’est la route de celui que nous aimons et voulons
suivre. Mieux, avec tant d’hommes et de femmes, d’enfants, nous sommes sur la
route du Golgotha. Pour nous comme pour tous ceux à qui la mort est promise,
sans rémission, dans les minutes qui viennent, à l’hôpital, dans les guerres, à
cause de la famine, il n’y a pas d’issue, mais le Mont du Crâne. Mais ce n’est
surtout pas le moment de changer de route, puisque le Christ nous y rejoint. Ne
désertons le lieu où il nous rejoint.
C’est là que résonne la Bonne Nouvelle de la vocation
universelle à la sainteté. Pour les
hommes, impossible ; mais non pour Dieu, car tout est possible pour Dieu.
Cette route qui grimpe sans issue, la nôtre, il l’a faite sienne pour que le
Golgotha soit un Sinaï, un Carmel, un Mont des Béatitudes !
Nous sommes heureux parce que dans l’évidence de l’impossibilité
pour les hommes, le possible de Dieu ouvre une brèche. Cela reste impossible
pour l’homme, à moins qu’il ne l’accueille. Et si nous fêtons tous les saints,
tous les hommes comme saints, c’est que nous célébrons la sanctification qu’ils
ont reçu et que nous recevons aussi de notre Dieu.
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