Quel rapport entre l’évangile de ce jour (Mc 10, 35-45) sur le pouvoir
et la mission ? Non seulement cela ne saute pas aux yeux, mais il n’y a
pas de raison pour qu’il en y ait. La lecture continue de l’évangile ne tient
nul compte de la semaine missionnaire mondiale.
Et pourtant, il n’y a pas besoin de réfléchir beaucoup pour
voir le rapport entre mission ou évangélisation et pouvoir, qui plus est au
moment ou l’on parle de nouvelle évangélisation. Il est par exemple évident qu’évangélisation
et colonisation sont liées. Certes, les raccourcis calomniateurs doivent être
rejetés car l’évangélisation n’a pas toujours soutenu les colons ni les colons
les missionnaires, et les Africains membres de notre communauté, ici, et ceux
que j’aime à Madagascar, et les très nombreux chrétiens des pays du Sud, sont
avec nous et comme nous, des chrétiens adultes, engagés dans la foi et la
mission, quoi qu’il en soit des enjeux géopolitiques ou culturelles.
Jusqu’à la déclaration sur la liberté de Vatican II, en
1965, la doctrine catholique énonçait que la vérité avait tous les droits et l’erreur
aucun. C’était la thèse qu’un évident pragmatisme obligeait de tempérer :
notamment dans les pays où elle ne pouvait pas compter sur l’appui du pouvoir
civil, l’Eglise catholique qui enseigne la vérité tolérait que l’on puisse ne
pas contraindre à la conversion. A bien des égards, l’Etat confessionnel et
catholique demeurait l’idéal, fût-ce comme en Espagne avec le national catholicisme.
Aujourd’hui on est au contraire choqué que la liberté religieuse ne soit pas reconnue, notamment par certains pays musulmans. Mais il n’est pas certain que le discours de l’Eglise ait substantiellement changé, nonobstant l’acceptation, bon an mal an, de la séparation des Eglises et des Etats. Assurément l’Eglise a un lien spécifique avec la vérité. Elle ne peut ni tromper ni se tromper lorsqu’elle annonce l’évangile de la vie, Jésus. C’est ce que l’on appelle l’infaillibilité. Mais cela ne signifie pas qu’elle ne se trompe pas, qu’elle n’ait jamais fait d’erreur ni n’en fasse pas aujourd’hui.
Sans compter que l’on peut avoir tort dans sa manière d’avoir raison. « Du point de vue chrétien, la conscience du caractère exorbitant de la conviction que Jésus-Christ est l'unique Médiateur et Sauveur de toute l'humanité doit nous rendre particulièrement humble et modeste. N'oublions jamais que nous pouvons avoir tort dans notre manière même de prétendre avoir raison. » (B. Sesboüé, Hors de l’Eglise point de salut, p. 301)
Aujourd’hui on est au contraire choqué que la liberté religieuse ne soit pas reconnue, notamment par certains pays musulmans. Mais il n’est pas certain que le discours de l’Eglise ait substantiellement changé, nonobstant l’acceptation, bon an mal an, de la séparation des Eglises et des Etats. Assurément l’Eglise a un lien spécifique avec la vérité. Elle ne peut ni tromper ni se tromper lorsqu’elle annonce l’évangile de la vie, Jésus. C’est ce que l’on appelle l’infaillibilité. Mais cela ne signifie pas qu’elle ne se trompe pas, qu’elle n’ait jamais fait d’erreur ni n’en fasse pas aujourd’hui.
Sans compter que l’on peut avoir tort dans sa manière d’avoir raison. « Du point de vue chrétien, la conscience du caractère exorbitant de la conviction que Jésus-Christ est l'unique Médiateur et Sauveur de toute l'humanité doit nous rendre particulièrement humble et modeste. N'oublions jamais que nous pouvons avoir tort dans notre manière même de prétendre avoir raison. » (B. Sesboüé, Hors de l’Eglise point de salut, p. 301)
La mission, ici dans nos pays anciennement chrétiens comme
dans les pays d’évangélisation encore récente, requiert évidemment que nous
continuions à confesser la vérité de Jésus pour la vie de tout l’homme et de tous les hommes. Mais elle requiert tout
autant d’être requalifiée. Parler de nouvelle évangélisation c’est précisément
recadrer l’attitude missionnaire, c’est engager une conversion de l’évangélisateur,
et sûrement pas dénoncer « le tsunami de la sécularisation » et un monde
qui se ferme à la vérité. Parler de nouvelle évangélisation c’est tenter de n’avoir
pas tort dans notre manière d’avoir raison.
Notre Eglise est encore mondaine lorsqu’elle veut imposer la
vérité et combattre l’erreur. Si elle veut défendre la vérité, elle ne peut qu’en
être esclave. L’esclavage ne confère aucun pouvoir, ne nous payons pas de mot. De
surcroît, il ne s’agit pas d’une stratégie pour faire oublier les ignominies de
l’Eglise et notamment de certains de ses ministres. Il s’agit uniquement d’être
un tantinet converti soi-même pour inviter les autres à la conversion.
« Ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes
commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous,
il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre
serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous. »
Parmi vous, il ne doit
pas en être ainsi. Ce n’est pas si souvent que les propos de Jésus sont ainsi
péremptoires. Annoncer l’évangile, partir en mission, être missionnaire, être
catéchistes, animateurs d’aumônerie, prêtres ou que sais-je, oblige à inventer
d’autres manières que celles qui nous viennent spontanément à l’esprit, celles
de l’efficacité, de l’influence, du lobbying, bref les manières des puissants
de ce monde.
Que veut dire être l’esclave
de tous ? Cela passe sans doute par la charité et le secours auprès de
tous ceux qui en ont besoin. Mais cela signifie aussi un rapport original,
peut-être nouveau à la vérité, de la nouveauté même de l’évangile, de la bonne
nouvelle. Nous ne sommes pas attachés à Jésus comme les tenants d’une doctrine,
d’une idéologie. Nous tenons à Jésus qui s’est fait serviteur, esclave. « Le
fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir » Sa
mission n’a jamais eu recours à une quelconque autorité si ce n’est celle de l’amour,
si ce n’est celle qui refuse qu’on le fasse roi.
N’importe pas en effet de réussir sa vie, expression des
gens de ce monde et des puissants. Que veut dire d’ailleurs dire réussir sa vie
quand on n’a rien pour vivre, quand on est promis à une mort prochaine, quand
celui que l’on aimait nous a quittés ? Il faut avoir suffisamment d’argent
pour dire que l’argent ne fait pas le bonheur, suffisamment de santé pour penser
que le bonheur est ailleurs ! Qu’est-ce que réussir sa vie à Madagascar
quand on appartient au 90% de la population qui vit avec moins d’un euro par
jour et dont la moyenne d’âge est de moins de quinze ans, que le pays s’enfonce
dans la corruption et l’insécurité ?
Annoncer l’évangile, être missionnaire, c’est renoncer à
tout cela, même à ce que nous pouvons légitiment trouver de meilleur pour
réussir sa vie S’il ne s’agissait que d’abandonner ce qui est le pire, « les
païens n’en font-ils pas autant ? » La mission c’est la fidélité à
Jésus et la proposition de la foi, quoi qu’il arrive, sans autre attente de résultat
que d’avoir aimé ce monde à l’image de Jésus.
Seigneur, nous te prions pour le synode sur la nouvelle
évangélisation qui entame sa dernière semaine de travail. Que les évêques et le
Pape, tout comme nous, entendent la parole de Jésus : « Ceux que l'on
regarde comme chefs commandent en maîtres ; parmi vous, il ne doit pas en être
ainsi. »
Seigneur, nous te prions pour nos communautés chrétiennes
qui ont l’impression de manquer de prêtres. Qu’elles sachent se remettre en
question et changer leurs habitudes. Qu’elles mesurent combien elles sont
encore riches en comparaison avec presque toutes les autres Eglises. Qu’elles
soient accueillantes aux ministres qui leurs sont envoyés pour que d’autres
acceptent à leur tour de se mettre à leur service.
Seigneur, nous te prions pour les Eglises du Sud, en
particulier dans les pays qui n’en finissent pas de chercher la paix. Que la
présence des chrétiens, esclaves de leurs frères au nom du Christ, soit un
ferment de justice.
Seigneur, nous te prions pour le monde qui ne connaît pas
Dieu, pour tous ceux pour qui le mot Dieu signifie l’aliénation et l’oppression.
Que notre vie les aide à découvrir le visage de ton Fils, esclave au service de
tous, témoin de ton amour infini.
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