Avec la foi chrétienne, c’est le monde à l’envers. Il y a
d’abord la mort, et après la vie. Il y a la croix puis la résurrection. Il y a
les cendres puis le feu pascal. On n’a jamais vu un feu jaillir des cendres. Et
pourtant.
Il y a la mort puis la naissance. On meurt avant que de
naître. Jésus meurt avant que de naître. La Pâque est la clé de lecture de
Noël. La conversion évangélique nous conduit d’abord au Golgotha. C’est du mont
du Crâne qu’on rallie Bethléem.
Que cela soit surprenant ne suffit pas à ce que l’on se détourne. Au contraire, la surprise interroge. Que dites-vous ? Il est
mort avant que de naître ? Et c’est ainsi que les chrétiens ont célébré la
Pâque dès la mort et la résurrection de Jésus. Ils n’ont célébré sa naissance
qu’à partir du 4ème siècle. Et c’est ainsi que parle l’évangile de
Jean, qui fait annoncer par la prédication du Baptiste, homme adulte à la
veille de son martyre, la naissance de Jésus : « Cet homme n’était
pas la lumière, mais il était là pour lui rendre témoignage. […] Et le Verbe
s'est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. »
Non seulement il n’y avait pas de reporters avec les
télévisions du monde entier pour couvrir la naissance de Jésus, mais l’on ne
sait jamais à la naissance d’un enfant quelle sera sa destinée. A par dans les
familles princières, comme on l’a vu récemment avec le royal baby, jamais une
naissance n’a donné lieu et ne donne lieu à déploiement d’information. Or ce
qui rend Jésus célèbre, digne que l’on raconte sa naissance, c’est sa vie tout
entière, son ministère en particulier, récapitulé dans la Pâque, mort et
résurrection. Comment pourrait-on venir à Bethléem autrement qu’en partant du
Golgotha et du tombeau vide ?
Cela explique sans doute une mention de l’évangile de Luc, qui
trouve comme un parallèle dans celui de Jean : « Il n’y avait pas de
place pour eux dans la salle commune. » « Il est venu chez les siens
et les siens ne l’ont pas reçu. »
Pourquoi donc personne ne reçoit Marie, Joseph et l’enfant ?
Pourquoi les hommes n’accueillent pas la lumière venue dans le monde ?
Faut-il penser que l’égoïsme et le péché endurcissent à ce point le cœur de l’homme
qu’il ne se trouve personne pour recevoir Jésus ? Certes, nous laissons
les réfugiés sans hébergement, à Lampedusa ou dans les rues de nos cités, mais
il y a toujours quelques uns d’entre nous pour se dévouer à leur service, pour
crier la honte d’une humanité inhumaine.
Je ne peux croire qu’il n’y eut personne pour accueilli une
femme enceinte, qu’il n’y a personne pour accueillir la lumière. Et l’évangile
de Jean parle de « tous ceux qui l'ont reçu, ceux qui croient en son nom »
à qui il « a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu »
S’il n’y a pas de place pour eux dans la salle commune, c’est
que Jésus n’a pas sa place dans une auberge, lui que le ciel et la terre ne
peuvent contenir, lui qui fait du cœur de l’homme sa demeure. La non réception
de l’enfant et du Verbe Fils, avant d’être une affaire de cœurs durs et fermés,
est une confession de foi. Qui est l’enfant qui n’a pas sa place où les enfants
ont la leur ? Qui est ce Verbe Fils qui ne peut être reçu ?
Et c’est là qu’il faut aller au Mont du Crâne, au pied de la
croix ou devant le tombeau vide. Parce qu'ici, et ici seulement, est engendré le premier né
d’entre les morts : « tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré »
(Ac 13,33, He 5,5). L’engendrement du Fils n’est pas une affaire de crèche,
mais de résurrection, c’est-à-dire de mort. Il est le premier né d’entre les
morts et sa naissance a lieu au tombeau. Le sein de Marie est prophétie du
tombeau vide, sa délivrance est écrite, après coup, comme annonce du tombeau
vide.
C’est que même l’accueil du Verbe Fils par les hommes ne
peut être que l’œuvre de la grâce, du don de Dieu, de Dieu même qui se donne,
se livre. Comment les hommes, sans même parler de leur inhumanité, de leur
bestialité, pourraient-ils accueillir leur Dieu si ce Dieu ne leur en donnait
la possibilité ? Et comment leur en donnerait-il la possibilité sans que Jésus
ne soit né d’entre les morts pour ouvrir dans la mort le passage définitif de
la vie, pour ouvrir dans la création, la réalisation d’une promesse trop
longtemps différée ? « Il leur a donné de pouvoir devenir enfants de
Dieu. ». Son engendrement pascal ouvre notre naissance à la vie divine. Enfin,
à la croix et dans le vide du tombeau, la divinité devenait effectivement la
vocation des hommes.
C’est exactement ce que nous célébrons aujourd’hui : Prenant chair de notre chair, il donne à la chair humaine sa divinité en partage. L’Emmanuel, le Dieu avec nous, contamine par sa présence tous ceux qu’il rejoint. Ainsi notre vocation est sa divinité puisqu’en naissant, il avait fait sienne notre vie.
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