20/11/2016

« La confiance et la foi font le Dieu ou l'idole. »

Colloque RSR, Paris, Célébration du 18 11 16

Lectures : Ph 1, 26 - 2, 13
Martin Luther, Grand catéchisme :
« Tu n’auras pas d’autres dieux. »
Cela veut dire : c’est moi seul que tu considèreras comme ton Dieu. Qu’est-ce que cela signifie et comment faut-il le comprendre ? Qu’est-ce qu’avoir un dieu ou qu’est-ce que Dieu ? Réponse : Un Dieu, c’est ce dont on doit attendre tous les biens et en quoi on doit avoir son refuge en toutes détresses. De telle sorte qu’avoir un dieu n’est autre chose que croire en lui de tout son cœur et, de tout son cœur, mettre en lui sa confiance. Comme je l’ai dit souvent, la confiance et la foi du cœur font et le dieu et l’idole. Si la foi et la confiance sont justes et vraies, ton Dieu, lui aussi, est vrai, et inversement, là où cette confiance est fausse et injuste, là non plus n’est pas le vrai Dieu. Car foi et dieu sont inséparables. Ce à qui (dis-je) tu attaches ton cœur et tu te fies est, proprement, ton Dieu.
Voici donc le sens de ce commandement : il exige la vraie foi et la confiance du cœur, qui aille au seul vrai Dieu et reste attachée à lui seul. Et c’est comme s’il disait : « Veille à ceci et fais que, moi seul, je sois ton Dieu, et n’en cherche jamais un autre. Ce qui veut dire : les biens qui te manquent, attends-les de moi, et cherche-les auprès de moi. Et si tu souffres malheur et détresse, blottis-toi et reste auprès de moi. C’est MOI, c’est moi qui te donnerai en suffisance et qui te tirerai de toute détresse. Fais que ton cœur ne reste attaché et ne repose auprès d’aucun autre. » […]
Ce commandement exige […] le cœur entier de l’homme, et que toute confiance soit placée en Dieu seul et en nul autre. Quant à « avoir Dieu », tu peux bien déduire qu’on ne peut le toucher ou le saisir avec les doigts, ni le mettre dans une bourde ou l’enfermer dans une boîte. Mais voici comment on le saisit ; quand le cœur s’empare de lui et est attaché à lui. Or, être attaché à lui par le cœur, ce n’est pas autre chose que se confier entièrement en lui. C’est pourquoi il veut nous détourner de tout ce qui est en dehors de lui et nous attire à lui parce qu’il est le bien unique et éternel. C’est comme s’il dit : « Ce que tu as cherché auparavant auprès des saints, ou la confiance que tu as mise en Mammon et ailleurs, attends tout cela de moi, et considère-moi comme celui qui t’aidera et que te comblera à profusion de tous bienfaits. »
Tu le vois, tu as maintenant ce que sont la vraie manière d’honorer Dieu et le culte qui lui est agréable […] à savoir que le cœur ne connaisse nulle autre consolation ni confiance qu’en lui.

Confesser Dieu ne réside pas dans l’affirmation de son existence mais dans la confiance qu’on met en lui parce qu’on en reçoit de lui la possibilité. Non pas Credo Deum esse ou credo in uno Deo mais Credo in unum Deum. Confesser Dieu est affaire d’alliance. Il est le Dieu pour nous ; pour nous les hommes et pour notre salut. « Foi et Dieu sont inséparables. » Et les chrétiens, prémisses de l’humanité nouvelles, sont frères ou amis, épouse pourquoi pas, enfants de l’unique Père.
En dehors de l’alliance, l’idole est là, sous la main ou comme dit le psaume, ouvrage de mains humaines ; elle est production de l’imagination, des sentiments ou de la raison, œuvre, qui se hasarde vainement et coupablement à saisir ou arraisonner Dieu. En dehors d’une rencontre où les hommes, personnes et communauté, sont rejoints par Dieu, le discours sur Dieu, même le plus subtil et maîtrisé, est mépris sacrilège de Dieu. « La confiance et la foi du cœur font le Dieu ou l’idole. » Si dire Dieu n’est pas réponse, on s’égare.
La théologie elle aussi, comme expression de la foi, avant d’être discours sur Dieu, est pratique de l’alliance, pratique de la foi ; elle est théologale. La théologie est culte coram Deo.
Que faisons-nous alors à prier maintenant si déjà nos travaux sont pratique de la foi ? Les quelques lignes de Martin Luther qui viennent de nous être proposées et que j’ai déjà cité par deux fois, avec leur dizaine d’occurrences du mot cœur, pourraient nous faire penser que nous entrerions maintenant seulement devant Dieu. Mais ce serait faire fausse piste. Notre intelligence ne serait pas elle-même si elle n’était cordiale. La prière ne serait pas humaine si elle n’était un culte raisonnable, logikè latreria. (Il importe qu’elle ne soit pas non plus une œuvre, travaux forcés, mais la gratuité tentée et offerte pour répondre à la gratuité pure et sans limite de celui qui s’offre depuis les origines.)
Moment du face à face, du cœur à cœur, du bouche-à-bouche même. Sensuum defectus ! Intelectus defectus ! Qu’est-ce qu’aimer Dieu ? Qu’est-ce qu’aimer Jésus ? Nous connaissons la déclinaison de la question par Augustin : Qu’est-ce que j’aime quand j’aime mon Dieu ? Elle demeure sans réponse. Ou plutôt, le texte d’Augustin se fait prière. Car aimer Jésus, c’est répondre, encore, à celui qui nous déclare ses amis, ses frères. Peut-on en dire plus ? Ici la nuit des sens et du sens nous garde de ne pas faire de la déclaration d’amitié et de fraternité une mythologie de plus.
Sommes-nous au bout ? Non, pas encore. Car entre le Charybde de l’au-delà des sens et du sens et le Sylla du mythe, nous serions condamnés à l’irrationnel, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’accorde pas avec le culte selon le Logos, logiké latreria.
Confesser Dieu tel que Jésus nous le fait connaître, comme à des amis, faisant de nous ses frères, c’est reconnaître comme seul chemin possible d’une humanité comme fraternité celui du serviteur, la morphè doulou. Le projet est social, pour ceux qui parlent latin, politique, pour ceux qui parlent grec. Articulus standis vel cadentis de la foi, de la confession de foi y compris comme théologie, de la prière, de la possibilité même du divin.
Le service de l’humanité pour qu’elle vive est le lieu de la nomination de Dieu. On trouverait cela chez Ricœur. C’est l’extrême de la charité qui se déprend d’elle-même, comme bonne conscience, bons sentiments, prétendue gratuité, ce que les synoptiques décrivent par l’attitude des pharisiens. L’extrême de cet esclavage (on hésite à parler ainsi et préfère garder sans la traduire la morphè doulou), eis telon, rend la suite de Jésus extrémiste. Au service de l’humanité, eis telon, esclave, au moment même où Jésus nous appelle ses amis, parce que, dit-il, nous ne sommes plus ses serviteurs, doulos.
« Savez-vous ce qu'est être vraiment spirituels ? Se faire l'esclave de Dieu - marqués de son empreinte qui est celle de la croix, parce que déjà ils lui ont donné leur liberté - afin qu'il puisse nous vendre comme les esclaves de tout le monde, ainsi qu'il l'a été lui-même. » (Thérèse de Jésus, Demeures VII, 4, 8)
Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ. » Il ne s’agit pas d’un conseil moral de Paul, mais de la vérité tant de la confession de foi et de la théologie que de la prière.
« Tu le vois, dit Luther, dont je détourne un peu le propos, tu as maintenant ce que sont la vraie manière d’honorer Dieu et le culte qui lui est agréable. »

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