Le Christ, roi de l’univers. Quel est l’évangile qui vient
asseoir pour nous semblable confession de foi ? La mort en croix de Jésus
(Lc 23, 35-43). De quel royaume s’agit-il si l’intronisation est mise à mort,
crucifixion ? Nous rendons-nous bien compte de ce que nous
affirmons ?
Si projet politique il y a dans l’affirmation du Christ, roi
de l’univers – et il y a effectivement un projet politique dans la confession
de foi chrétienne – il ne relève pas d’une prise de pouvoir, de la
promotion d’un type de régime politique, de la nomination d’un gouvernement qui
installerait une société ou une civilisation chrétienne. Il ne s’agit pas de
promouvoir une société et une civilisation qui laisseraient structurellement
une place pour Dieu, une obligation légale du divin, qui fonderait ainsi
l’ordre, la vérité, la morale.
Mais qui d’entre nous cherche véritablement un tel projet
politique ? Bien sûr, alors que s’effondre le consensus sur lequel nos
démocraties s’édifient, nous prenons conscience de la nécessité de faire
quelque chose. Mais nous ne pourrons pas revenir à un récit commun, dans un
monde définitivement pluraliste et interdépendant, sauf à recourir à la
violence et à la tyrannie. C’est pourtant la démarche des populismes qui érige
la chimère d’un unanimisme, non seulement comme voie royale, mais comme les
avenues brunes où défileront les bottes fascistes. Le populisme, pour aller à
l’unanimisme, qu’il appelle l’identité nôtre, recourt à l’exclusion de ceux qui
n’en sont pas. Il n’y a pas d’unanimité lorsque l’on commence par exclure.
La bénédiction de Babel nous a appris cela. Parler une seule
langue, c’est comme ne voir aucune oreille dépasser. Nous devons bâtir un monde
où les différences non seulement coexistent mais trouvent place dans le débat
social.
Que reste-t-il comme projet ou moteur pour notre
monde ? Le capitalisme, l’argent pourraient-il être fédérateurs ?
Ne sont-ils pas le ressort de la construction européenne, sous
couvert d’un projet de paix ? Le problème avec l’argent, qui, de fait,
fait courir tant de monde au point de pouvoir être un principe unificateur, est
qu’il augmente les inégalités ‑ du moins est-ce ce que nous voyons ‑,
rate la possibilité de construire l’unité de l’humanité et de fonder un projet
pour vivre ensemble.
Que reste-t-il comme projet ou moteur pour notre
monde ? Ne pourrons-nous que foncer dans la guerre planétaire dont les
replis nationalistes qui se multiplient semblent être les augures ? L’évangile
a-t-il quelque chose à dire, non seulement à ceux qui sont rassemblés en son
nom, mais à tout homme, par l’entremise de ses disciples, pour construire ce
monde ? Ne serait-ce pas cela le Royaume des cieux, ce que l’évangile a à
dire à l’homme hier comme aujourd’hui et demain, pour vivre en frères ?
L’évangile renverse tout. L’unanimité qui fondera un royaume
de paix n’est pas d’affirmations, fût-ce de valeurs, et les meilleures,
l’amour, le pardon, l’hospitalité, ce qui est déjà énorme. L’unité est de
retrait. Jésus est retiré du monde comme un criminel. C’est sur la croix qu’il
parle du Royaume à celui qui meurt avec lui. Et, ajoute Jean, la vie de Jésus ne
lui est pas seulement prise, mais c’est lui qui la donne.
Si la croix est intronisation du prince du Royaume des
cieux, c’est effectivement le renversement de toutes les valeurs. Le serviteur
est la figure maîtresse ‑ étrange oxymore ‑ de celui qui règne en
servant, de celui qui n’est au centre qu’à rejoindre et habiter les marges. Le
serviteur, l’esclave disent l’évangile et Paul, en sa forme extrême, jusqu’au
bout du don de soi, jusqu’au bout du service. N’est-ce pas seulement le service
‑ être otage d’autrui dirait Levinas ‑, qui permet à l’évangile de
féconder ce monde en vue de la fraternité, de ce que nous appelons le Royaume
des cieux.
Visconti, dans les Damnés,
que la Comédie Française met en scène depuis juillet dernier, laisse planer sur
nos sociétés l’ombre des fascismes. Les inégalités sont le terreau du
renversement des démocraties ; le terrorisme actuel les fragilise sur un
autre front. L’issue catastrophique n’est-elle qu’une manière de s’amuser à se
faire peur ? Quel monde laissons-nous à nos enfants ?
Choisir le chemin du serviteur, je le sais, n’est guère
enthousiasmant. Mais si c’était le seul pour la survie de l’humanité, pour la
possibilité de transmettre la paix à nos enfants, n’est-il pas que temps de
suivre le Christ, roi de l’univers qui règne en servant ?
Difficile à comprendre la tournure des phrases!!!
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