Il y a dans l’Eglise une profonde tendance à la nouveauté,
malgré les apparences. On ne cesse de vouloir réformer et dans le même temps,
on se fait conservateur, défenseur d’un ordre ancien. Si cette contradiction
mérite d’être mise en évidence, si elle manifeste une sorte de schizophrénie à
laquelle il faudrait tout de même consacrer un peu de réflexion et de soin,
elle révèle peut-être aussi l’être de l’Eglise. Ce que l’on appelle tradition n’oblige-t-il
pas à conserver le patrimoine des siècles passés dans le monde toujours nouveau
de demain ?
Ainsi, à toutes les époques se sont levés des réformateurs,
fondateurs, personnes charismatiques, mus par l’urgence d’une mission repérée
et reçue au nom de l’évangile. La vision de saint François d’Assise a san
Damiano en est un exemple des plus typiques. Il entend Jésus lui commander de rebâtir
sa maison en ruine. Et si François restaure saint Damien, l’église qu’il faut
rebâtir parce qu’elle est en ruine, c’est l’institution ecclésiale. Le charisme de François, comme de tant d’autres
chrétiens fondateurs, le conduit à s’agréger des disciples, à fonder une
nouvelle communauté. La nouveauté est souvent retour à la tradition.
La nouveauté réinterprète l’histoire ; pour François
comme fraternité que la pauvreté oblige à pratiquer. Les résistances sont
grandes parce que la nouveauté est critique des contemporains qui s’enlisent
dans la médiocrité d’une vie chrétienne qui ne se laisse pas convertir. Chacun
défend ses plates-bandes sur lesquelles viennent forcément marcher ceux qui
installent ce qui apparaît comme de nouveaux prés-carré. Dans le même temps,
critiques des institutions, les communautés nouvelles recherchent l’appui des
autorités, ne serait-ce que pour pouvoir exister.
Aujourd’hui encore, des communautés nouvelles voient le
jour. Et le XXème siècle fut particulièrement fécond. On pourra penser que,
alors que l’on pleure l’effacement du christianisme au moins en Europe, l’Eglise
ne cesse de se renouveler. On pourra souligner que l’institution n’a jamais été
aussi malade pour qu’il y ait tant d’initiatives de renouvellement. Peut-être, une
plus grande « démocratisation » de la vie chrétienne multiplie-t-elle
les possibilités de s’emparer de façon originale de la tradition chrétienne
pour la faire briller encore autrement dans le monde d’aujourd’hui. Mais on
pourra aussi s’empêcher d’être étonné du nombre de ces communautés qui, avec
quelques décennies de recul, reposent sur un fondateur crapuleux. On ne va pas
faire la liste quasi infinie des fondateurs aux mœurs corrompues, Légionnaires
du Christ, Béatitudes, Frères de saint Jean, Point-cœur…
Il est de bon ton de fustiger les soi-disant abus postconciliaires,
soixante-huitards, mais l’on oublie un peu vite – on les tait même ‑ les
dérives sectaires, le goût de l’argent et du luxe ainsi que les agressions
sexuelles dans des mouvements se présentant plus ou moins explicitement sauveurs
de l’Eglise après ces prétendus abus.
Dans ce contexte, la parole de Jésus revêt une actualité
troublante : « « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car
beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ‘C’est moi’, ou encore :
‘Le moment est tout proche’. Ne marchez pas derrière eux ! »
Les brigands dissimulent leurs basses œuvres et quoi de
mieux que l’évangile comme preuve non seulement de bonne foi, mais de sainteté ?
Rares sont les salauds qui revendiquent d’êtres pervers et bourreaux. Le monde
est en situation apocalyptique, comme le laisse entendre le style de l’évangile (Lc 21, 5-19)
parce que la lutte contre le mal est de chaque instant, y compris au cœur de ce
qui peut légitimement paraître le meilleur, la religion, l’Eglise.
La difficulté est redoublée par le fait que l’on risque de confondre
l’ivraie et le bon grain tant que le temps de la moisson n’est pas venu ? Comment
discerner s’il faut suivre ou non les prophètes du renouveau ?
Pour nous autres disciples de Jésus, rien ne peut prétendre
prendre la place du Christ dans nos vies, nos sociétés, nos Eglises. On ne
courra pas derrière les discours de salut, les populismes qui prétendent avoir la solution politique ou ecclésiale. Si sainteté
il y a, elle ne se mesure pas aux foules qui la soutiennent mais au nombre de
pauvres à qui la dignité volée aura été rendue. Ce que l’on fait, ou non, aux
plus petits qui sont les siens, c’est à lui qu’on le fait. Il est de notre
devoir de garder la tête froide. L’homme ou la femme providentiel, dans nos
vies, nos sociétés, nos Eglises, n’existent pas. Ce rêve est infantile,
archaïque, régressif.
Les disciples de Jésus seront toujours critiques de tout
système parce que nous savons que la vie n’est pas un système mais la suite du
Christ, c’est-à-dire le service de la fraternité des enfants d’un unique Dieu
et père. Nous serons critiques, dans nos vies, nos sociétés, nos Eglises. Cela
ne pourra pas ne pas nous coûter cher, le discrédit, la médisance et les
persécutions. La critique empêche les basses œuvres ou du moins tâche de s’en
déprendre. Si l’on vous dit, il est ici, il est là, n’y allez pas !
« On portera la main sur vous et l’on vous
persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera
comparaître devant des rois et des gouverneurs, […] Vous serez livrés même par
vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort
certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. »
Bonsoir,
RépondreSupprimersur le site "François d'Assise", d'une paroisse canadienne, je crois, je trouve des commentaires savoureux : c'est à dire que c'est un gars qui pense un peu comme moi, sinon je ne le trouverais pas intelligent ! J'ai trouvé ceci tout à l'heure, qui m'a beaucoup réjouis, car c'est une de mes idées fixes, mais qui ne plaît à personne dans notre belle Eglise : "Le christianisme n’a absolument rien à faire avec une morale. L’enseignement de Jésus renverse les idées reçues." Ca me fait du bien de trouver quelqu'un d'autre que moi pour le dire ! Bien sûr il faut mettre un peu de prudence dans le propos, mais vraiment, ça nous libérerait de considérer la place seconde de la morale dans l'Eglise.
Bonne soirée.
Je signe : "Il est de bon ton de fustiger les soi-disant abus postconciliaires, soixante-huitards, mais l’on oublie un peu vite – on les tait même ‑ les dérives sectaires, le goût de l’argent et du luxe ainsi que les agressions sexuelles dans des mouvements se présentant plus ou moins explicitement sauveurs de l’Eglise après ces prétendus abus ... L’homme ou la femme providentiel, dans nos vies, nos sociétés, nos Eglises, n’existent pas. Ce rêve est infantile, archaïque, régressif."
RépondreSupprimerEt je poursuis en affirmant que l'idole Wojtyla, alias Saint JP II, fut le champion toutes catégories du soutien à l'Opus Dei rémunérateur ainsi qu'aux "mamours charismatiques" (expression de l'excellent François Cassingena-Trévedy).
Une solution peut-être pour la sainte Eglise catholique romaine ? Ne pas la laisser aux mains des seuls mâles dominants, des veuves ou des vierges consacrées, ne pas sacraliser les prêtres, en faire des ministres non mis à part (c'est-à-dire des serviteurs banals et des servantes normales), ne pas admettre au ministère presbytéral des personnes en recherche de sécurité, de pouvoir ou de promotion sociale.
On pourrait aussi prendre au sérieux le "et exaltavit humiles", entendre les pitoyables sans grade, jeter aux orties bon nombre de dogmes et d'idoles, s'attacher au message de l'Homme de Galilée. Bref, faire en sorte que je me convertisse !