Les évangiles de Matthieu, Marc et Luc consacrent leurs
derniers chapitres aux récits d’apparition du ressuscité et à la passion de
Jésus. La mort et la résurrection occupent trois chapitres, respectivement sur
vingt-huit, vingt-quatre ou seize. Chez Jean, ce sont neuf chapitres sur vingt
et un qui sont consacrés à la mort et la résurrection de Jésus.
A partir du chapitre 13, l’heure
est venue pour Jésus de passer de ce monde à son Père. C’est l’heure de la
Pâque. Les douze premiers chapitres annoncent cette heure imminente. Ils sont
structurés autour de six épisodes qui se répondent deux à deux, par
amplification : les noces de Cana où l’eau est changée en vin pour
quelques uns et la multiplication des pains pour une foule nombreuse ; un
enfant est guéri puis un aveugle depuis sa naissance. Un homme paralysé depuis
trente-huit ans, presque toute une vie, est remis sur pied, puis un mort,
revient à la vie. C’est ce que nous venons d’entendre (Jn 11).
Les six épisodes fournissent une liste non exhaustive, mais
déjà assez fournie du mal en sa banal diversité : Boisson et nourriture,
signes de l’alliance et moyens de subsistance, comme expérience du manque qui
gâche la fête et de la faim qui tenaille les entrailles jusqu’à en mourir ;
enfance meurtrie par la maladie jusqu’à la mort, vie détruite depuis l’enfance,
au royaume des ténèbres, qui se voit contrainte à mendier, lâcheté et
accusation des concitoyens ou coreligionnaires ; vie condamnée par la
maladie, le handicap, la dépendance, loterie qui laisse sur le bord du chemin
ou d’une piscine ceux qui n’ont pas tiré le bon numéro ; mort et tous, surtout
les amis et les sœurs, et même Jésus sont effondrés. Rodent là-dessous le péché
et le mal. Depuis le début, on cherche à faire mourir Jésus.
Est-on au bout de l’horreur ? Evidemment non ! La
haine se déchaîne contre le juste, hier et aujourd’hui encore. Celui qui est
chemin, vérité et vie, est jugé, condamné ; le cul-de-sac de la violence,
du mensonge et de la mort semble ne jamais devoir se refermer, semble prendre
au piège d’un mal sans retour toujours plus de monde, nous, nous aussi. Sera-t-on
au bout de l’horreur ? Evidemment non ! Même avec et après la résurrection
de Jésus, le mal des catastrophes naturelles, le mal de notre péché, le mal de
la mort continuent de nous atteindre.
L’évangile de Jean est un long procès contre le mal, depuis
les premières lignes : Il est venu
chez les siens et les siens ne l’on pas reconnu. Ils l’ont même chassé,
nous le chassons. Et le combat, l’agonie comme on dit en grec, dure toute la
vie. La vie résiste… et sombre. La vie résiste, sombre et… se relève. Ainsi l’évangile
de Jean annonce la mort de Jésus comme une ascension et la résurrection de tous :
quand j’aurai été élevé de terre,
j’attirerai à moi tous les hommes. La mort de Jésus est une
pentecôte : Inclinant la tête, il
transmit l’Esprit.
Il s’agit alors de laisser des signes ‑ six, quasi une
totalité ‑, d’indiquer que l’horreur au bout de laquelle on n’en finit pas
d’arriver n’est pas le dernier mot. La mort est plutôt le premier mot !
Aveugles-nés, mort-nés, ainsi sommes-nous. Nous avons commencé le carême avec
des cendres dont jaillira un feu. C’est le monde à l’envers ou remis à
l’endroit. Nous sommes dans la mort et la vie est devant. Nous sommes d’abord
vieux, nés vieux et devons revêtir l’homme nouveau. C’est ce que nous venons
d’entendre avec Lazare : la mort est avant. Après, quand l’heure est
venue, et elle vient, après, c’est la vie.
Est-on au bout de l’horreur ? C’est possible. La
résurrection de Lazare, pour incroyable qu’elle soit, fait signe vers la vie.
Nous permettra-t-elle de ne pas désespérer de la mort de Jésus et d’espérer un
passage ? Sera-t-on au bout de l’horreur ? C’est possible ! La
résurrection de Lazare nous invite à faire de notre mort, aujourd’hui, les
cendres d’un feu nouveau, à faire de l’horreur du mal et de la mort le lieu de
notre engagement pour la vie.
Rejeter le mal en nous et autour de nous autant que nous en
avons la possibilité, luter contre les injustices qui tuent, les haines qui
massacrent, les inégalités qui réduisent à l’insignifiance. C’est déjà en notre
pouvoir. Et nous ne sommes pas seuls, mais une communauté entière, les hommes
et les femmes de bonne volonté, ou aux moins les chrétiens, ou au moins les
catholiques, ou au moins notre communauté… ça fait du monde.
Et si dans cette lutte ce n’est pas nous qui nous battons
pour la vie mais le vivant lui-même, la résurrection de Lazare n’a plus rien
d’un truc incroyable. Ce n’est qu’un signe, bien discret, presque insignifiant,
que nous sommes non seulement au bout de l’horreur mais au début de la vie, au
début d’un monde nouveau.
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