« Donne-moi de cette eau. » La femme fait fausse
route. L’eau dont parle Jésus n’est pas celle qui lui permettrait, magiquement,
de ne plus venir jour après jour puiser, de ne plus se coltiner la corvée
quotidienne de porter les seaux lourds jusque chez elle. La femme de Samarie
fait fausse route ‑ le quiproquo est chose commune chez Jean ‑ mais
elle est en route, elle demande, elle s’adresse, elle prie et supplie, elle
s’en remet, fait confiance, croit. « Donne-moi de cette eau. » C’est
presque la prière de Jésus à la croix : « J’ai soif ». Voilà que
la femme de petite vertu est icône de Jésus, annonce la dernière parole de
Jésus.
Combien sont-ils qui se trompent sur Jésus ou ignorent tout
de lui ? Combien sont-ils ces opposants à l’Eglise qui pourtant sont en
route ? Combien sont-ils les chrétiens, les catholiques, qui confessent de
façon orthodoxe la foi de l’Eglise mais sont empêchés de se mettre en route,
attachés à la vérité comme l’âne à son pieu ?
Avons-nous soif ? Est-ce notre prière que formule la
demande de la femme à la vie peu recommandable : « donne-moi de cette
eau » ? Peu importe pour l’heure de savoir ce que nous demandons.
Sommes-nous dans une relation de demande, sommes-nous avec Jésus comme
ceux qui ont foi, ceux à qui il ne cesse de dire, « ta foi t’a sauvé » ?
Mais encore faudrait-il avoir conscience de la nécessité du salut. Les vertueux
ont-ils soifs ? Ils peuvent puiser leur eau sans problème ou ont du personnel
à leur service pour le faire.
Autour du puits, au plus fort de la journée, comment ne pas
crever de soif, comment dissimuler sa soif ? Jésus est toujours présent au
bord des puits, près des eaux vives, parce qu’il sait que c’est ici que nous
traînons, hommes et femmes de désir. Nous adresserons-nous à lui ? Lui
ferons-nous confiance ?
Si nous consentons à ce que la rencontre nous mène là où
nous n’avions pas prévu, là peut-être où nous ne voulions pas aller, la route
de la vie est ouverte, déchiffrée. « Venez voir un homme qui m’a dit tout
ce que j’ai fait. » Le disciple le plus vertueux ne peut que reconnaître
qu’il n’est pas fidèle, et se réjouir avec tous les pécheurs que Jésus soit
venu pour chercher et guérir ce qui était perdu.
Pour être disciple, il faudra sans doute changer de vie.
Pour l’heure, il faut oser faire confiance, c’est-à-dire attendre d’un autre
que nous-mêmes ce que nous ne pouvons nous procurer, nous en remettre à travers
un autre à Jésus lui-même, nous abandonner à l’autre, parabole de Jésus.
La vie de foi est désir qui oblige à rencontrer l’autre, à
compter sur l’autre. La vie de foi se nourrit et se désaltère de la différence,
celle du frère, celle de Jésus, qui ouvre à ce que nous ne pouvons nous procurer.
Nous avons besoin pour croire de rencontrer l’autre, parce que croire c’est
mettre sa confiance en quelqu’un qui n’est pas nous.
Une fois Jésus rencontré, ne le prenons pas pour l’arbre à l’ombre
duquel nous pourrions nous reposer, le pieu auquel nous nous accrocherions pour
que rien ne nous égare ou entraine. Si Jésus est au lieu du désir, il est
toujours ailleurs. Comme le puits du désert, il se déplace et nous suit dans notre
soif de vie. Aussi inutile qu’impossible de rester sur place.
Un désir figé, c’est le fétichisme, c’est la transformation sacrilège
du plus spirituel en plus matériel, un lieu pour prier, des règles pour croire,
un rituel à observer scrupuleusement. Or c’est en esprit et vérité que l’on
adore Dieu. Si la foi ne nous libère pas de tout, y compris des règles
religieuses, si la foi ne libère pas le désir de la rencontre et la rencontre
de l’autre, nous nous étions leurrés. L’adoration en esprit et vérité ne nous
attache qu’à Dieu, c’est-à-dire aux frères qui sont ses enfants bien-aimés.
Attaché à Dieu, il n’y a plus de lieu, de temps, de règles ou de dogmes qui
comptent, puisque c’est en esprit et vérité qu’on l’adore.
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