« Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de
péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’, votre
péché demeure. » Le problème du pécheur, souvent, c’est qu’il est
convaincu d’avoir raison. Non seulement nous faisons le mal, mais nous pensons
bien faire, nous ne reconnaissons pas que nous faisons mal. Mensonge sur
nous-mêmes, hypocrisie donc, ou aveuglement, précisément ; le mal est
redoublé, élevé au carré. Nous n’allons tout de même pas nous compter parmi les
pécheurs !
Il faut que l’aveuglement nous ait jetés bien bas, comme l’aveugle-né,
réduit à mendier, pour concéder qu’un autre voit mieux que nous. Il faut passer
sa vie à mendier pour savoir que vivre c’est compter sur les autres plus que
sur soi.
S’il s’agit de foi, on passe à l’aveuglement au cube. Non
seulement on est aveugle, non seulement malgré l’aveuglement on dit voir, mais
en plus on ne compte que sur soi, alors que croire c’est faire confiance, s’en
remettre à l’autre. L’aveugle-né ne sait pas expliquer sa guérison. Il la
raconte seulement, la répète autant de fois que nécessaire : « Il m’a
mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. ». Lui n’est
pour rien dans cette affaire, juste bénéficiaire L’obstination à reconnaître ne
pas savoir expliquer, le fait de ne pas maîtriser, le conduisent à la confiance,
à la foi : « Seigneur, je crois ».
Ce que nous savons de Jésus par la culture et la catéchèse,
les théories que nous pouvons élaborer et que l’on appelle parfois théologie ou
catéchisme ne peuvent jamais faire disparaître la confiance en Jésus, la rendre
inutile parce que nous saurions. Nous ne sommes pas disciples à tout savoir sur
Jésus au point de ne plus avoir à croire, nous sommes disciples à demeurer dans
l’inconnaissance. « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y
a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Qui est Jésus ? Nous n’en savons rien. Mais il y a une
chose que nous savons ; nous étions aveugles, et à présents nous voyons.
Voilà le chemin de pensée qui conduit le mendiant à devenir disciple, voilà le
chemin que l’évangile nous invite à emprunter. Cela suppose juste que nous nous
reconnaissions pécheurs. Mais comment pourrions-nous le nier ?
N’allons pas penser que l’objectivité du miracle
remplacerait l’objectivité de la foi, entendue comme savoir, contenu à propos
de Dieu et de Jésus. Le miracle ici n’est que parabole, le passage des ténèbres
à la lumière, annoncé dès le prologue de l’évangile. La vie des disciples est
illumination comme disaient les premiers chrétiens pour parler du baptême
qu’ils recevaient adultes. Le monde prend un autre sens, une autre allure
lorsque l’on voit de la vision que donne Jésus.
Le monde apparaît dans sa vocation de fraternité libérée du
mal, la maladie ou le péché (c’est ainsi que commence notre texte (Jn 9), et
tout ce qui sauvegarde l’ordre ancien du monde, y compris la religion
sacro-sainte des meilleurs, les pharisiens, est révélé pour ce qu’il est, mensonge,
aliénation. La lumière est jugement qui met en évidence les pensées d’un grand
nombre. La lumière qui vient dans les ténèbres et que les ténèbres rejettent
désigne ceux qui se découvrent disciples à leur insu, engagés dans le procès de
Jésus lui-même, engagés dans la lutte contre le mal pour un monde fraternel.
Les accusateurs se trouvent mêmes parmi les coreligionnaires !
Les violentes tensions dans l’Eglise n’en sont que l’illustration au niveau
institutionnel. La suite de Jésus nous entraîne dans son procès, ainsi que
l’aveugle. Mais comme personne n’accueille définitivement la lumière, nous
sommes aussi les accusateurs ténébreux de nos frères.
Le procès de l’aveugle est celui de Jésus, c’est-à-dire le jugement
du monde et le nôtre, non la sentence vengeresse de Dieu, mais la dénonciation
de nos mesquineries, parfois sous couvert de dogmes et de religion, pour
garantir l’ordre du vieux monde, l’ordre des ténèbres, qui nous va si bien ;
point besoin de faire confiance ; il suffit d’avoir, de savoir et de
pouvoir ; contre toute évidence, nous pouvons nous croire sans péchés.
C’est stupéfiant !
Ceux qui n’ont rien, pécheurs publics, peuvent être les
prophètes du monde nouveau, puisqu’ils ne peuvent que compter sur Dieu, croire
en lui. « Jésus le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de
l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour
que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et
c’est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois,
Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui. »
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