Le sacrifice d’Abraham (Gn 22) est une des lectures de la
vigile pascale. En quoi est-il prophétie de la résurrection ? En quoi,
plus que bien d’autres textes, s’impose-t-il comme moment-clef de l’histoire du
salut, au même titre que le récit de la création et celui de passage de la
mer ?
Avec la résurrection de Jésus nous assistons à la conversion
de Dieu et le sacrifice d’Abraham offre un récit particulièrement clair de
cette conversion. Oui, j’ai bien dit. La résurrection de Jésus est la
conversion de Dieu. Plusieurs fois dans les Ecritures, Dieu se repend et se
convertit. La première fois où cela est dit, je crois, c’est avec Noé :
« Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de
l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai
tous les vivants comme je l’ai fait. » L’arc-en-ciel est le signe de cette
alliance de paix avec la descendance noachique, avec l’humanité entière.
Déjà la sentence de mort qui planait sur l’Adam et sa femme,
sur Caïn le meurtrier n’avait pas été exécutée. L’homme est chassé du jardin
des délices, mais il ne meurt pas, il donne naissance, il vit. Et Caïn est
protégé, plus que ne l’a été Abel ! « "Si quelqu’un tue Caïn,
Caïn sera vengé sept fois." Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le
préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait. »
De nouveau au désert, trahi et méprisé par son peuple, « le
Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple. » On dira
que ce n’est pas Dieu qui se repend, mais l’homme qui convertit sa conception
de Dieu, qui la purifie. Le premier testament en témoigne : « Le
Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. » Avec
Jésus l’homme n’est plus celui qui sert Dieu. C’est Dieu qui sert l’homme. « Le
fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa
vie en rançon pour la multitude. » Conversion, changement de Dieu.
Dieu a changé, mais il se pourrait que nous en soyons encore
à l’ancien dieu, archaïque, il se pourrait que nous ne croyions pas encore au
Dieu de Jésus ! La nouvelle de sa résurrection ne nous serait pas encore
parvenue.
C’est pourtant déjà l’histoire d’Abraham, le père, le modèle,
des croyants. Il veut prouver son attachement à Dieu, il veut lui offrir ce
qu’il a de mieux. Evidemment, avec un tel raisonnement, cela ne peut que mal
finir. Offrir ce qui coûte le plus conduit forcément au sacrifice du fils. Qu’aurions-nous
de plus cher ? Or la fidélité, qui est affaire de confiance, ne se prouve
pas ou alors c’est la barbarie. Et nous n’en sommes sortis ni en théologie, ni
dans la relation aux autres. Nous continuons non seulement à sacrifier les
frères (certes plus à nos intérêts qu’à ceux de Dieu, et ce n’en est pas moins barbare !)
mais à penser que Dieu réclame de nous des preuves, des épreuves, quelque chose
de contraignant, quelque chose qui coûte.
Ne pourrions-nous pas aimer Dieu seulement pour le
plaisir ? Cela dévaloriserait-il notre amour, notre foi ? Ne
pourrions-nous croire en Dieu seulement pour Dieu, sans autre raison que lui,
et nous, et nous avec lui ? Pourquoi faudrait-il en baver pour que ce soit
beau et vrai ? C’est quoi cet imaginaire bourrin ? Pas celui du Dieu
de tendresse et d’amour.
Mais un bélier qui s’est pris les cornes dans les buissons
de nos fantasmes de violence rappelle au vieux père que son jeune fils n’est
pas un agneau que l’on abat pour apaiser sa conscience devant Dieu. S’il faut
une victime, Dieu s’en charge, « Dieu pourvoit » comme dit le texte.
Ce sera une vieille carcasse de bélier qui ne sert plus à rien. Voyez en quelle
estime Dieu tient les sacrifices ! Si Dieu offre un fils, c’est pour la
vie, et Abraham reçoit de nouveau le fils de la promesse. Si Dieu offre un
agneau, ce sera lui-même, donné pour la vie du monde. Dieu pourvoit, Dieu ne
cesse de se donner. Voici l’agneau de Dieu.
Ce n’est pas à toi, vieil homme d’offrir quoique ce soit à
Dieu. Dieu donne, Dieu se donne. Ouvre les mains, mendie de lui sa générosité.
Dieu donne, Dieu sert, Dieu veut ta vie, pas la mort. Voilà la résurrection.
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