Nous avons souvent une conception de la foi, spécialement de
la foi en la résurrection, qui interdit à toute personne sensée de s’y livrer.
Et ce ne sont pas seulement les adolescents qui regimbent, mais déjà les
enfants. Si, dit-on, nombre de chrétiens ne croient pas en la résurrection,
c’est peut-être que ce qu’ils imaginent être la résurrection n’est pas
possible, effectivement. Mais est-ce pour autant ce que croit l’Eglise ?
Avec le dernier chapitre de chaque évangile, ce que l’on
appelle les récits d’apparition du Ressuscité, nous n’avons pas affaire à un
reportage, une description, reconstitution quasi-judiciaire, établissement des
faits, incontestables, objectifs. Les apparitions du Ressuscité sont des
professions de foi. Elles mettent en scène le passage à la foi ; il y a
plusieurs rencontres qui ratent et qu’il faut recommencer pour qu’enfin, à la
scène ultime, les disciples croient.
De surcroît, les textes adoptent eux-mêmes la stratégie qui
interdit qu’on les prenne au premier degré, comme un reportage. Ils organisent
consciemment des contradictions. Ainsi, Jésus entre dans les maisons portes et
fenêtres verrouillées ‑ son corps n’est pas arrêté par les parois ‑
puis il mange du pain ou du poisson – son corps est celui d’un vivant.
Marie et les disciples ne le reconnaissent pas alors qu’ils ont été ses
intimes ; puis leurs yeux s’ouvrent, la peur les quitte, ils le
reconnaissent et aussitôt il disparaît à leurs yeux ou ne peuvent le retenir.
C’est qu’il faut dire que la rencontre avec le Ressuscité
est rencontre précisément, et non information, reportage, que l’on pourrait
connaître autrement qu’en s’y livrant, en s’y engageant. Il faut dire que la
rencontre avec le Ressuscité est confession de foi et nullement illusion :
il mange, il parle, on le voit. Il faut dire que dans la rencontre le
Ressuscité s’offre à reconnaître, c’est bien lui, mais il n’est plus pareil, il
ne vit plus pareillement, il en est méconnaissable. Il faut dire que le corps
du Ressuscité n’est pas le cadavre réanimé de Jésus, mais le corps des
disciples, son corps de disciples, qui est détruit et dispersé par sa mort et
reprend vie par son Esprit. L’Esprit fait éclater les limites physiques, les
peurs et les barricades, les frontières linguistiques et la douleur de la séparation
(nous ne verrons plus).
Les disciples avec lenteur reviennent de l’abattement où les
a laissés l’exécution de Jésus. Les récits évangéliques montrent la communauté
qui se reforme ; tant qu’il manque un disciple, Thomas, l’annonce
n’aboutit pas. Ensemble, ils reviennent à la vie. La résurrection de Jésus
n’est pas décrite en elle-même mais en ses effets, elle est notre résurrection,
la vie dont ici et maintenant nous vivons, pour annoncer à tous les hommes que
la fraternité humaine n’est pas un rêve vain et généreux mais ce pour quoi le
Christ est mort.
Croire n’est pas croire n’importe quoi sous prétexte que
justement ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas prouvable. Croire, c’est être
engagé comme témoin du Vivant qui fait vivre. Croire, c’est la critique de tout
surnaturel à juste titre incroyable, pour se livrer ici et maintenant, au nom
du Vivant, au service de tous « pour qu’ils aient la vie, en
abondance ».
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