13/01/2023

Il n'y a pas d'agneau de Dieu / Jn 1, 39 (2ème dimanche du temps)

« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » (Jn 1, 29 et 36) C’est ainsi que le Baptiste désigne Jésus qui entre tout juste en scène, pas encore dans le champ de vision ; Jean a juste eu le temps, après le Prologue, de dire qui il n’était pas, lui.

Que veut dire cette expression « agneau de Dieu » ? Pas sûr que la précision – « qui enlève le péché du monde » ‑ permette d’en apprendre beaucoup plus. Le lecteur ne peut, à ce stade de sa lecture, rien en savoir ; il ne trouvera pas d’explication dans la suite du texte , nulle part l'expression n’est reprise. Si je compte bien, le terme utilisé ne se trouve qu’à quatre endroits dans le Second Testament, deux fois dans ce premier chapitre de Jean, une fois dans les Actes et une fois dans la Prima Petri.

La version grecque du Premier Testament connaît le terme. Jamais il ne désigne l’agneau pascal, mais un agneau en général et dans certains sacrifices, notamment pour enlever le péché. C’est le cas dans le Lévitique et les Nombres. Dans la parabole de la brebis du deuxième livre de Samuel, c’est l’agneau du pauvre que le riche préfère égorger pour épargner son propre troupeau ; il y a quelque chose de victimaire.

On pourrait penser que le contexte sacrificiel est évident. Mais d’une part, toute viande est toujours tuée avec un verbe qui désigne le sacrifice. On achète à la dignité la vie ôtée. Et d’autre part, dans l’évangile de Jean, on ne parle jamais de sacrifice, aucun mot formé sur la racine du sacrifice n’est employé.

 Certains ont proposé un jeu de mot entre agneau et serviteur en araméen. C’est d’autant plus intéressant que dans les chants d’Isaïe (52, 7), le serviteur est dit agneau et que c’est cette citation que reprennent les Actes (8, 32). Dire Jésus serviteur relève d’une christologie primitive qui court le risque de ne pas confesser l’originalité et l’identité de Jésus.

Faut-il penser que la conception du Baptiste et de ses disciples de l’enlèvement du péché suppose une offrande, une compensation, un prix (littéralement un agneau) offert à la divinité. L’évangile de Jean conserverait alors la trace, en deux versets seulement, d’une expression baptiste abandonnée par les disciples de Jésus. Le Baptiste semble bégayer, n’avoir que peu de choses à dire sur Jésus, une seule, que l’on recueille par égard pour ses disciples, qu’il faut rallier. Et encore, par deux fois, le texte fait préciser par Jean qu’il ne connaît pas Jésus, bref, ce qu’il en dit n’est pas très solide.

La Première lettre de Pierre paraît se rattraper à la métaphore comme à une barrière de sécurité : « un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ ». L’Apocalypse, avec un autre terme qu'elle seule utilise, parle souvent de l’agneau, mais vise moins le sacrifice que le Crucifié ressuscité : le Ressuscité est l’homme des douleurs, point de vue de la victime.

C’est que le pardon des péchés, contrairement au courant baptiste et au bien-commun des religions, ne s’obtient pas en contrepartie d’un sacrifice, mais se reçoit dans un don. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice, offrande à la divinité, puisque c’est Jésus qui se donne à... l’humanité. « Je donne ma vie pour mes brebis. » « Ma vie, nulle ne la prend, c’est moi qui la donne. » « Pas d’amour plus grand que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 10, 15. 17-18 et 15, 13) Renversement sans précédent. Ce n’est pas à l’homme d’offrir quoi que ce soit, pour obtenir le pardon des fautes, pour remercier la divinité ou se la concilier. Que pourrait donc l’humanité ? « Pour les hommes, c’est impossible. Mais pour Dieu... » (Mt 19, 26) Le mot dieu ne désigne-t-il pas la source de la vie, le don de la vie, le créateur ?

L’introduction de l’Agnus dans la liturgie signe et la canonisation d’une formule baptiste que l’évangile avait délicatement reléguée, et le retour à la religion, un marchandage avec la divinité, comme si l’homme pouvait quelque chose à sa justification. Cela se fait à Rome, en provenance de Syrie, au VIIe siècle par un chant des fidèles qui meuble le temps de la fraction ; le clergé ne s’y associe qu’au XIe. Le corps brisé est tiré du côté du sacrifice alors qu’il est donné en partage.

La réinterprétation par Jésus de la religion, et tout particulièrement de la foi juive, présente un dieu nouveau, inattendu, celui de l’absolu grâce, gracieux, gratuit. C’est tellement intempestif que les disciples ne s’y sont toujours pas rendus. Matthieu, d’une formule bien frappée, avait lié ensemble la fin des sacrifices, l’entrée dans la gratuité et le pardon des péchés : « Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (13, 9)

La mort de Jésus n’est pas sacrifice ; elle n’en est pas moins violence, calvaire, lieu du crâne - pas même cadavre, seulement squelette. Le retournement, la conversion, l'évangélisation de Dieu par l’homme Jésus, passe par « l’intelligence de la victime ». La théologie sacrificielle que la nouvelle traduction du missel rend plus prégnante que jamais s’oppose à la logique gracieuse, logos charitos. Ecrire la théologie depuis la victime, comme l’Apocalypse et à sa suite la théologie de la libération si implacablement réprimée, c’est accéder à la logique de la grâce, du don qu’est Dieu lui-même.

1 commentaire:

  1. Merci beaucoup pour ce commentaire, toujours aussi lumineux. Le retour au sacrificiel dans la messe ne présage rien de bon... (Voir revue Golias, du 1 décembre 2022)

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