Soixante-dix ans après la mort de l’abbé Couturier dans la nuit du 23 au 24 mars 1953, la semaine de prière pour l’unité des chrétiens est devenue une habitude. Les Eglises, du moins officiellement, ne sont plus rivales. Nous faisons de beaux discours, organisons quelques rencontres, parfois au sommet. Concrètement, en quoi cela change notre foi, en quoi cela nous rend accueillants aux autres ?
Mais lorsque les catholiques ne sont pas d’accord entre eux, ils se vouent aux gémonies et invitent les uns à aller chez les protestants ! Protestants, c’est un rebut, un repoussoir relooké par un « frères séparés » politiquement correct. Même François s’y vautre : « Moi, je dis aux catholiques allemands : l’Allemagne a une grande et belle Eglise protestante. Je n’en voudrais pas une autre, qui ne sera pas aussi bonne que l’autre. » (06 11 2022) On reconnaît la belle Eglise d’à-côté, mais il serait dramatique de lui ressembler. Ce type de propos discrédite et vilipende le travail des catholiques allemands. Pour dire son désaccord, on aurait préféré d’autres termes.
Lorsque l’on pense unité, on imagine qu’il s’agit surtout de ne pas compter au-delà d’un ! L’unité ne peut être autre qu’un. Or l’unité, c’est le multiple. Il n’y a pas d’unité s’il n’y a pas plusieurs, jusqu’à la multitude, qui se laissent unifier. Le Dieu un est multiple, non pas deux seulement, mais trois ! Même chose pour nous, toi, moi et les autres, ne serait-ce que les ancêtres, les enfants, les institutions, la langue. Il n’y a jamais moi seul, ni toi et moi seuls.
Le dernier concile cite Cyprien de Carthage : l’Eglise tire son unité de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit. L’Eglise est moins une qu’unifiée. (Le latin de Cyprien demanderait un spécialiste. L’unification du peuple ne provient pas de l’unité divine ‑ ex ‑, elle vient plutôt à propos ‑ de ‑ de l’unité divine, ou en est distincte parce que dérivée. Comme si l’unité du peuple racontait l’unité divine autant qu’elle en procédait. « Par l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit saint, le peuple est un (de unitate Patris et Filii et Spiritus sancti plebs adunata.) »
Nous pensons que l’unité est la garante de la paix. Loin s’en faut ! C’est confondre multiple et division, unité et uniformité. Nous n’aimons pas l’unité mais que les autres soient et pensent comme nous. Maladie tant psychologique que politique, le refus de la différence est violence, expulsion du différent hors de mon monde, hors du monde ‑ car il n’est pas d’autre monde que celui que nous avons tous en partage. Le même étouffe et tue, sans espace ou jeu, d’où les violences, depuis les violences familiales ou retournées contre soi jusqu’aux guerres, aux génocides. Plutôt que de nous agresser, la différence devrait nous intriguer, nous intéresser, nous interroger, nous stimuler à la rencontre. L’Esprit est l’espace du souffle.
Vivre la rencontre des différences, « pratiquer la différence » comme l’on pratique le sport ou la musique. L’unité est une tâche, non un état. Elle advient dans la paix que nous voulons offrir à Dieu comme le plus bel hommage de notre attachement à lui. « Le plus grand sacrifice offert à Dieu, c’est notre paix, c’est notre concorde fraternelle ; car par l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit saint, le peuple est un. » La concorde et la paix parlent de l’unité et de la communion de Dieu et sont la possibilité de vivre l’unification qui découle du Dieu un.
La pratique de la différence est autant ce qui nous lie aux autres comme confiance que la foi qui nous attache à Dieu. Croire, c’est faire confiance à qui n’est pas nous. On ne peut croire en Dieu et affirmer soi et ce que l’on pense seulement, parce qu’alors, c’est nous que nous adorons, prenant la place de Dieu ou des frères : et c’est la guerre. On ne peut être chrétien, même si l’on est baptisé, même si l’on prie tous les jours, même si l’on jeûne régulièrement ou lit la Bible, et refuser de pratiquer la différence.
« On peut être chrétien mais avoir un cœur endurci. On peut être l’Eglise mais avoir un cœur endurci. Vous pouvez avoir la foi mais ne plus avoir un cœur ressentant la douleur des gens. […] Si vous êtes chrétien, cela se voit par votre cœur, par votre compassion, par votre regard sur le monde, le même que Jésus, surtout sur ceux qui souffrent pour quelque raison que ce soit. » (L. M. Epicoco, Seuls les malades guérissent)
L’unité des chrétiens n’est pas une question de politique missionnaire ‑ même si l’Evangile sera d’autant plus crédible que ses disciples vivront dans la paix et la concorde. Elle n’est pas un commandement de Dieu parmi d’autres en vue de la paix et de la concorde. Elle n’est possible que parce qu’il y a des différences, elle les exige. Elle est l’étalon de notre foi. Si tu ne rencontres et n’accueilles pas ton frère, forcément différent, tu es source de violence, tu écrases l’autre, tu te moques de toi-même en disant que tu crois, tu te moques de Dieu. Puissent chaque disciple et la communauté Eglise ne pas se moquer de Dieu !
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