Théo Bourgeron, Ludwig dans le living, Gallimard, Paris 2022
Une histoire aux frontières du polar, de l’anticipation et de l’absurde, le roman de Théo Bourgeron décrit notre monde.
Comment ne pas voir l’évidence ? Le monde s’efface, comme s’il était bouffé par pans entiers. Il laisse des trous que personne ne semble voir, qui n’étonne pas. Même l’anti-héros qu’est le personnage principal ne se rend pas compte de l’étrange par exemple d’un RER qui n’arrive jamais. Mais qui cela étonne-t-il en 2022 ? Alors en 2032, pensez donc ! La catastrophe n’est pas nommée, mais l’on peut penser à l’effondrement de la biodiversité, la fonte des glaces qui laissent des trous béants. Mais la vie continue comme si rien n’était.
Qui est cet ogre ? Ludwig Wittgenstein. On pourra se demander pourquoi lui plutôt qu’un autre. L’auteur ne le dit pas. Dans une interview, il avance que Wittgenstein lui est comme refilé par le réemploi romanesque qu’en fait Thomas Bernhard. Il me semble qu’il y a tout de même plus, une question au cœur de la réflexion du philosophe, l’évidence, la tautologie et la logique. Et personne ne voit rien. Ce n’est pas seulement l’indifférence face à la catastrophe, mais l’interdiction de voir le problème. Les lanceurs d’alerte passent pour des fous, sont inquiétés par la police, parfois incarcérés. Sans doute aussi, le côté abscons du texte wittgensteinnien rend logique, si l’on peut dire, que personne ne comprenne rien à ce qui se passe.
N’est-ce pas ce que beaucoup pensent, ou ont longtemps pensé : il absurde de dire que le climat change, aussi incongru que le retour de Wittgenstein quatre-vingts après sa mort, buvant des quantités de litres de lait. Parallèlement au changement climatique, c’est aussi le bouleversement des conditions sociales dont parle le roman. Le protagoniste est chercheur en philosophie mais ne vit que grâce à son emploi de responsable de rayon dans un supermarché de ville. Un post-doc ne trouve pas de boulot et après des années de courses à ce qui est rentable, c’est normal qu’il occupe le bas de l’échelle sociale. L’exploitation de la nature au point de la détruire est la même que celle des salariés, quel que soit leur niveau d’étude.
Avec les exploitations, il est d’autres choses qui nous bouffent, d’autres ogres, comme le discours savant de la recherche et tout ce qui est susceptible de nous obnubiler, obséder. Personne n’échappe au néant qui le happe, à moins peut-être de se livrer à l'autre, ce dont le protagoniste ne semble pas avoir la moindre intuition quoi qu'il en soit des stimuli sexuels.
J’exagère beaucoup à réduire le texte à une thèse. C’est trop peu. Le roman nous promène, nous emmène, et l’on pourrait ne pas même se rendre compte que derrière l’absurde se joue ce que nous vivons.
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