07/06/2024

Le mal, mektoub, c’est écrit ! (10ème dimanche du temps)

 

Le mal, c’est écrit. Le destin, Dieu l’a voulu ; cette personne meurt à vingt-cinq ans, cette autre est en prison, une troisième souffre de la violence de son conjoint. C’est écrit, et si Dieu n’y est pour rien, il laisse au moins faire. Si Dieu n’y est pour rien, il faut bien que quelqu’un y soit pour quelque chose. Et l’on parle du diable, et l’on invente le diable.

Cela a l’intérêt de rendre raison d’un ordre du monde jusque dans le désordre du mal : cela intègre le mal à l’ordre alors même qu’il est désordre, chaos. Mais, parce qu’ainsi toute chose ainsi trouve sa place, on supporte et accepte son sort. De toute façon, la révolte contre le mal n’est pas plus efficace. Révolté par la mort, la dépendance ou la maladie incurable, par une décision de justice qui, suite à un forfait, vous expédie en prison, révolté, cela ne change rien au mal, ne le fait pas disparaître. Mieux vaut consentir comme les stoïciens à souffrir, à mourir, et rien de mieux pour y parvenir que de se consoler grâce à l’ordre des choses.

Les religions sont très fortes pour raconter la raison du mal, Satan, légendes d’ange de lumière, création de l’homme par du sang de dieu mêlé à de la terre. Ce n’est pas qu’elles ont la réponse au mal, mais qu’elles ne comprennent pas comment un monde si beau, une créature si incroyable que l’homme et la femme, tout cela puisse subir et ourdir le mal.

Mektoub ! disent les musulmans. Les latins parlaient de fatum et les chrétiens de providence. Ainsi, le Dieu qui pourvoit, le Dieu provident, couvre les pires maux de son omniscience et du bon ordre des choses. Et il faudrait croire à un tel Dieu ? En fait, on n’y croit pas. On a juste besoin que les choses se passent dans l’ordre, et l’ordre étant forcément celui de quelqu’un de supérieur puisqu’il échappe à l’humain, on parle de Dieu.

Eh bien, à tout cela, je ne crois pas. Je pense plutôt que se révolter contre le mal est évangélique. Se lever contre le mal est insurrection, résurrection. Et toute la vie de Jésus est insurrection contre le mal, non pour disculper Dieu, qui n’a pas besoin d’avocat, mais pour faire savoir ce qu’il en est de Dieu, sa propre révolte contre le mal, sa propre lutte contre le mal. « Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. » (Sg 1, 13) « Prendrais-je plaisir à la mort du méchant - oracle du Seigneur Dieu- et non pas plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre ? » (Ez 18, 23)

Même le pécheur fait pleurer Dieu, et par le mal commis, et par la peine qu’il subit. Drôle de formule, car y aurait-il quelqu’un à n’être pas pécher ? L’homme et la femme font pleurer Dieu : « j’ai vu la misère de mon peuple ».

Mais alors, si tous seront sauvés, mais alors si tous sont pardonnés, n’est-ce pas plutôt une validation du mal. Cela revient en effet à ce que le mal vaille autant que le bien. Le pire des salauds est-il comme le juste ? Mais pourquoi faudrait-il que le salut de tous signifie la non-prise en compte de la gravité du mal, commis et subi ? Pourquoi un non radical au mal, une dénonciation et une condamnation du mal, un secours des victimes pour les soulager, un accompagnement des coupables pour les rendre à la dignité humaine qu’ils ont bafouée chez leurs victimes et en eux signifierait-il que le méchant est traité comme le juste, le bourreau comme la victime ?

Dieu aime les pécheurs. Et qui pourrait-il aimer d’autre à part la vie en lui ? Dieu aime et cet amour offert est salut, fait vivre. Cet amour est la réplique au mal, non pas réponse, explication, mais régénération. Comme entre nous les humains, et même avec les animaux. L’amour est vie. Et Dieu met le paquet, paye le prix. Plus le pécheur est criminel et exécrable, plus il exècre Dieu, plus il faut la force de l’amour divin pour renverser les si profondes racines du mal et la profusion déversée de poison mortel, meurtrier.

C’est encore le mal que de se comparer, d’être jaloux qu’un plus salaud puisse être lui aussi rendu à la vie. On n’est pas plus vivant de déambuler au milieu de cadavres mais à partager la vie, la faire circuler, la multiplier y compris avec des moribonds infernaux. Plutôt que de nous trouver des excuses parce qu’après-tout il y a pire que nous, on ferait mieux de se poser à la place de la victime. C’est du point de vue des victimes qu’il faut écrire l’histoire, seul lieu à partir duquel stopper le mal et la violence. Dieu se place les massacrés pour que cessent les injustices y compris celles que bien sûr, les vainqueurs taisent.

Il est hors de question de faire vivre la victime dans la proximité de son bourreau. Dieu est à ce point de son côté qu’il ne voit plus aucun des agresseurs. Son amour de l’exploité réduit le mal à néant ; la purification des mauvais est réduction en eux du mal, est une réduction de leur stature. Mais eux aussi, si petits humainement soient-ils, sont appelés avec et pour les autres à « la stature de l’homme parfait, force de l’âge et plénitude du Christ ». (Ep 4, 13)

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