22/06/2024

Prier pour que Dieu donne des prêtres

 

Julius Schnorr von Carolsfeld (vers 1855), Elie tue les prêtres de Baal.

 

Je suis étonné que tous ceux qui croient que Dieu donne en réponse à la prière ne se rendent pas compte que s'il n'y a plus (ou presque) de personnes pour être prêtre, c'est que Dieu ne veut pas de ce type de prêtres pour aujourd'hui.
Il est sacrilège, si l'on pense que Dieu répond à la prière, de continuer à prier pour obtenir ce que Dieu refuse, sans doute à juste titre, de donner. Puisqu'on est en pleine mythologie (Dieu donnerait des prêtres, et pourquoi pas la paix, ce serait plus utile, non ?) que l'on arrête d'exiger de Dieu ce dont il nous préserve !
La crise de la pédocriminalité du clergé, de la pourriture de la curie ; le fait que les catéchumènes arrivent sans passer par tout ce que l'Eglise déploie d'effort missionnaire, rien de tout cela ne fait réfléchir. Faudra-t-il qu'un prophète Elie tue les prêtres de Baal qui nous invitent à prier pour qu'il y ait des prêtres, afin qu'enfin, les évêques et les autres comprennent ? Peuple à la nuque raide.

6 commentaires:

  1. Oh Patrick, c’est une manière bouleversante de reprendre la question des vocations, en pointant les logiques instrumentalisantes qui régissent les discours ecclésiaux. Le problème est bien là, vouloir forcer Dieu, le faire plier à ses propres schèmes. À ce prix, demander des prêtres devient un acte idolâtre inavoué, une tergiversation du ministère ordonné lui-même.

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  2. Et pourtant, je me demande si l’on doit pas quand même céder à ce type de pensée parce que bon gré, mal gré, tant le ministère ordonné comme tout engagement chrétien s’appuient sur une forme de mythologie qui est condition de leur survie. À partir du moment où la langue théologique est faite de mythe comme fonction de la foi, nous voulons y croire, nous en avons besoin. Pour moi, c'est une vraie question : comment intégrer le mythe de façon lucide certes mais sans évacuer la force existentielle qui vient par la conviction du réalisme de ces propositions, en dehors de laquelle, la proposition chrétienne sombre dans l’indifférence ou la vanité.

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    1. La question que vous posez est très ancienne, sur le rapport du mythe à la vérité et à la vie. On la trouve déjà chez Platon, et je crois me souvenir que c'est à propos de la nécessité des mythes (comment en construire de bons et vrais) qu'est utilisé pour la première fois dans les écrits dont nous avons trace le mot de théologie.
      Ricœur parle de naïveté seconde. Pour accéder au mythe, il faut une naïveté, il faut s'y livrer ou y croire. Mais on ne croit pas au premier degré, si je peux dire, on ne peut pas lire le mythe sans le long détour par l'histoire, la critique, et tous les autres usages de l'intelligence raisonnante. Le refus ou l'impossibilité de cette naïveté seconde pour rester recourbé sur une naïveté première expose à la réduction de la foi à autre chose que l'évangile, une histoire sainte par exemple, ou une mythologie au sens le plus négatif possible du terme.

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    2. Oui, merci, vous dites juste sur la manière d’aborder le mythe et notamment la notion de naïveté seconde de Ricœur qui permet d’en rendre compte.
      Néanmoins, la question demeure, sur le plan pratique. Comment se traduit concrètement cette attitude de seconde degré vis-à-vis du mythe ? Je ne vois pas de réponse possible qui ne soit contrainte de trouver des compromis intellectuels (ex. Je fais comme si c’était vrai… car au fond, la croyance veut que ça se passe comme ça ; ou bien, je fais un pari au style pascalien, de convenance car c’est de toutes façons indémontrable).
      Or de tels compromis, à mon sens, conduisent à des impasses parce que le poids des mots prononcés au fil de tout récit personnel de foi, nous font, ne serait-ce que virtuellement, adopter le registre d’une naïveté première, même malgré nos propres mises en garde (le travail herméneutique). Toute tentative de profession de foi a comme horizon l’apophasis.
      Une piste de compréhension de cette limite discursive se trouve peut-être, dans la notion de paradoxe qui est une forme de conversion sur le plan intellectuel : le paradoxe est cette association impossible d’éléments de différente nature d’où surgit une sorte de correspondance porteuse de sens. En ces termes, le paradoxe est le sol où s’installe la foi. Assumer le paradoxe de la foi veut dire être capable d’osciller entre ces deux types naïvetés, étant donné que la première est aussi incontournable, d’un point de vue pratique, que la seconde. L’enjeu est de ne pas trancher entre les deux, mais de les conjuguer. (la naïveté première, on ne peut pas s’en débarrasser ; en arrière-plan, notre narrative, tacitement, la sollicite). C’est là où réside pour moi, la durabilité du discours chrétien mais qui se fait à ses dépens et c’est pourquoi c’est scandale (dont le signe est la Croix) ; c’est pourquoi, “c’est impossible aux hommes” (mais à Dieu seul).

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    3. Je ne sais si les remarques suivantes seront pertinentes.
      Voici comment je m’y prends.
      La personne de Jésus telle que racontée dans le NT et les auteurs est un guide. Je ne sais pas ce que signifie qu’il est Fils de Dieu, mais nous ne sommes pas devant le seul Jésus historique. Nous sommes toujours déjà un fait de tradition/transmission.
      Le renversement des puissants et le relèvement ou insurrection des pauvres, indépendamment d’un sens eschatologique, est avec lui déjà, ici et maintenant, dès lors qu’en son nom on choisit la fraternité avec les exclus. (Si ce n’est pas en son nom, c’est un autre sujet, qui doit aussi être envisagé.)
      Ma lecture de Flood (frère François et le mouvement franciscain) ces temps me dit cela fort bien. Vivre la fraternité avec ceux que la cité exclut de la fraternité et donc de l’humanité est monde nouveau et terre nouvelle. Je vois cela avec les détenus, les migrants, et même au boulot en essayant de susciter des relations de bonté et d’attention, sans se situer dans ou contre le monde bon ou mauvais de l’entreprise, mais en ouvrant un espace pour le monde de la proximité.
      Je le dis, au sens premier (et aussi bien sûr avec la naïveté seconde), je touche la résurrection chaque fois que j’entre en cellule. Je touche la force de la parole de Jésus presque chaque fois que j’écoute en frère. L’autre qui ne la connaît pas, souvent, la cite dès lors qu’il a la confiance de se livrer. Combien de fois l’ai-je entendu, notamment ce Mon Dieu pourquoi devant le mal. Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné.
      Il ne s’agit pas de chercher du sens en Dieu, et encore moins un système du monde. C’est mort depuis au moins l’aphorisme 125 du Gai savoir. Je ne suis pas certain que Jésus parlait de sens. Être là, non pas Dasein, mais être-là-pour-l’autre. C’est tout, à tous les sens du terme. C’est sa vie et celle des disciples.
      Il n’y aurait que mythe trompeur dans la profession de foi, que rien que cela suffirait à vouloir vivre à la suite de Jésus.
      Que cet homme livré (transmis et trahi) par la tradition soit Fils de Dieu, quel sens cela a-t-il ? La métaphysique des Pères est bien sûr mythologique. Que signifie Fils de Dieu ou Dieu ? Avant de recourir à l’apophatisme, il y a l’affirmation ou la confession que ce qui est vécu comme Jésus dans la proximité des Anawim relève d’un humain qui passe l’humain infiniment. Vivre l’histoire et l’écrire avec et pour les perdants, les victimes, de leur point de vue, c’est peut-être cela, Dieu.
      En tout cas, c’est beaucoup pour dire un humain plus qu’humain, ne serait-ce que comme antonyme à un humain trop humain. Faut-il maintenir le vocabulaire de l’être pour dire Dieu ? Ce serait alors un méontologie, dirait Stanislas Breton. Cf. son superbe Le Verbe et la Croix. Chez Thomas, être est le nom qui convient le mieux à Dieu (verbe bien sûr et non substantif) mais le tétragramme est encore plus pertinent !
      Il est déjà acquis que par son être-pour-les-autres, Jésus est non seulement le passant mais le passeur. La confession de foi signifie au moins cela.

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    4. Quant à la prière, se tenir devant ce qu’ouvrir Jésus avec le pour les autres, avec l’humain plus qu’humain, les mains levées, face à l’Orient, de nuit, en attendant que le jour se lève. Ainsi les Pères du désert. Non pas parler ou réciter des prières mais s’exposer au monde nouveau et à la terre nouvelle que la fraternité laisse deviner, répondre à un appel inouï si ce n’est, évanescent, dans la réponse que nous tentons d’être, responsables des frères.
      L’eucharistie, je la pense avec les mots de Flood. « 131 François a rapidement compris que le marché était le moyen communal de contrôler la vie des gens. Les lois du marché constituaient donc un grand danger pour la « règle de vie » des frères. […] 141 L’eucharistie est l’évidence de ce qui est en train de se dévoiler, elle appartient au monde nouveau. […] 142 Le corps et le sang que les frères reçoivent, c’est le corps et le sang de celui qui n’a pas été compris du monde et qui a été rejeté […] L’eucharistie est donc le sacrement du cheminement difficile et incompris de Jésus-Christ, un cheminement de pauvreté-exclusion et de lutte. […] 143 François exprime sa volonté de ne pas se séparer de l’humanité bafouée et rejetée qu’il a rencontrée chez les lépreux. Cette humanité pauvre, Jésus-Christ l’a assumée. Elle est donc présente dans l’eucharistie. […] François et ses frères et sœurs cheminent avec Jésus-Christ avec qui ils cheminent. Ils fêtent avec Jésus les chemins qu’ils font ensemble. […] L’eucharistie est la réalité des luttes pour la justice et non pas une simple cérémonie d’Eglise. L’homme y communie à la « règle et vie » du Fils de l’homme qui a proclamée venue l’heure des oubliés. L’eucharistie proclame que devant Dieu le plus oublié des humains n’est pas un oublié. L’eucharistie célèbre la route au bord de la route même, dans ses peines et dans ses joies. Il n’est guère possible de fêter cette route sans Jésus : c’est sa route, il est la route. …] La route, c’est la solidarité avec les lépreux. […] C’est aussi l’effort à travers un travail honnête et une utilisation humaine des moyens de vie pour rendre tous les biens à leur véritable but, c’est-à-dire, pour les mettre au service de tous les humains à cause de Dieu. En entendant les saintes paroles et en recevant le corps de Jésus, François et ses frères comprennent et confessent que cette solidarité et ces luttes valent la peine d’être vécues. C’est dans ce sens encore aujourd’hui que moi, franciscain, j’ai envie de recevoir le corps du Christ dans un cœur pur. Tout le reste est mystification théologique et lourdeur rituelle. »
      Cela ne s’entend qu’en dehors de la religion, comme l’entend Bonhoeffer. « Devant et avec Dieu, nous vivons sans Dieu ». Hier comme aujourd’hui, la religion est l’ennemie de l’évangile. C’est elle qui parle le mythe, le système du monde, le sens, plus que le secours du prochain. En ce sens, il vaut mieux (il faut) être agnostique, voire athée. Les premiers chrétiens ont été condamnés pour athéisme, comme Jésus pour blasphème. Folie pour les uns, scandale pour les autres, tous gens trop religieux (Ac 17). L’apophatisme n’est pas tant le silence que la négation de toutes les représentations, le refus de l’idole.
      Cette scission entre religion et évangile est ce qui se joue dans les divergences mortifères entre catholiques. Nombre de ceux qui ne sont pas intégristes sont certes religieux, mais ils ne peuvent plus entendre les droits de Dieu opposés aux droits de l’homme. Vatican II est ici central quand bien même il reste religieux. Il indique la porte.

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