12/06/2024

« Si bien que les oiseaux du ciel font leur nid à son ombre » (11ème dimanche du temps)

Jyoti SAHI, 1986 Sermon sur la Montagne

 

Il y a une semaine, les partis nationalistes, identitaires et xénophobes ont été placés en tête par les citoyens votant avec plus de 35%. Depuis quarante ans, j’entends banaliser le phénomène : ce n’est tout de même pas pire que les communistes ! C’est une défense des petits qui se lèvent le matin pour aller travailler et s’estiment volés par ceux qui profitent d’un système de protection sociale qu’ils dévoient.

Ces élections ont eu lieu à quelques jours des commémorations du débarquement dont c’est cette année le quatre-vingtième anniversaire. Ceux qui sont morts en 44 pour la liberté n’avaient guère plus de vingt ans. Sont-ils morts pour rien ?

Ces élections sont le résultat de discours qui instillent le mensonge. Il n’est pas possible de vivre en 2024, de profiter de la mondialisation, et de vouloir se replier sur un pré-carré à défendre. Le Brexit le montre à l’évidence. Ce n’est pas parce que depuis des années, les gouvernements servent la soupe aux plus riches et stigmatisent les gens simples que la haine des moins chanceux et installés est la solution. Nous ne savons vivre sans la soi-disant déferlante migratoire puisque presque aucun natif ne veut des petits-boulots : aides-soignantes, personnels de restauration, éboueurs, manœuvres et manutentionnaires, surveillants de prison, techniciens de surface, bouchers d’abattoir et j’en passe ; en une proportion considérable, des personnes étrangères ou d’origine étrangère.

Pourtant, combien sont d’origine non-française parmi ceux-mêmes qui gouvernent, Sarkozy, Balladur, Valls, Attal, Dati, Zemmour, Bardella, etc. Qui parmi ceux qui ont donné leur voix à l’extrémisme vit dans les quartiers qui seraient zone de non-droit ? Dans les campagnes de France, là où comme dit l’autre, « la terre ne ment pas », la République doit effectivement regagner du terrain : au chevet de la démocratie malade, les régimes autoritaires se précipitent, mais ce n’est pas pour visiter une malade, c’est pour soutirer l’héritage !

Qui peut croire que l’individu existe sans l’autre, le différent ? Qui peut prétendre accueillir le différent s’il lui impose de renoncer à ses différences pour vivre « comme chez nous » ? Qui peut ignorer que les grandes puissances économiques, Chine, Russie, Etats-Unis et Europe occidentale (plus quelques autres) pillent les pays pauvres et s’étonner que leurs ressortissants viennent là où il y a de l’argent ? Qui peut décemment bafouer les valeurs de l’Occident pour, comble de la contradiction, les défendre, se retirer des traités internationaux, remettre en cause le droit des réfugiés, le droit à la migration. Qu’un riche migre, personne ne s’en inquiète. Qu’un pauvre s’approche, et nous sommes menacés. Il y avait déjà un pauvre Lazare dont les chiens léchaient les plaies ; il y avait déjà la nécessité de faire de Jésus un enfant d’immigré, fuyant la folie meurtrière de qui ne veut pas partager pouvoir, terre, argent.

La France serait menacée par le grand remplacement. Mais ce sont les « Français » qui ne veulent pas de l’évangile, ne sont pas pratiquant de la messe dominicale et plus encore du commandement : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Ils n’ont que faire d’être disciples de Jésus. L’évangile se moque des valeurs y compris chrétiennes : Jésus est mort comme un paria pour s’être rangé parmi les perdants de l’histoire et de la société et les avoir relevés. « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. ». La fraternité de la devise républicaine est elle aussi subversive ; elle transforme l’égalité en un espace de grâce et non de mérite, de propriété ou d’héritage. Le « moi d’abord » remplace le souci du bien commun, les droits de l’homme et l’évangile.

L’incompétence professionnelle de celui qui a réuni sur son nom le plus de suffrages n’est pas même un handicap. En prétendant nous défendre, nous nous sommes tiré une balle dans le pied, et plaise à Dieu que ce ne soit que dans le pied et non dans le cœur !

Le royaume de Dieu est comparable à la plus petite des semences, graine de moutarde, qui devient la plus grande des plantes potagères (Mc 4, 26-34). Le but de la comparaison n’est pas tant la croissance que l’abri pour toutes sortes d’oiseaux, tous les oiseaux. Non un accueil momentané. Ils nidifient, ils habitent là, ils se reproduisent et deviennent plus nombreux. Les oiseaux du ciel ne sont pas à proprement parler du jardin, ils viennent tous d’ailleurs, du ciel précisément, et squatte la moutarde, s’installent comme des étrangers. Folie du Royaume !

Un arbre comme notre terre, maison commune. Un arbre qui accueille parce que la terre n’est à personne ; elle est à tous. De quel droit c’est « ici chez nous », « chez eux là-bas » ? Qui sont « ils » ? Qui sont « nous » ? Quels sens ont l’utilisation de ces pronoms et les appropriations de terrains ? Le refus de partager, non ce qui est à nous, mais ce que nous dérobons, nous enlaidit, fait de nous des épouvantails, pour faire fuir les oiseaux.

Le vote de dimanche est aussi un non à l’écologie. Au premier degré, il n’y a plus d’oiseaux dans les champs, nous avons tué les insectes à coup de pesticides agricoles et domestiques. Il n’y a plus que nous, et nous mourrons. Ce vote dit « fuck » à la nature comme à l’humanité dans les autres et en nous. Nous avons voté contre la maison commune, cadre de vie et habitants. Et nous voulons nous persuader qu’au contraire nous l’avons défendue ! Avec le fascisme, la vérité est dévaluée, trafiquée. Le mensonge est monnaie courante.

Le goût du mensonge l’emporte sur les saveurs d’un arbre à moutarde. C’est plus incroyable encore que la folie du Royaume. Nous marchons sur la tête. Nous en mourrons juste. Après tout, ce n’est pas grave : ce ne sera pas nous, mais nos enfants, dans quelques générations, ou demain, sur un champ de bataille. Seulement en écrivant et en vivant l’histoire du point du vue des perdants, la paix sera possible.

2 commentaires:

  1. et comment comprendre le vote massif des cathos pour l'extreme droite (40%) ? Que peut bien vouloir dire "être catholique" quand on soutien le rejet de l'étranger, de l'altérité et que l'on renonce à protéger toute création ?

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  2. Cher Patrick, très intéressante ton approche politique de cette parabole. On y voit se dessiner deux figures antagoniques qui correspondent à deux formes d’existence : l’arbre qui accueille tous oiseaux et l’épouvantail qui les chasse. La parabole du grain de moutarde dit la portée universelle du Royaume pas tant parce qu’il s’étendrait partout mais parce qu’il est inconditionnel. La semence de l’évangile est l’inconditionnalité de Dieu : un accueil qui comme ce grain de moutarde, n’a pas les apparences de grandeur ; un accueil discret, même intempestif, incalculable ; un accueil qui ne semble pas prometteur et pourtant, donne l’abri à une multitude de vivants, à tous ceux qui viennent y faire leur demeure.

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