Que peut bien avoir en tête Jésus quand il parle d’unité avec le Père ? Qu’il ait la vive conscience d’opérer un recadrage de la foi d’Israël ne fait pas de doute. Est aussi avéré que ce recadrage inscrit, au moins inchoativement, comme lieu de Dieu, la paix fraternelle, la charité, à commencer par les « pauvres ».
La parole de Jésus est acte parce qu’elle réalise, ne serait-ce que comme signe, ce qu’elle annonce. Avec les Douze, il rassemble dans l'unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11, 52). Avec eux et ceux qu’ils rencontrent ensemble, advient le monde nouveau. « Ne le voyez-vous pas ? » (Is 43, 19). C’est qu’il faut s’y livrer. La terre nouvelle et les cieux nouveaux (Ap 21) sont une vie nouvelle appelée éternelle.
La vie éternelle n’est pas après la mort. Maintenant, même vieux, il faut renaître et vivre de l’Esprit qui souffle où il veut, dont on ne sait ni d’où il vient, ni où il va (Jn 3). La vie avec Dieu, la vie éternelle, ce que Jésus vit avec les siens, avec et pour tous, est le lieu de Dieu. L’unité du Père et du Fils ponctue comme un refrain l’évangile de Jean.
Jésus pouvait-il se penser lieu de Dieu, penser vivre en vie éternelle ? Sa pratique de la charité comme monde nouveau l’atteste. La bonne nouvelle annoncée aux pauvres (Lc 4) et ce que cela suscite de nouveauté pour le monde indiquent, au dire de Jésus lui-même (Mt 11), la vérité de ce qu’il vit et dit de Dieu.
Dieu est délogé du ciel pour habiter le monde qu’il aime. Rencontrer Dieu, c’est aimer les frères. Dieu disparaît derrière les frères, ou plutôt, il se rencontre avec et par les frères. L’expérience du royaume, par ce que Jésus vit et fait vivre, permet d’oser dire, « nous et le Père, sommes uns ». Et nous vivons cela ! La volonté de voir en l’autre, au nom de Jésus, par lui avec lui et en lui, un frère, révèle ce monde comme sacrement du royaume.
L’union de Jésus avec le Père n’a de sens que pour être étendue à l’humanité. Il y en a assez des divisions destructrices, des guerres meurtrières, du mépris écrasant, humiliant, invisibilisant. L’unité – non l’uniformité ! ‑ est la forme de l’humanité manifestée lorsque la vie éternelle irrigue qui veut être fils et filles c’est-à-dire frères et sœurs. Dieu n’habite plus les sanctuaires célestes ou sacrés de sorte que même dans la mort et la haine, il est présent pour relever. Le céleste est devenu terrestre et inversement, l’éternel historique, et inversement, le sacré profane, et inversement. (Comment dès lors déplorer la perte du sens du sacré sans renier l’évangile ? Faut-il penser comme les païens ou les pharisiens ?)
Jésus pouvait-il se penser le lieu de Dieu ? Comment dire « moi et le père, nous sommes uns ? » Cela paraît démesuré. La démesure, s’il en est une, c’est celle de Dieu, sa proximité avec l’humanité commencée au premier jour de la libération : « j’ai vu la misère de mon peuple », qui est création non d’un peuple mais de toute l’humanité.
Seule la profession de foi de la communauté est capable d’affirmer pour Jésus que « le Père et moi, nous sommes uns ». Jésus alors est mort, parti. Ce qu’était sa vie, ce qu’était la vie avec lui, ça continue. Ceux qui ne l’ont pas connu et viennent plus tard vivent la même chose qu’en sa présence. Eux aussi savent qu’il est des actions qui donnent la vie (divine). Absent, mort, par eux, il retourne la mort et les injustices, identifié à ceux qui crèvent.
L’expérience de la fraternité en son nom, citoyens du monde nouveau, enseigne que le lieu de Dieu, c’est cet homme. Lui et le Père sont uns. Loin d’être une information dogmatique tombée du ciel c’est la conséquence de ce qu’il entraine à vivre.
C’est démesuré, incroyable. Les religions ne contesteraient pas a priori ce qui dépasse l’entendement, mais elles ne conçoivent pas que Dieu soit un avec nous, trouve sa joie à l’unité. Personne ne le connaît, et c’est par ce que Jésus a vécu et dit, qu’il est deviné aux vents des rues, lorsque le méprisé sourit d’être estimé, lorsque le sourire relève le défiguré.
Croire en Dieu et en celui qu’il a envoyé, c’est cela. Voir l’invisibilité du Père dans le sourire re-né. Nous croyons qu'ensemble, dans l'unité, nous sommes fils et filles ; nous croyons que l'unité est notre avenir parce la fraternité est la manière salutaire d'habiter ensemble le monde.
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