04/06/2025

Orphelin

 


Un mois et demi après la mort de François, je me sens orphelin. Que Léo (je préfère l’appeler ainsi, c’est moins vieillot) puisse être un nouveau père est évidemment légitime, mais il ne vient pas consoler la perte qui me fait orphelin. C’est la première fois que cela m’arrive depuis que je suis capable de penser ce que j’attends d’un Pape. Il ne s’agit pas ici d’hagiographie. Un père, des parents, ne sont bons qu’à l’être suffisamment. Ils le seraient parfaitement qu’il y aurait duperie, mensonge, perversion, mort.

Or, François est un de ses hommes qui m’ont rendu la vie, m’ont rendu plus aisé d’en être, disciple, prêtre. Il a manifesté (je n’ai pas dit que ses prédécesseurs ne l’avaient pas fait !) et beaucoup ont pu le voir, la charité, à commencer par ceux qui sont rejetés, marginaux. Sa dernière sortie du Vatican était pour les détenus. On l’a vu avec eux, mais pas pour les offices du triduum. La charité a ses priorités qui ne sont pas celles de la liturgie, parce que le culte qui plaît à Dieu, c’est la pratique… de la charité.

Depuis un mois et demi, je lis plusieurs textes instituant une doxa en train de s’imposer. Léo aurait été chargé de mettre l’unité là Francois aurait par son mauvais caractère et ses exagérations, divisé l’Eglise. La division existait avant le précédent pontificat, mais ceux qui critiquaient Benoît n’ont pas manqué de loyauté, n’ont pas été ses opposants ou adversaires.

La brutalité de François serait manifeste dès le discours de ses premiers vœux à la Curie qui dénonce les maladies de l’institution. Un appel à la conversion, même véhément, constitue-t-il une rupture de l’unité ? Mais laissons là.

La brutalité, intempestive plus qu’inacceptable de François, me paraît résider bien davantage dans son amour préférentiel pour les pauvres. Et ça, ça ne passe pas, quand on est riche. François n’aurait-il rien compris à l’Occident et en particulier à l’Europe, ou au contraire, aurait-il trop bien compris ? Il était heureux parmi les pauvres et les marginaux, les exclus et les défigurés, les pécheurs aussi, ceux du moins qui ne peuvent pas dissimuler leur état.

La théologie du peuple, comme on aime à dire pour ne pas encourir les foudres qui s’abattent sur la théologie de la libération, c’est la théologie à partir et avec les exclus de l’histoire. Mais alors, les riches se sentent exclus, puisqu’ils ne sont pas, comme ils le souhaitent à n’importe quel prix, les premiers. François ne les a jamais rejetés, mais certains se sont sentis tels parce que François n’est pas entré dans leur jeu. Pas besoin d’ailleurs de les dénoncer. La simple inaccessibilité de la première place les met hors d’eux. Et depuis 2000 ans, se déclarer pour les petits, cabossés, victimes, indignes, etc., est scandaleux, mal vu et suscite le rejet, est blasphème ; on fomente le désordre et la division. « Il fait bon accueil aux pécheurs et mangent avec eux. » Le très marial François avait écouté le Magnificat qu’il chantait chaque soir. « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. » 

C’est de cela que je suis orphelin.

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