13/06/2025

« Qui m’a vu a vu le Père » (Trinité)

 


De Dieu, on se fait toujours une image. Et il se pourrait que le Premier Testament, qui rapporte nombre de ces images, organise une chasse aux images. La pensée juive, à bien des égards, est une lutte implacable contre les idoles.

Cependant, attachés à la religion, juive ou autres, nous ne cessons, par nos pratiques et nos discours, de nous forger des images de Dieu. C’est une hydre, ses têtes se régénèrent doublement lorsqu’elles sont coupées. On n’en finit pas de purifier ce que l’on pense de Dieu qui n’est rien, rien de tout ce que l’on imagine. « Paul se releva de terre ; les yeux ouverts il ne vit rien, et ce néant était Dieu. » (Me Eckhart)

Les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres. S’ils ont un avantage, c’est leur attachement à Jésus qui est pour eux le chemin. Il est l’homme qui évangélisa Dieu. Il endosse l’iconoclasme juif, mais sa lutte intransigeante contre les images de Dieu passe par la charité. A l’école de prophètes, il identifie le souci de Dieu avec le souci des frères. Impossible d’aimer l’un en détestant les autres, de se dire disciple du premier en méprisant les autres.

L’évangélisation de Dieu par Jésus non seulement refuse les images que l’on se fait de Dieu – « Dieu, nul ne l’a jamais vu » – mais encore occupe la place de l’image divine par le visage des frères et sœurs. Il va de soi qu’ils ne sont pas Dieu, qu’il serait sacrilège d’en diviniser l’un ou l’autre. Mais en lieu et place de Dieu, ils interdisent que l’on se fasse une image de Dieu autre que celle de son visage tourné vers nous, à commencer ceux dont depuis toujours il a vu la misère, en Egypte mais aussi dès le meurtre d’Abel.

Pour parler de Dieu, pour imaginer Dieu il n’y a pas d’images sinon les visages, en premier des défigurés de l’histoire. Tout le reste est sacrilège ou hypocrisie, insulte contre Dieu ou opium.

Est installée par la pratique que Jésus a de Dieu, une altérité en Dieu. Le visage de l’humanité souffrante est l’image du Dieu que nul n’a jamais vu. Cela en dit long sur Dieu ; c’est un recadrage du sans visage aux mille visages. Dieu est proche au point de n’être pas séparé du sort de l’humanité. Leur destin sont liés : quand l’une meurt, l’autre agonise. Il n’impose rien mais libère, veut les hommes et les femmes libres. Il guérit au lieu de condamner et punir, se retire plutôt que de paraître despote, laisse la place à ce qu’il n’est pas et n’aime pas les hommages et louange. La louange qui lui plaît, c’est les hommes vivants.

Cela dit aussi l’unité et la différence de Dieu. Il s’unit avec l’humanité, ce qu’il n’est pas, pour ne faire qu’un avec elle. « Jésus fut le corps historique de Dieu, l’actualité plénière de Dieu parmi les hommes. Et l’Eglise doit être le corps historique du Christ de la même manière que Jésus l’a été de Dieu le Père. »

Cette énormité théologique n’est rien d’autre que ce que l’on s’est mis à appeler Trinité. Jésus est la chair humaine de Dieu, et par l’Esprit, l’Eglise des pauvres à sa suite.

L’Esprit anime encore le corps du Christ, l’humanité comme prémices du Royaume. Les disciples – conscients de l’être ou non – sont appelés à être ce qu’il a été, à vivre ce qu’il a vécu, « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ».

« L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu », à la suite de Jésus, chair de Dieu en ce monde, et « les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. » L’Esprit nous fait nous souvenir de tout ce que Jésus a dit pour que fleurisse le salut, non pas demain, extra-terrestre, extra-historique, mais aujourd’hui.

La bonne théologie enseigne que nous connaissons Dieu non en lui-même mais en tant qu’il est pour nous. Si nous disons Dieu Trinité, alors nous sommes chargés, habités par l’Esprit, d’être pour les autres.

 

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