Prière.
Entrer dans le silence.
La prière et le silence, non comme temps et lieu de la rencontre avec Dieu. Les
païens certes diraient cela.
La prière comme temps et lieu de l'excitation du désir de la rencontre. La
rencontre a lieu avec les frères et sœurs, quand en eux son visage se découvre,
ses bras se tendent, son corps est à soigner ou bercer.
Respirer, paisiblement, dans et pour la paix intérieure. Se taire, regarder,
même les yeux fermés.
Ne penser à rien, ne rien dire. Surtout pas de prière, comme les païens.
Ecouter le silence, seulement tourné vers l'Orient d'un monde nouveau, du jour
nouveau.
On peut ne pas s'y rendre par découragement du vide. Combat, agonie. Qui
pourrait être attiré ?
S'ennuyer ou dormir, comme sur la montagne de la transfiguration ou le mont des
Oliviers.
S'y tenir tout de même pour être consumé de désir, se déloger, faire de la
place au cœur, au centre. Exercice préparatoire à l'hospitalité.
*
Le sens, c'est la religion.
Le sens, c'est un truc pour se repérer, quand c'est possible. Le reste du
temps, hagard, on met un pied devant l'autre pour ne pas tomber. Pourquoi ici
plutôt que là ?
On ne suit pas Jésus pour donner du sens à sa vie. Expression de riches qui
peuvent choisir le sens qu'ils veulent donner et ne se le voient pas imposer
par les circonstances, le monde qui broie.
Avec Jésus, le non-sens n'est pas dissipé. Il n'est pas nié. C'est si souvent
notre vie, la vie.
« Mon Dieu, pourquoi ? »
Jésus n'est pas résolution, solution.
Il ne dit rien de l'enfant mort de faim ou d'un obus. Il laisse les siens dans
la sidération du mal. Pas de sens ni d'explication du mal. Sa brutalité.
On ne suit pas Jésus pour le sens. L'attachement à lui est pour rien, gratuit,
grâce.
Où alors, on en fait une idole.
Refuser de donner du sens à l'insensé, au non-sens, c'est une insurrection,
celle où s'entend la résurrection, se réveiller, se relever, se lever.
Loin de la religion qui organise, sait, dicte, ordonne, des semelles de vent
pour courir au secours de ceux qui ploient sous le fardeau, pour jubiler avec
ceux qu'un hiver, comme le printemps, enchante.
Qui le saura ? Qu'importe ?
« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit, Elle n'a
souci d'elle-même ni ne demande si on la voit. »
Et cependant, et ce faisant, témoin de la gratuité, hospitalière.
Le disciple ne sait plus rien, surtout de Dieu. Qu'il n'adore pas une idole
!
Il sait un peu ce que Dieu n'est pas, ne croit rien de ce que tous appellent
dieu, tâche de ne pas prendre des vessies pour des lanternes.
Il sait que d’autres comme lui, avec lui, cherchent aussi.
Il a mal à habiter le néant, mais qu’existe-t-il d’autre puisque tout est
trahison de Dieu ?
« Jésus est devenu le symbole de l’humanité souffrante, persécutée, niée. Faut-il
donc avec Pascal, aller vers ce qui meurt en soi pour toujours ? Ne jamais
dormir, ne jamais être certain, ne jamais savoir, ne jamais accepté d’être
consolé à bon compte, mais seulement partager notre vertige avec qui le vit.
[…] Comment vivre ? Sinon en continuant d’écouter ces voix d’une agonie
qui n’en finit pas et demeurer ainsi dans une veille qui scrute le moment de
l’accomplissement inachevé qu’est notre vie. »
Il y a les amitiés, les amours. Ce qu’elles disent de lui ne sont pas des mots, mais la brûlure, l’incandescence d’exister par l’autre depuis que son nom est amour.
Concentré et libre, le disciple se contente de mettre ses pas dans ceux de
Jésus, sans savoir où il va « marcher comme lui, Jésus, a marché ».
« Il est passé en faisant le bien », humain au point d'être divin.
Frère universel, il désigne un autre, « non-autre » plus que
tout-autre, étranger, voyageur, père ou mère, bras déjà et toujours ouverts
pour tous.
De ce Dieu et père, c'est tout ce que nous devinons. « Devant et avec
Dieu, nous vivons sans Dieu »
Un tel silence que l'on ne sait plus rien, sinon lui. Et encore, nous ne
faisons que chercher celui que le cœur aime, impossible de l'assigner à
résidence, de lui mettre la main dessus. Nous le condamnerions de nouveau.
Personne, surtout pas le disciple, ne le possède, n'en est propriétaire. (Je l'ai bien eu, je l'ai possédé ! Et que signifie posséder quelqu'un si ce n'est le réduire à l'esclavage.) Il a
toujours un visage nouveau, celui des frères et sœurs, à commencer par les plus
défigurés. Il nous échappe, précède.
Illustrations Françoise Petrovich
Merci pour tous ces témoignages dont je me nourris.
RépondreSupprimerIl se trouve que j'ai écris, dans mon dernier livre (Rien ne sert de courir, les impliques-l'Harmattan mars 2025): "Petit, prends donc le large. Les arbres t'apprendront la patience et la paix. Le saut de la biche, à l'aube, t'orientera vers la joie. Le vent, et tu ne sais ni d'où il vient ni où il va, sera ton désir, ton chant. Tu renoueras avec Baiame, l'Esprit de l'Emeu des aborigènes millénaires, autant qu'avec celui des moines du Népal, celui des moniales des pays de Loire ou des Alpes, celui qui est intime à toi même, et tu iras, foulée après foulée, avec Bach, vers une joie qui demeure..." Prière.