08/10/2025

Choc culturel. La famille, héros du catholicisme.


Le hasard fait que je relis l’éloge de l’amitié que G. de Lagasnerie fait dans son Aspiration au dehors (Flammarion, Paris 2023), alors que je participe à une rencontre de prêtres. Choc culturel assuré dont sortent les quelques remarques sans prétention suivantes. Plutôt que d’opposer la déconstruction (assez partiale) de la famille au profit de l’amitié, je demeure comme arrêté par la proximité, au moins sur tel ou tel point entre le discours du sociologue et l’évangile.

Je ne suis pas certain que les chrétiens auraient intérêt à suivre en tout l’éloge de l’amitié. En revanche, ils feraient bien d’entendre la critique de la famille.

Quel discours Jésus tient-il sur la famille ? La question est d’importance quand on mesure combien pour l’Eglise la famille en bonne et due forme est un modèle et combien toutes les unions irrégulières posent problème. L’attitude accueillante de François à l’égard de ceux qui sont engagés dans un lien irrégulier redouble l’intérêt de la question. Il ne change pas la doctrine, et même la suit, puisqu’il pratique un accueil inconditionnel ainsi que Jésus le prêche en paroles et en actes. Il hiérarchise la loi par rapport à la vie, puisque le Fils de l’homme et maître même du sabbat.

Mais voilà que les plus frileux voire réfractaires au discours de François s’en inspirent désormais. Non pour admettre à la communion, car là, on touche de trop près au sacré. Mais il y a un élément nouveau, l’afflux de catéchumènes. Et nombre d’entre eux vivent une situation relationnelle problématique aux yeux de l’Eglise, relations sexuelles hors ou avant mariage notamment. On ne va tout de même pas leur fermer la porte au nez, surtout que ces personnes, souvent jeunes, apparaissent comme la preuve du renouvellement de l’Eglise par Dieu lui-même.

Je n’entre pas ici dans la question de savoir si Dieu est pour quelque chose dans l’augmentation, certes réelle mais tout de même encore fort confidentielle rapportée à la population, du nombre de catéchumènes. Est-il évident qu’il y a une soif spirituelle ? Dans l’entreprise, par exemple, pas certain qu’on la voie. Les collègues de travail provoquent-ils les chrétiens avec qui ils bossent à rendre compte de l’espérance qui les animent ? Peu importe ici, si ce n’est pour situer le cadre dans lequel je pose la question : Quel discours tient-il sur la famille ?

 

Force est de constater que Jésus malmène les liens du sang.

Lc 11, 27-28 « Or il advint, comme il parlait ainsi, qu’une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : "Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés !" Mais il dit : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent !" »

Mc 3, 31-35 « Sa mère et ses frères arrivent et, se tenant dehors, ils le firent appeler. Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit : "Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont là dehors qui te cherchent." Il leur répond : "Qui est ma mère ? et mes frères ?" Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : "Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère." »

Outre le renvoi de la fraternité et de la filiation biologique, remarquons que la mère de Jésus, figure tellement exaltée, fait partie de ceux qui veulent faire taire Jésus. On ne le dit jamais, alors même que c’est « parole d’évangile ».

On pourrait aussi faire valoir que selon le mythe de la conception virginale, Marie est mère célibataire, que Joseph est l’homme d’une famille recompose ou décomposée.

Bref, on ne voit guère de quoi fonder le modèle catholique de la famille.

Lc 14, 26 « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. »

Je ne cite pas les parallèles et me contente de ces trois textes explicites. Je ne pense pas que l’on trouverait un passage qui aille dans le sens de la promotion de la famille, si ce n’est la citation de la loi « honore ton père et ta mère », toujours pris dans une controverse avec ceux qui cherchent noise à Jésus, veulent le mettre à l’épreuve ou montrer qu’ils sont justes.

Dans la littérature paulinienne, on parle au moins à cinq reprises d’adoption. Si famille, il y a, ce n’est pas celle du sang, mais celle du Père dont Jésus est « l’aîné d’une multitude des frères ». Rm 8, 29. On sait que ces textes sont plus anciens que les évangiles. Mais ils développent la même théologie. Si famille il y a, c’est pour parler de fraternité, fils et filles d’un seul Père.

Jésus relègue la famille du sang et dessine l’humanité comme famille. Il maintient l’usage du vocabulaire, n’opte pas par exemple pour celui de l’amitié, parce que l’amitié est élective, alors que la reconnaissance de la fraternité universelle s’impose comme une confession de foi : « vous n’avez qu’un seul père » et « vous êtes tous sont frères » Mt 23, 8-9

 

L’évangile ne dit rien de la Sainte Famille. Tout ce que l’on en sait est le modèle de la famille que nous avons projeté dans le ciel. Feuerbach a démonté ce genre d’idéalisation par divinisation dont le christianisme a le secret. Si la Sainte Famille a un sens, ce n’est pas par la canonisation de Jésus, Marie et Joseph, mais comme vocation de l’humanité. C’est une affirmation morale et politique. Il est impossible de vivre autrement qu’en frères si l’on se dit fils du Dieu et Père de Jésus.

Je trouve surprenant que l’on ne considère jamais dans l’Eglise les familles dysfonctionnelles comme naturelles, mais toujours comme des exceptions à ce que devraient être une famille. On a effectivement, loin de ce qu’offre l’observation, idéaliser la famille et tout ce qui n’entre pas dans le cadre merveilleux qu’évidemment elle offre, n’a rien de systémique, comme l’on dit désormais, mais n’est le fait que de moutons noirs.

Alors que l’on fait mine de croire que désormais on se marie par amour, on a oublié que pendant des millénaires et jusqu’à récemment, les femmes étaient l’objet d’échanges entre familles, que les hommes ne choisissaient par leurs conjointes. Il faudrait dater l’émergence du discours catholique sur la famille. La fête liturgique de la Sainte famille est instituée en 1893 et il y a fort à parier que le repli de l’Eglise sur la chambre à coucher pour gouverner les consciences alors qu’elle a perdu son pouvoir sur le monde politique coïncide avec l’inflation familiale qui détermine une si grande partie du discours et de la pratique ecclésiale. (On repère habituellement le début d’une dévotion à la Sainte Famille au Canada, à la fin du 17ème siècle.

On devra sans doute aussi lire un peu de la critique sociologique de la famille. C’est un lieu de transmission par reproduction à tous les sens du terme, et biologique et culturelle. On reproduit le cadre social, les manières de penser, le métier du père, etc. Le culte de la famille, en dehors même de tout aspect religieux est ressort conservateur. Elle consacre jusqu’à récemment la figure de pouvoir du pater familias. Elle inculte une forme de hiérarchie sociale guère démocratique. La crise de l’adolescence est autant celle du devenir adulte de l’enfant que celle de la critique de l’inégalité injuste des positions dans la famille. Et encore, le droit d’aînesse a perdu bien de ses compétences, même si par exemple, plusieurs monarchies demeurent agnatiques. En plus de l’inégalité de rang, il y a celle du sexe.

On sait bien que tous les enfants ne naissent pas d’une union officielle entre un homme et une femme, mais on ne veut juridiquement et pratiquement rien en savoir, avec la présomption de paternité et le refus d’héritage pour les enfants naturels en France jusqu’en 2001. Le mariage dit qui est héritier de sorte que les concubins ne peuvent hériter comme les époux. La famille est sans doute fondée sur les lois du sang, mais pas uniquement. Elle est une fiction juridique. Quelle famille l’Eglise catholique défend-elle ? Celle du sang, contre le propos de Jésus ou une fiction juridique ?

On pourrait imaginer qu’elle trouve dans les familles adoptives, voire recomposées, un modèle plus évangélique que la loi du sang et la primauté autoritaire de l’un sur les autres.

 

La critique de la famille par G. de Lagasnerie, je la repère chez François d’Assise, pas au nom de l’amitié, mais de la fraternité, tout spécialement comme force de subversion, de contestation. Pour François, c’est la subversion évangélique. Il découvre dans la rencontre avec le lépreux ou le loup de Gubbio, la fraternité avec les infréquentables et cela l’amène à contester la société, à la quitter, elle et ses évidences. Cela ouvre de nouvelles manières d’exister en société.

La fraternité selon François est un renversement des valeurs sociales, une contestation, une protestation. Ces valeurs de la cité marchande et bourgeoise d’Assise prétendent pourtant bien être une forme de la fraternité, mais cette dernière n’est possible que par l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas du même monde. Les marchands d’Assise sont frères à condition de ne pas l’être avec tous. Ces valeurs portent en elles un poison qu’elles instillent et la société d’Assise, comme notre monde, vit de ce qu’elle loue pour mieux le rejeter.

« On ne peut comprendre la signification sociologique, et surtout l’importance existentielle de l’invention de nouveaux modes relationnels qu’à condition de l’intégrer à une problématique renouvelée de la question de l’utopie et de l’aspiration à devenir autre. Lorsque nous venons au monde, les cadres sociaux nous précèdent. Nous sommes produits comme sujets vivants et aimants à l’intérieur de formes instituées : la société est là, elle nous entoure et détermine nos manières d’être, de penser et de sentir - et le sentiment que nos vies vécues sont des vies volées, pré-délimitées, soumises au pouvoir de l’autre, que nous avons finalement très peu de prise sur elles hante la théorie politique, l’éthique, et peut-être au fond chacun d’entre nous, intimement. Et si l’amitié comme culture formait l’une des réponses pratiques à la question de la possibilité d’expérimenter d’autres modes de vies ? Si elle fournissait un point d’appui à l’invention de soi, à la possibilité de vivre autrement et donc, en un sens, à sortir de la société. » (pp. 46-17)

 

 

Caravage, La sainte famille avec le Baptiste vers 1605 

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