10/10/2025

Dire Merci pour le plaisir Lc 17, 11-19 (28ème dimanche du temps)


Dix lépreux, comme une totalité. Une totalité parce que d’une manière ou d’une autre, chacun a sa lèpre et que personne n’est pur, puisque la lèpre, avant d’être une pathologie, une maladie, est une impureté, un défaut moral et religieux, une exclusion de la société (des purs).

Pour lire cette histoire qui pourrait fort bien être une parabole bien, il faut commencer par prendre la mesure de l’enfermement de l’humanité par la totalité de la dizaine dans le monde de l’imperfection ou de la souffrance, du manquement ou de l’exclusion. Tous – todos ‑ l’humanité, le peuple de la Première alliance bien sûr et un hérétique, l’autre.

Une société tout entière hors d’elle, la société humaine entière exclue de l’humanité, inhumaine. Ce n’est pas difficile à penser ; il suffit que l’on se regarde sans se comparer aux autres, que l’on accepte, sans culpabilité ni vergogne, de se regarder avec vérité. La rencontre a lieu dans un no-man-land, ni Samarie no Galilée, ni l’étranger ni la patrie, mais les confins.

Tous sont purifiés, guéris ou rétablis dans l’orbe de la pureté. Pas de contrition, dont il faut vérifier l’authenticité. Juste un crie de douleur, un appel aux entrailles : « Pitié ». Et, pris de pitié devant tant de morts, la vie. Pas même besoin d’observer la loi pourtant rappelée. C’est en allant au temple qu’ils sont purifiés. Gratuité et discrétion. Ils ne sont plus devant Jésus quand ils sont rétablis, quand la société est rétablie selon la dignité de chacun.

On se demande ce que le Samaritain est allé faire au temple, ce n’est pas là qu’il adore. On se demande comment Jésus sait qu’il y a un Samaritain. On se demande si les neuf autres se sont rendu compte de leur rétablissement. Ces questions ne sont pas celles de Luc.

Mais un seul revient pour remercier. Enfin, c’est bien légèrement traduit. Pour rendre grâces, pour eucharistier. C’est bien important cette affaire, alors que nous sommes si peut nombrer à célébrer l’eucharistie dans nos sociétés. Déjà un ratio faible, très. Mais peut-être ne savons-nous pas que nous remercions. Dès le passage du grec au latin, la fraction du pain n’est plus perçue comme un merci, un remerciement, eucharistô. Ce n’est pas nouveau.

Jésus fait exprès de toujours mettre les étrangers méprisés comme héros, il n’arrête pas de provoquer les autochtones qui n’ont rien à se reprocher en leur proposant comme modèle tout ce qu’ils détestent. Par son merci, le Samaritain s’entend dire qu’il a la foi et que c’est elle qui l’a sauvé. Les autres aussi ont été sauvés, mais sans la foi, pas par la foi. Sauvés par la seule et gracieuse action de la gratuité. C’est une constante de Luc, le Père qui est bon fait tomber la pluie pour les méchants et les ingrats. Il n’y a pas les bons et les méchants, comme dans ce peuple que la dizaine présente, tous lépreux.

Sauvé par la foi en plus d’être sauvé par la gracieuse gratuité, le Samaritain. Pour lui aussi, Dieu ne regarde pas à la dépense, se dépense sans attendre d’autre récompense que celle de savoir qu’il n’a fait que son devoir, comme le serviteur inutile dont Luc parle juste avant.

Le dieu inutile, le remerciement inutile, l’eucharistie inutile, mais la seule fête de pouvoir dire merci, la seule fête de pouvoir dire merci et de pouvoir entendre un merci. Notre présence à la fraction du pain pour la simple joie de l’échange du merci. Serviteurs inutiles non parce que ce que nous aurions accompli comme service serait insignifiant, mais parce que le merci relève du gratuit, du gracieux, de la grâce.

La foi qui sauve est celle précisément qui ne se quantifie pas contrairement à ce que laisse entendre la demande « Augmente en nous la foi ». La foi qui sauve est l’entrée dans le jeu de la grâce, comme les amants, les amis, les parents, quand du moins, ils ne se servent pas de l’autre ni ne lui sont asservis, mais entrent dans le jeu de la jouissance pure, du pur amour. Impossible, certes, horizon cependant.

La seule jouissance du sans-pourquoi qui déroute le sens pour que jubilent les sens, être pour et avec l’autre, présent ‑ un autre nom du don. La gloire de Dieu c’est l’inutile qui fait vivre.


Ferdinand Desnos, 1954, La Cène sur la Seine.
Je ne trouve pas de Cène eucharistique, au sens étymologique, remerciement. Ici, il y a beaucoup de monde, la jouissance du repas partagé.

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