26/02/2012

Le ministère et la vie des prêtres (50 ans Vatican II n°7)

1. La mission
Le décret Presbyterorum ordinis sur le ministère et la vie des prêtres (7 décembre 1965) parle toujours des prêtres au pluriel[1]. Le ministère n’est pas un pouvoir conféré individuellement mais l’appartenance à un collège (§ 8) dont le but est de seconder l’évêque dans le service de la communauté. Il n’y a pas d’ordination (ni de vocation) sans mission. Toujours le décret tient ces mots ensemble. Les rédacteurs (dont Mgr Marty, Mgr Vilnet, H. Denis) le structurent autour de la mission. C’est pourquoi le rapport à l’évêque, qui est si manifeste dans la concélébration, est capital (§ 7).
La mission n’appartient pas en propre aux prêtres, mais à l’Eglise qui la reçoit du Christ ; elle consiste dans l’annonce de l’évangile (§ 2). Même si leur nombre est suffisant, les prêtres ont moins à faire eux-mêmes qu’à faire en sorte que l’Eglise remplisse sa mission, par l’enseignement (catéchèse, homélie, groupes de préparation au baptême, groupes de réflexion sur la foi et la vie, etc.), par l’engagement dans la cité, prioritairement au service des plus pauvres (souci de la cellule familiale, actions caritatives, éducatives, etc.), par son organisation (collaboration entre prêtres et laïcs). Le prêtre n’est plus d’abord défini par l’eucharistie ; la charité pastorale caractérise son attitude (§ 14). Les prêtres sont ordonnés à la fraternité et à la mission pour que l’Eglise soit ferment et promesse de fraternité (§ 9).
Le ministère est la source de la vie des prêtres et non l’inverse. De même que les chrétiens sont sanctifiés dans leurs engagements familiaux, sociaux, associatifs, ecclésiaux, etc., de même les prêtres trouvent leur sanctification dans le ministère (§ 12, 13)[2]. De cette source découle l’identité des prêtres. Le ministère ne peut être épuisant au point qu’il faudrait recharger les batteries dans des exercices spirituels. On ne saurait opposer ni distinguer spiritualité et ministère à l’unification duquel la relecture de vie est nécessaire (§ 14).


2. Qu’est-ce qu’être prêtre ?
Penser l’Eglise comme peuple de Dieu, toujours à convertir, ne pouvait pas ne pas avoir des conséquences sur la conception des ministères. La vocation universelle à la sainteté par la consécration baptismale concerne tout baptisé quel que soit son état de vie. Lumen Gentium confesse la dignité et la mission du peuple de Dieu avant d’envisager les ministères qui sont à son service en le structurant. Certes, le décret, étudié qu’à la troisième session, bénéficie du travail sur la liturgie, l’Eglise (Cf. LG 10, 28 et 41) et les évêques. Mais son élaboration tardive et trop rapide se repère dans le manque de concision et d’unité du texte final qui ne peut apparaître comme un grand texte[3].
Les prêtres chrétiens ne sont pas des médiateurs ou des intermédiaires entre Dieu et les hommes, chargés d’offrir les sacrifices ; ils n’ont rien à voir avec ce que l’on rencontre dans les religions. L’Eglise, peuple sacerdotal, (1 P 2,9 ; Ap 1,6) ne peut avoir d’autre médiateur que le Christ. Le sacrifice des chrétiens est spirituel (Cf. Rm 12,1 cité § 2), don qu’ils font d’eux-mêmes pour le service de leurs frères et la gloire de Dieu par l’annonce de l’évangile.
Les différents schémas qui aboutirent au décret se sont intitulés : de clericiis, de sacerdotibus, de vita et ministerio sacerdotali, de ministerio et vita presbyterorum. On abandonne le terme juridique de clerc, donc la distinction qui paraissait si fondamentale entre clercs et laïcs. Puis on relègue le vocabulaire du sacerdoce pour parler de presbytérat.
En français, le mot prêtre traduit deux mots grecs ou latins repérables dans les adjectifs sacerdotal et presbytéral. Le Nouveau Testament n’emploie jamais le vocabulaire sacerdotal pour les ministres chrétiens comme si on avait voulu rompre avec les religions, tant le judaïsme que les cultes païens. On parle d’anciens (presbyteros), mais aussi d’épiscopes, de prophètes, de docteurs, d’apôtres, etc. Le décret conciliaire reprend cet usage réservant, avec l’épître aux Hébreux, le sacerdoce à Jésus et appelant certains ministres des prêtres (anciens). Il s’agit d’une véritable conversion lexicale et théologique[4] d’autant que le traité du sacrement de l’ordre insistait sur le prêtre (sacerdote) qui a le pouvoir d’offrir le sacrifice de la messe.
A la manière des premiers chrétiens, le concile appelle ministère[5], c’est-à-dire service (en grec diakonia qui donne diacre), la charge des prêtres, des évêques et des diacres. Les ministres sont des serveurs de la Parole, ceux qui font passer la Parole du Seigneur comme on passe les plats au restaurant, ou comme un serveur internet qui organise les communications.
Un schéma vertical, où le prêtre est un homme séparé que l’on définit par son pouvoir indépendant de la communauté (Dieu ↔ Apôtres ↔ sacerdote ↔ peuple) est remplacé par un schéma communautaire : l’Eglise unifiée par la Trinité est une communion de vie organisée ; certains en son sein sont à son service et n’ont pas plus de dignité que les autres (§ 9). « Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. Le premier titre est celui d’un office, le second d’une grâce. L’un est source de danger, l’autre de salut. » (St Augustin cité en LG 32)


3. Pour aujourd’hui
Deux théologies cohabitent dans le décret quand elles ne s’affrontent pas. Malgré la perspective missionnaire, le prêtre demeure l’homme du sacré ou l’homme de Dieu. Le concile n’a pas voulu rejeter une théologie qui définit profondément l’identité catholique depuis le 11ème siècle et a mal su la réorienter. Il s’est contenté, prix du compromis, d’intro-duire une perspective néotestamentaire et patristique. A côté de cette théologie, confirmée par l’enseignement de st Thomas (+ 1274), canonisée par le concile de Trente (sessions de 1562-63), dont la figure ascétique et pastorale du curé d’Ars (1786-1859) constitue un véritable étendard, on perçoit l’esprit du concile, le sens dans lequel le concile avait souhaité aller.
Trente s’était contenté de contester Luther et n’avait pas proposé pas de théologie systématique. Vatican II corrige cet anti-protestantisme, faisant sien ce qui dans la protesta-tion luthérienne est aussi catholique, valorisant par exemple la prédication de l’évangile (dont on parle avant de parler des sacrements). Même bien posée, l’articulation du corps eucharistique et du corps ecclésial du Christ ne suffit pas à comprendre l’Eglise au service de l’humanité (Cf. Lumen gentium) ; or les prêtres comme l’Eglise ne peuvent pas être compris en soi ; la mission des prêtres est seconde, dérivée, leur ministère est relation.
Une crise couvait et peu comprirent qu’on avait besoin d’exprimer le sens du ministère, une théologie des ministères, tant était évident qu’on savait ce qu’est un prêtre. Les problèmes auxquels le clergé était confronté seraient résolus par des prescriptions et conseils, réclamés dès la période préparatoire et jusqu’au vote final. Souvent lénifiants bien que non sans fondement, ils ne répondaient nullement aux défis de la crise de société (mai 68, fin des Trente glorieuses, fin d’une Europe rurale dont le clergé était majoritairement issu, etc.) qui secoua violemment l’Eglise et notamment les prêtres[6], ni au changement de théologie dont le concile lui-même était responsable. La déchristianisation, la crise de l’autorité (y compris ecclésiastique) et les affaires de pédophilie ont aggravé les choses depuis.
Si l’on n’est pas meilleur chrétien à être prêtre, le ministère s’inscrit dans l’ordre de la gratuité, à la limite de l’inutilité. Les prêtres alors sont, fort traditionnellement, au service (Cf. Mt 20,28 cité § 9) de l’Eglise pour qu’elle s’attache à sa mission. Ils inscrivent par le service, par leur ministère, que l’Eglise est la convocation du Seigneur. L’annonce de l’évangile prend aujourd’hui dans les sociétés opulentes la forme d’une contestation de l’efficacité et d’une promotion de la gratuité, de la grâce, c’est-à-dire de Dieu lui-même. Par leur ministère et leur vie, les prêtres s’effacent derrière la mission de l’Eglise. Ils sont chargés de rappeler à l’Eglise, et de vivre, l’attitude du Baptiste : il faut qu’il croisse et que je diminue (Jn 3,30).


[1] Il y a des exceptions à cet usage qui laissent percevoir que le concile n’est pas parvenu à une expression homogène. Lorsque l’on parle de la présidence de l’eucharistie, alors le prêtre agit en place du Christ. Dans l’Eglise ancienne, à part peut-être chez Ambroise, on n’oppose jamais in persona Christi et in persona ecclesiæ.
[2] « C’est l’exercice loyal, inlassable de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique de la sainteté. »
[3] Cf. l’analyse rigoureuse et sans appel de P. Hünnerman dans le dernier volume de Alberigo en 2005.
[4] Curieusement, cette conversion n’empêche pas le concile d’employer pour les prêtres des termes réservés au Christ par la lettre aux Hébreux modifiant voire déformant la citation par l’usage du pluriel (§ 3). Benoît XVI a organisé en 2009 une année sacerdotale et non presbytérale.
[5] Minis signifie petit et s’oppose à magis, dont dérive magistère qui désigne les charges importantes.
[6] Les évêques ont été incapables de se mettre d’accord au synode sur les prêtres (1971), notamment sur le célibat, dont Paul VI avait demandé que l’on n’en parlât pas dans la discussion publique du décret en 1965.

11/02/2012

De la maladie à la fraternité (6ème dimanche)


Nous n’en avons toujours pas fini avec le premier chapitre premier de l’évangile de Marc commencé il y a cinq semaines voire plus.
Les versets 1 à 8 ont été lus lors du deuxième dimanche de l’avent, le 4 décembre dernier. Nous n’avons pas lu les quelques versets suivants sur le baptême de Jésus. Cette année, cette fête ne tombait pas un dimanche.
Lors du 3ème dimanche ordinaire, le 22 janvier, nous avons lu l’appel des premiers disciples, les versets 14 à 20. Le dimanche, suivant, les versets 21 à 28 avec un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm qui se termine par l’expulsion d’un esprit mauvais. Dimanche dernier, les versets 29 à 39 ; après la guérison de la belle mère de Pierre et de nombreux malades ou possédés, Jésus sort seul pour prier. Rejoint pas les disciples qui le retrouvent, ils vont dans d’autres villages.
Aujourd’hui enfin, sixième dimanche, les versets 40 à 45. Nous achevons le chapitre. Le suivant nous ramènera à Capharnaüm où une nouvelle page s’ouvrira. Nous venons d’entendre qu’un lépreux a été guéri.
Ce petit retour en arrière permet de prendre conscience de la rapidité extrême du premier chapitre de Marc. Quarante cinq versets. Cela tient sur une page. Un texte court donc même s’il nous a fallu cinq dimanches le lire. Mais après la lecture de la page, on a envie de s’asseoir pour reprendre son souffle. Le texte n’a pas arrêté : Ouverture de l’Evangile, présentation du Baptiste, baptême de Jésus, tentations au désert, première prédication de Jésus, appel des premiers disciples, arrivée à Capharnaüm et enseignement à la synagogue, guérison de la belle-mère de Pierre et de nombreux malades, libération d’un possédé, prière de Jésus, recherche des disciples et départ pour d’autres villages, guérison d’un lépreux, toute la contrée parle de lui, il se réfugie dans le désert.
Qui dit mieux ? Tour de force littéraire de Marc qui ne se contente pas d’une énumération mais qui prend le temps de raconter tant d’anecdotes, en quelques mots, de sortes que l’on voie vraiment Jésus et le visage de ceux qu’il a rencontrés. Nous n’avons pas parcouru, en lisant le chapitre, une liste de choses faites, mais nous avons vraiment assisté a de vrais moments de rencontres. Toutes les fois Jésus s’arrête, semble prendre son temps. Se promener le bord du lac ne se fait pas en trois secondes ! Le rythme est encore ralenti par la halte de la prière et le refuge dans les endroits déserts qui restent vides même d’actions.
Marc n’avais pas perdu de temps, si je puis dire, à parler de l’enfance de Jésus. Il nous le présente au moment où il quitte le Baptiste et prend son envol. Mais là, tout en prenant son temps, il n’arrête pas de rencontrer et de guérir. A peine Jésus est-il remonté de l’eau qu’aussitôt une voix se fait entendre et le met en route. Aussitôt, le mot reviendra dix fois dans la trentaine de versets qui suit, pratiquement une ligne sur trois. C’est comme si, depuis la nuit des temps, retenu par quelque impossibilité, Dieu, entrant dans l’histoire, se hâtait de rencontrer chacun, de guérir tous les malades, d’appeler tous les hommes à la fraternité sans rien perdre de sa vie intime, le colloque du Père et du Fils dans l’Esprit. Sa vie intime, c’est la vie de l’humanité, c’est-à-dire une humanité fraternelle.
Plus qu’un jaillissement hors de starting-blocks, c’est la force tranquille de multiples rencontres personnelles. Dieu enfin se livre sans réserve à ce que depuis toujours il projette, vivre avec les hommes, vivre au milieu des hommes. Il rêve de cela depuis toujours. Certes, les hommes ont bien essayé de vivre avec lui, mais ça ne marche pas très bien. Alors, le seul moyen, c’est que lui vienne.
Mais là, lorsqu’il arrive, c’est fou ce qu’il y a à faire : révéler à l’humanité qu’elle est une fraternité, geste ébauché par l’appel des quatre frères ; restaurer tout ce qui est tordu. Et c’est fou le nombre de malades, possédés, fiévreux, lépreux que Jésus croise. Et l’on n’a pas encore vu les sourds, les aveugles et les muets, les paralysés, les boiteux, les épileptiques… On dirait qu’il n’y a que des malades sur terre !
Il faut que tous ces malades deviennent frères. Voilà leur salut. Voilà le chemin que Jésus a parcouru à toute vitesse, par son petit tour en Galilée, autour de Capharnaüm, de la maladie à la fraternité, c’est-à-dire à la vie, à la guérison, à la jouissance de l’existence.
Marc vient de nous présenter le programme. Voilà ce à quoi nous assisterons si nous lisons les chapitres qui suivent : le chemin qui conduit de la maladie à la vie, c’est-à-dire à la fraternité. C’est bien ce qui se passe pour le lépreux d’aujourd’hui. De malade et exclu, il est réintégré dans la fraternité humaine ; ainsi du commencement de l’évangile de Jésus Christ.
La semaine prochaine, en entrant de nouveau à Capharnaüm, d’autres rencontres et d’autres aventures…

04/02/2012

Malheur à moi si je n'annonce pas l'évangile (5ème dimanche)


Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile.
C’est une drôle d’exclamation. N’est-elle pas à ce point exagérée qu’elle en perd toute signification ? Franchement, qui d’entre nous pourrait reprendre de telles paroles ? Que faut-il pour tenir de tels propos ?
Faut-il être un fanatique ? Reconnaissons que la biographie de Paul pourrait le laisser penser ! Mais alors ce fanatisme nous serait-il proposé comme idéal ? A lire quelques sites internet, la réponse ne semble faire aucun doute. Oui, ils sont nombreux les fous de Dieu, plus ou moins dangereux.
Ceux qui sont en froid avec les religions nous rappellent assez que la violence née du radicalisme idéologique est un venin. On entend cela dans les cours de lycée, à la radio, de partout. C’est une évidence qui malheureusement ne balaie pas toujours devant sa porte. La violence n’est pas réservée aux extrémistes religieux. Le fanatisme n’est pas le propre des religions.
Et il n’y a contre l’extrémisme qu’une saine réaction, celle qui consiste à prendre ses distances. Mais alors, l’exclamation paulinienne est discréditée. Elle est intenable, insoutenable, et l’on se demande bien pourquoi nous la lisons !
Comment, à quelles conditions pourrions-nous dire ce Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile ?
On peut comme Marie garder toutes ces paroles en son cœur. On peut comme les disciples dont Marie, écouter ces paroles et les mettre en pratique. Comment mieux dire que l’évangile est notre trésor ? Ecouter, repasser dans le cœur, repasser par cœur ces paroles. Les aimer comme les paroles de l’aimé. Les écouter au point qu’elles deviennent loi de vie.
Non pas une loi venue de l’extérieur. Non, une loi écrite dans la chair, dans le cœur, par la douceur du souffle de l’Esprit divin. L’évangile de la loi nouvelle n’est pas un enseignement, il devient le cœur même de celui qui garde ses paroles et les médite.
Mais aussi importante que soit cette cordiale conservation de la parole, elle n’est pas encore suffisante pour rendre compte de l’exclamation paulinienne : Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile.
L’amour de cette parole ne peut pas être compatible avec l’extrémisme fanatique puisque c’est une parole d’amour. Mais d’ordinaire, une parole d’amour ne se crie pas sur les toits. Ce n’est pas tout à fait vrai. La bien-aimée du Cantique des cantiques ne cesse pas d’aller comme défier les gardes de la ville, sur les remparts et sur les places. N’avez-vous pas vu mon bien-aimé ?
Elle serait malheureuse la bien-aimée à ne pouvoir ainsi annoncer à tous qu’elle est malade d’amour, qu’elle est heureuse de quêter sans cesse celui que son cœur aime. Elle se fait peur à l’imaginer au loin pour mieux jouir de sa présence.
L’annonce de l’évangile, la mission, n’est pas un devoir, un objectif d’entreprise. Nous n’avons pas la charge du développement d’une multinationale. Ne nous importe pas d’étendre aux quatre coins du monde la vérité d’un catéchisme, ne nous est pas demandé de quadriller le terrain, installant ou maintenant en chaque village, une chapelle.
L’annonce de l’évangile est une nécessité qui s’impose à moi, dit Paul. Cela s’impose comme la force de l’amour ; amour de la bien-aimée, amour de qui part à la recherche de celui que son cœur aime. Amour unique et double. Double fidélité à un unique amour. Comment ne dirions-nous pas à ceux que nous aimons, que la libération de notre monde est acquise ?
Pourrions-nous ne pas crier et dénoncer l’injustice par amour de ceux que nous aimons ? Pourrions-nous laisser ceux que nous aimons souffrir la misère et nous taire ? Il y a urgence à dénoncer ce qui avilit l’homme. Voilà pourquoi, malheur à nous si nous n’annonçons pas l’évangile. Il y a urgence à annoncer la bonne nouvelle de la libération.
Et l’on constate, surpris, que l’annonce de l’évangile est l’unique possibilité d’entendre cet évangile. On ne l’écoute et ne le garde en son cœur qu’à condition de l’annoncer. Il n’y a pas d’abord l’écoute, et ensuite la mission. C’est la mission d’abord ; c’est elle qui rend possible l’écoute. Voilà encore pourquoi, malheur à nous si nous n’annonçons pas l’évangile. Ne pas l’annoncer nous prive de l’évangile, nous empêche d’entendre la voix de celui que notre cœur aime.

Textes du 5ème dimanche : Jb 7, 1-7 ; 1 Co 9, 16-23 ; Mc 1, 29-39

01/02/2012

L’œcuménisme (50 ans Vatican II n°6)

Le décret sur l’unité des chrétiens Unitatis redintegratio (21 novembre 1964)
Jean XXIII avait fixé comme objectif au concile de promouvoir l’unité des chrétiens. Dès 1960, il avait crée le secrétariat pour l’unité, présidé par le Cardinal Bea. Ce dernier noua des contacts fraternels avec nombre de responsables des autres confessions ; lors des sessions il réunit chaque semaine les plus de 90 observateurs non catholiques issus de 28 confessions. Grâce à lui, le secrétariat[1] joua le rôle d’une autorité dogmatique alternative à celle de la commission théologique présidée par le Cardinal Ottaviani, secrétairet du Saint-Office.
A peine quarante ans plus tôt, Pie XI (encyclique Mortalium animos, 1928) dénonçait les efforts en vue de l’unité qui constituaient à ses yeux une relativisation de la vérité de la foi, compromis de mortels autour d’un plus petit commun dénominateur. Certes, unité il devait y avoir mais on ne pouvait la penser comme une fédération d’Eglises ; l’« Eglise Romaine » seule se devait « de rappeler et de ramener à son giron ses enfants égarés »[2].
Pourtant, les initiatives y compris catholiques se développèrent. Qu’on pense à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, reprise par l’abbé Couturier, prêtre de Lyon, dès le début des années 30 ; au Groupe des Dombes, quelques années plus tard, où théologiens catholiques et protestants se retrouvent une fois par an pour une retraite spirituelle, toujours à l’initiative du Père Couturier ; à la communauté œcuménique de Taizé officiellement fondée en 1949 par Frère Roger Schutz. Pendant le concile, la simple présence des observateurs non catholiques, qui ne prenaient pas la parole officiellement ni ne votaient, interdisait qu’on parle d’eux en termes autres que fraternels. Alors on vit bien que l’on partageait une même foi et que celui qui nous unissait était bien plus que tout ce qui nous séparait.

De l’opposition polémique à la recherche de fraternité
Le concile, très occidental par l’origine de ses acteurs, appréhende l’œcuménisme d’avantage à partir des protestants et des anglicans que des orthodoxes. Les Eglises catholiques orientales pourtant montrent déjà la voie de l’unité dans la différence (Décret Orientalium Ecclesiarum § 2). Les études historiques et les rencontres personnelles entre théologiens notamment indiquent que l’anti-protestantisme déforme la position des communautés issues de la Réforme mais aussi qu’elle caricature et dénature la théologie catholique. On ne peut en outre tenir les « frères séparés » responsables de divisions vieilles de plusieurs siècles et leurs confessions « donnent accès à la communion du salut » (§ 3).
En refusant d’identifier purement et simplement l’Eglise catholique romaine et l’Eglise fondée par le Christ, Lumen gentium (§ 8) permettait d’envisager l’unité autrement que comme une conversion et un retour de tous au catholicisme. C’est même « L’Église [qui], au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. » (§ 6). Le mot luthérien de réforme est employé et ne semble pas s’opposer à la sainteté de l’Eglise que confesse le credo. Dei Verbum pour sa part permettait de tourner théologiquement la page de la Contre-réforme en confessant la foi véritablement catholique selon laquelle seules les Ecritures sont source de la révélation pour peu qu’on les lise en Eglise, c’est-à-dire dans la tradition.
Les trois grands sujets habituels de discorde sont envisagés, sans rien dissimuler des divergences, mais de telle sorte qu’on sorte des impasses de la polémique. Premièrement, les ministères ne sont pas pour les catholiques seulement un dispositif organisationnel. Ils constituent une dimension essentielle de l’Eglise, quand bien même ils sont apparus de façon historique et contingence. Le ministère de communion et d’unité de l’évêque de Rome pose quant à lui de nombreux problèmes, comme le souligne encore Jean Paul dans une encyclique en 1995)[3]. L’ordination de femmes par certaines Eglises a encore aggravé les divisions alors que catholiques et orthodoxes continuent de s’y opposer.
Deuxièmement, les désaccords sur la validité du sacrement de l’ordre ont des conséquences sur la vérité du sacrement de la communion. Le § 22 parle de la façon la plus positive possible de l’eucharistie et des ministères dans les communautés ecclésiales séparées et refuse de déclarer leur vanité. L’opinion selon laquelle les protestants ne croient pas à la présence réelle relève elle aussi de la polémique antiprotestante. Il faudrait d’ailleurs être sûr que ce que les catholiques mettent sous ce mot correspond effectivement à ce qu’enseigne leur Eglise.
Troisièmement, il n’y a pas de difficulté quant au culte des saints et notamment de Marie avec les orthodoxes. La polémique antiprotestante affirme que les protestants ne croient pas en la Vierge Marie. Pourtant, ils récitent la profession de foi commune : « Il est né de la Vierge Marie ». Les manières de faire sont différentes : la vénération des icônes propre à l’orthodoxie ni ne gène d’autres modes de dévotion ni n’est empêchée par eux. L’insistance de la rénovation liturgique sur le cycle liturgique de l’année place le culte des saints dans l’orbite du mystère pascal, célébré en chaque liturgie, et ainsi le régule.
Le concile en vient à affirmer, assez explicitement contre Mortalium animos, qu’il y a une hiérarchie des vérités de la foi[4]. Cela pourrait bien avoir statut de dogme quel que soit le statut juridique d’Unitatis redintegratio. Tout ne se vaut pas dans la foi. Le texte conciliaire ne se risque pas à hasarder de formule synthétique de la foi ; il renvoie aux « insondables mystères du Christ » (Ep 3,8) que précisément aucune formule dogmatique ne saurait épuiser.

Depuis la fin du concile
Les gestes de réconciliation se sont multipliés, dès le dernier jour du concile, avec la levée réciproque des excommunications de 1054 par Paul VI et Athénagoras, patriarche de Constantinople. L’œcuménisme, malgré des hauts et des bas est devenu une exigence et une habitude. De nombreux accords ont été signés ; pas un voyage du Pape sans une rencontre avec les autres chrétiens. L’expression « Eglises et communautés ecclésiales séparées » appréciée en 1964, fait aujourd’hui problème, comprise qu’elle est comme le refus de l’Eglise catholique de reconnaître la qualité d’Eglise à certaines communautés.
Dans la rédaction des accords, on reconnaît que des formules différentes, que chaque Eglise ne ferait sans doute pas sienne, expriment cependant la même et unique foi ; c’est le « consensus différencié ». Ainsi en 1999, après des siècles, catholiques et luthériens disaient qu’ils partageaient la même foi sur la justification (le salut). Pareillement, on n’attend de moins en moins le rassemblement de tous en une seule Eglise, mais la pleine communion entre des Eglises sœurs. Une « ecclésiologie de communion » développée par le Cardinal Kasper à l’occasion des vingt cinq ans du concile, est aussi utile à l’intérieur des Eglises qu’entre elles. Il est en effet impossible, et peut-être pas souhaitable, de faire tenir ensemble tant de sensibilités dogmatiques, liturgiques et morales héritées de siècles. On préfère savoir reconnaître en elles des expressions authentiques et intégrales de l’unique foi en Jésus Christ.
Depuis la rédaction du décret, des pistes ont été ouvertes que l’on ne pouvait pas imaginer et il n’est personne pour le regretter ni exiger qu’on s’en tienne à la lettre du décret.


[1] Au début, le texte traitait aussi des Juifs. Le secrétariat fut chargé de l’élaboration des deux documents.
[2] « Dans ces conditions, il va de soi que le Siège Apostolique ne peut, d’aucune manière, participer [aux congrès des autres confessions chrétiennes] et que, d’aucune manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles entreprises ou y collaborer ; s’ils le faisaient, ils accorderaient une autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l’unique Eglise du Christ. » C’est encore au nom de ce principe, même si l’expression a changé, que l’Eglise catholique n’est pas membre du Conseil Œcuménique des Eglises.
[3] « La conviction qu'a l'Eglise catholique d'avoir conservé, fidèle à la tradition apostolique et à la foi des Pères, le signe visible et le garant de l'unité dans le ministère de l'Evêque de Rome, représente une difficulté pour la plupart des autres chrétiens, dont la mémoire est marquée par certains souvenirs douloureux. Pour ce dont nous sommes responsables, je demande pardon, comme l'a fait mon prédécesseur Paul VI. » (Ut unum sint § 88)
[4] « Dans le dialogue œcuménique, les théologiens catholiques, fidèles à la doctrine de l’Église, en conduisant ensemble avec les frères séparés leurs recherches sur les divins mystères, doivent procéder avec amour de la vérité, charité et humilité. En comparant les doctrines entre elles, ils se rappelleront qu’il y a un ordre ou une « hiérarchie » des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne. Ainsi sera tracée la voie qui les incitera tous, dans cette émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une manifestation plus évidente des insondables richesses du Christ » (§ 11)

28/01/2012

Frères, j'aimerais tellement vous voir libres ! (1 Co 7,32 / 4ème dimanche)

Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
Pas sûr que ce soit les soucis familiaux qui feraient que Paul s’exclamerait ainsi s’il nous parlait aujourd’hui. Regardons plutôt ce qui nous fait souci, ce qui nous rend esclaves, ce qui ferait que, plein de sollicitude, Paul aimerait tellement nous voir libres.
Le boulot est ce qui nous bouffe, que nous en ayons ou que nous en cherchions. Nous pouvons y être heureux, certes, mais regardons nos agendas. Ne sommes-nous pas sacrifiés sur l’autel de nos employeurs, eux-mêmes grands-prêtres d’une divinité qu’ils n’ont jamais vue mais à laquelle il faut sacrifier ; c’est la loi de l’économie qui l’impose.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
N’y a-t-il pas scandale de la part de Paul de dire esclaves ceux qui sont mariés ? Reconnaissons que le scandale est moindre à dénoncer les esclavages du travail et du chômage. Et pourtant, pouvons-nous entendre, est-elle audible, cette parole qui nous souhaiterait libres, c’est-à-dire cette parole qui nous convainc de notre esclavage ?
Le travail est une valeur, nous dit-on, croyons-nous. On n’a pas toujours pensé ainsi. C’était les esclaves qui travaillaient, ceux qui justement avaient besoin d’être libres.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !
Si l’on pense que les gens auxquels Paul s’adressait ne s’estimaient pas esclaves – ils étaient simplement mariés ! ‑ nous pourrions nous aussi, ne pas savoir que nous sommes esclaves.
Nous ne pouvons tout de même pas dire que le dieu économie fait notre bonheur, ou alors le bonheur de quelques uns d’entre nous seulement. Il est inutile de développer encore ce que la crise économico-financière signifie, ce que les inégalités nord-sud suscitent. Le dieu économie mange le sang de ses fidèles. Il lui faut son lot de sacrifices humains : chaque jour des milliers de chômeurs de plus et, dans le même temps, de jeunes professionnels bouffés par un emploi du temps de fou. Nos pays sacrifient leur jeunesse. La jeunesse des pays du sud est elle aussi sacrifiée.
Mais alors que devons-nous faire ? Comment quitter les chaînes de notre esclavage ? Qui imaginera qu’il y a un remède à la crise ? S’il y en avait un, pourquoi ne pas l’avoir déjà prescrit ? Les intérêts de quelques uns serait-ils suffisamment puissants, efficaces, pour maintenir tous les autres dans la servitude ? Ou bien sommes-nous nous-mêmes trop heureux de nos chaînes ?
Ai-je le droit de parler ainsi ?
En disant cela, c’est votre intérêt à vous que je cherche ; je ne veux pas vous prendre au piège, mais vous proposer ce qui est bien, pour que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
Qu’est-ce que cela veut dire être au Seigneur sans partage ? Cela veut dire être libres. Il est bien évident que nous ne pouvons pas ne rien faire. Mais jusqu’où sommes nous, dans nos activités, dans nos familles, dans notre vie conjugale, dans notre métier, quant à nos richesses, dans notre pénurie, jusqu’où sommes nous disposés à la libération ?
Nous ne renverserons pas seuls le dieu économie. Mais, de même qu’on nous dit que les petits efforts consentis par chacun ou extorqués à chacun feront le retournement de la situation, de même, nous pourrions penser que les petites contestations du dieu finance, jour après jour, les prises de positions pour refuser l’injustice, seront capables de changer le monde, seront capables de nous voir libres, usant de ce monde comme si nous n’en usions pas, c’est-à-dire usant de ce monde sans en être esclaves.
Etre totalement au Seigneur, n’est-ce pas cela ? La possibilité de dénoncer l’injustice et de participer à la construction d’un monde nouveau reçu du seul capable de libérer le monde ? Etre totalement au Seigneur, ne se mesure-t-il pas à notre capacité de mettre le travail à notre service plutôt qu’à nous aliéner et à être les esclaves du travail ou du chômage.
Frères, j’aimerais tellement vous voir libres !

21/01/2012

L'unité des chrétiens comme fraternité

Jésus passe et tous les hommes sont frères.
Statistiquement, lorsque vous vous promenez le long d’un lac ou en quelque lieu que ce soit, vous avez peu de chances de tomber coup sur coup sur des frères. Jésus passe le long du lac, et il rencontre Simon et André, un peu plus loin Jacques et Jean. Non seulement Jésus croise des frères, mais il ne croise personne d’autre. Au bord de ce lac, il n’y a que des frères !
Certains font de ce texte un récit de vocation. Mais il suffit de lire l’appel d’Isaïe ou la rencontre de Zachée, pour se convaincre qu’il s’agit ici d’autre chose. Pas la moindre parole de Simon et André, de Jacques et Jean. Jamais on ne voit une vocation qui ne s’adresse à la liberté de celui qui est appelé. Et d’ailleurs nos quatre hommes ne pourraient pas dire grand-chose. Il n’y a qu’une quinzaine de versets que l’évangile a commencé, il n’y a qu’une quinzaine de versets que l’on parle de Jésus, et encore, durant ces versets a-t-on davantage parlé du Baptiste. Simon, André, Jacques et Jean ne savent rien de Jésus. Comment pourraient-ils le suivre ? Comment cela pourrait-il s’appeler une vocation, si la vocation une détermination réfléchie à suivre le maître ?
L’Evangile a d’abord appelé à la conversion comme nous l’avons entendu. Non pas d’abord une histoire de pénitence, mais une histoire de demi-tour, de réorientation de la vie. Non que la vie était mauvaise. Des hommes allaient à la pèche par exemple. Mais il y a maintenant autre chose à faire.
Quoi donc ? Entrer dans la fraternité. Jésus passe et tous les hommes sont frères. Notre texte est christologique et non pas vocationnel. Notre texte, quinze versets après le début de l’Evangile fait ce qu’il devait faire, présenter Jésus. Qui est Jésus ? Jésus est l’homme dont le passage sur terre institue, suscite la fraternité. Jésus est l’homme qui indique le sens de la conversion, vers où se retourner ? Jésus est l’homme qui met les choses à leur juste place. Qu’est-ce qui importe la pèche ou la suite ? Prendre ou se laisser conduire ?
En outre, c’est Jésus lui-même qui est montré comme frère. Jésus, on ne le voit pas un instant seul. De même qu’il n’existe que des frères quand Jésus passe, de même Jésus ne peut passer seul. Faites une photo de Jésus, impossible de l’y voir seul. Il est toujours avec les autres. On découvrira bientôt, dès les versets suivants, qu’il est pour les autres.
Car si le passage, la pâque de Jésus, est source de fraternité, c’est qu’il est lui, le frère. On ne saurait oublier, ainsi que le montrait dans un article qui fait date le théologien Ratzinger, que la fraternité est le nom de l’Eglise. La fraternité n’est pas un sentiment ou une qualité morale. La fraternité est l’assemblée de ceux qui suivent Jésus, la fraternité c’est ce que constitue le passage de Jésus dans le monde.
Parler de vocation occulte le plus important du texte, le renversement, le retournement, la conversion que le passage de Jésus institue, la constitution d’une fraternité. L’humanité n’est pas l’humanité, il faut changer non seulement d’avis, mais de style de vie, de comportement, de sens ; l’humanité n’est pas l’humanité, elle est fraternité. Ce qui définit l’humain ce n’est pas, contrairement au sens obvie, le fait d’être homme. Ce sens premier est trompeur. Ce qui définit l’humain, c’est la fraternité.
Au cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, l’évangile de ce jour ne pouvait mieux tomber (même si tout texte d’évangile tombe toujours bien). Comment nos Eglises laissent-elles passer Jésus de sorte que la fraternité ne soit pas empêchée ?
L’idéal de la fraternité n’est pas l’uniformité. L’idéal de la fraternité n’est pas la paternité, je veux dire, le rangement de tous sous l’autorité d’un seul. L’idéal de la fraternité est la communion, le culte de la différence et de l’accueil de ces différences. La fraternité est jouissance du différent. Sans unité, pas de fraternité certes, mais sans diversités, pas de fraternité non plus.
Prier pour l’unité des chrétiens, c’est prier pour que soient reconnues et appréciées les différences, c’est prier pour que l’on sache apprécier des différences. Que l’on ne vienne pas arguer l’unité de la vérité. L’unité, l’unicité de la vérité, n’existe qu’à travers sa diffraction dans l’éclat multiforme des différences. Quand Dieu dit une chose, on en entend forcément plusieurs, non d’abord que comprendrions mal, mais que la richesse de cette parole divine n’existe que dans l’éclat de sa lumière. Le psaume le confesse : Dieu a dit une chose, deux choses que j’ai entendues.
Deux choses, deux frères. Quand Jésus passe rien n’est détruit des spécificités, tout est engagé à la fraternité. C’est encore le psaume. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent.







Seigneur, nous te prions pour l’unité de toutes les Eglises. Baptisés dans la mort et la résurrection de ton fils, les chrétiens sont le sacrement de la fraternité, ils annoncent et vivent déjà la vocation de l’humanité. Que leur témoignage ne soit plus empêché par leurs divisions.

Seigneur, nous te prions pour notre Eglise catholique. Qu’elle s’engage sans crainte sur la route de l’unité. Qu’elle se fasse conversation, comme le demandait Paul VI. Qu’elle reconnaisse la richesse de la diversité ; qu’elle quitte sa peur du relativisme et reçoive avec les autres Eglises l’unité que tu veux.

Seigneur, nous te prions pour ceux d’entre nous qui rencontrent chaque jour, dans leur couple, dans leur famille, dans leur quartier, la division des chrétiens héritée de l’histoire. Qu’ils sachent voir la richesse de la diversité des traditions dans leur quête du Christ.

Seigneur, nous te prions pour le monde. Que l’évangile lui soit audible. Que lui parvienne l’annonce d’une fraternité universelle. Que dès maintenant, il consente à être une fraternité de paix et de justice.

16/01/2012

Le prince de ce monde ou Du mensonge

Claude Guéant, ministre de l’intérieur« Le taux de délinquance dans la population étrangère est entre deux et trois fois supérieur à la moyenne »

JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS - La Croix 12 01 2012, p.7

D’où vient ce chiffre

Le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, qui présentait mardi son bilan en matière de politique migratoire, a affirmé dans un entretien à RMC-BFMTV que la délinquance parmi la population étrangère était « entre deux et trois fois supérieure à la moyenne » . L’homme fort de la Place Beauvau fait référence à un travail encore inachevé de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) portant sur les personnes mises en cause par la police. Cette donnée à l’appui, le ministre de l’intérieur a confirmé qu’il envisageait, avec l’aide de parlementaires, dont le député UMP Éric Ciotti, de faire voter une proposition de loi pour expulser et interdire de territoire les étrangers condamnés s’ils sont présents « depuis peu d’années » en France.

Contacté par La Croix , l’ONDRP a cependant exprimé ses réserves sur cette donnée, précisant que l’étude qu’il prépare ne sera pas prête avant la fin du mois de janvier. Selon lui, les conclusions de l’Observatoire n’exprimeront aucune donnée en termes de « délinquance » , notion juridiquement floue, mais sur la base des atteintes aux biens, des atteintes aux personnes, et des escroqueries.

Ce qui fait débat

« Il faut arrêter avec le chiffre unique, médiatique, où un vol de chewing-gum et un acte de barbarie comptent pour un de la même façon » , regrette Alain Bauer, criminologue et président de l’Observatoire. Ce dernier précise d’ailleurs que« plus le crime est grave, moins les étrangers sont représentés » . Surtout, pour établir une comparaison fiable, il faut selon lui soustraire ce qu’on appelle les « infractions à la police des étrangers » car elles « représentent des dizaines de milliers de faits que les étrangers, par définition, sont quasiment les seuls à commettre ».

Selon le dernier rapport de l’ONDRP, 226 675 étrangers ont été mis en cause en 2010, sur un peu plus d’un million de personnes. Mais 40 % d’entre eux l’ont été pour infraction à la législation sur les étrangers (ILE). Au final, hors ILE et infractions routières, les crimes et délits mettant en cause des personnes n’ayant pas la nationalité française représentent 13 % de l’ensemble, alors qu’ils ne représentent que 6 % de la population.

Par ailleurs, les chiffres montrent que les mises en cause de Français entre 2005 et 2010 ont augmenté plus fortement (+ 8,4 %) que celles des personnes d’une autre nationalité (+ 4,1 %). Et si les atteintes aux biens commises par des étrangers étaient à la hau ss e e nt re 2 0 0 8 e t 2 0 1 0 (+ 32,7 %), les violences aux personnes, elles, ont chuté sur la même période (– 3,7 %). « Il s’agit avant tout de délinquance de survie » , commente Alain Bauer. Autre élément à prendre en compte : les pratiques policières.

« Communiquer comme cela un chiffre global relève de l’escroquerie intellectuelle et de la manipulation politique en période élector a l e » , s’e m p o r t e L a u re n t Mucchielli, sociologue spécialisé en criminologie, qui souligne, entre autres, l’importance des contrôles au faciès. En 2009, une étude du CNRS mettait en lumière que le risque de se faire contrôler augmentait de 3 à 15 % à Paris, du simple fait d’avoir la peau noire ou d’être maghrébin.

13/01/2012

L'Eglise dans le monde de ce temps (50 ans Vatican II n°5)

1. La constitution pastorale Gaudium et spes
Comment un concile peut-il se prononcer sur le « monde de ce temps » ? Dans un monde qui change sans cesse, on est rapidement dépassé et on se retrouve en face d’un monde qui n’est déjà plus celui auquel on voulait s’adresser. A vouloir être actuel, ne risque-t-on pas très vite de dater ? L’enseignement de l’Eglise défini en concile pour dire la vérité de la foi peut-il se permettre d’épouser la contingence historique sans devenir désuet et être disqualifié ? Les pères conciliaires étaient bien conscients de la difficulté et c’est aussi pour cette raison qu’ils ont opté pour un genre inédit, celui de constitution pastorale.
La constitution est adoptée le 7 décembre 1965 à la fin de la dernière session, profitant de tout le travail conciliaire. L’Eglise qui a retrouvé les mots de sa tradition la plus ancienne peut ne plus s’opposer au monde moderne. Elle choisit la voie du dialogue[1] et présente positivement la conception qu’elle se fait de l’homme et de sa vocation à l’écoute de l’Evangile.
La première partie du texte expose alors, comme des principes, une anthropologie chrétienne, établissant la dignité de la personne humaine, ses droits et devoirs, et la morale qui en découle, c’est-à-dire, le type de comportements que l’Evangile invite à avoir, tant dans la vie personnelle que dans la vie sociale. La seconde partie traite en conséquence cinq domaines spécifiques : mariage et famille[2], culture, vie socio-économique, vie politique, sauvegarde de la paix. C’est la première fois qu’un concile s’adresse aussi à ceux qui ne sont pas chrétiens (§§ 2, 10/2), en appelant à la conscience, sanctuaire inviolable où l’homme entend la loi de Dieu et choisit librement le bien (§§ 16-17).
Mais qui dit dialogue suppose écoute réciproque et l’Eglise reconnaît apprendre de l’humanité (§ 44), non seulement des croyants mais aussi des incroyants, non seulement en des matières proprement profanes, mais encore dans la compréhension de sa propre mission.


2. Quelques uns des thèmes principaux
Une vérité dialogale ne peut pas être dictée une fois pour toute. Elle est une recherche qui oblige les chrétiens à discerner ce qui dans la vie du monde est présence du Royaume (§ 11/1). Déjà Jean XXIII (encyclique Pacem in terris, avril 1963) s’était référé aux « signes des temps » (Mt 16,3). Malgré la guerre froide et la prolifération nucléaire, le monde n’allait pas de mal en pis, ce que pouvaient montrer l’accès à l’indépendance des peuples du Sud, la reconnaissance de l’égalité de la femme, une plus grande justice sociale, la déclaration universelle des droits de l’homme, etc. Au nom de l’incarnation, rien de ce qui est humain n’est indifférent aux disciples du Christ[3] et c’est dans cette chair que le Christ est révélé.
L’évangile apparaît désiré, même non sciemment, par l’élan d’humanité dont tous peuvent être témoins et pour lequel tous sont invités à s’engager. Le style existentiel choisi reprend les interrogations de tout homme quant au sens de la vie (§ 10). L’enseignement de l’Eglise ne constitue cependant pas une réponse car il n’est pas une idéologie ; il présente le Christ, commencement et fin de toutes choses, modèle de l’homme parfait, qui récapitule (Ep 1, 10) la création pour la reconduire au Père. L’histoire et le monde sont le lieu de la présence de Dieu et culminent dans le Christ, ainsi que l’enseignaient Irénée de Lyon au second siècle et le christocentrisme d’un Teilhard de Chardin ou des théologies condamnées lors de la crise moderniste au début du XXe ou en 1950 (Humani generis et l’école dite de Fourvière).
Bien sûr le péché et la mort marquent dramatiquement la condition humaine, dans une veine augustinienne, mais le dessein de Dieu depuis le commencement du monde réside dans un salut universel qui rompt par son optimisme avec le terrible « hors de l’Eglise pas de salut », ignoré du concile. L’athéisme, quelque soit sa forme, est bien sûr rejeté, mais l’on reconnaît que l’Eglise elle-même a pu en être la source, notamment par son comportement. (§§ 19-21) On est bien loin de la condamnation du communisme que souhaitaient certains ! Au point qu’il est même possible de se tromper en matière religieuse sans perdre sa dignité humaine (§ 28/2). Evidence qui n’en révolutionne pas moins la pensée de l’Eglise[4] en rendant possible la théorie de la liberté religieuse (26/2). Cette dernière est d’autant plus nécessaire que nombre de chrétiens sont persécutés, notamment de l’autre côté du rideau de fer.
Les autres religions ne sont pas exclues de l’ordre du salut, comme contraires à la foi. Lumen gentium est ici citée (le § 22 renvoie à LG 16) faisant du concile une source de la réflexion conciliaire. La théologie des religions entre dans le discours officiel de l’Eglise (§ 92)[5]. Il ne s’agit pas seulement de parler du « salut des infidèles » ‑ ceux qui ne sont pas chrétiens ‑ à titre individuel et « d’une façon que Dieu connaît », mais de la valeur des religions « dont les traditions recèlent de précieux éléments religieux et humains ».
Le monde moderne est désacralisé. En science, en politique et même en morale, il y a autonomie des réalités terrestres par rapport à Dieu (§ 36) Les conflits entre sciences et foi, que le Concile déplore et dont il reconnaît qu’ils ont aussi été le fait de chrétiens, n’ont plus lieu d’être. Cette autonomie rend gloire au créateur si elle signifie que le monde a une consistance propre, qu’il est une création bien faite. Certes, dire autonomie ne peut vouloir signifier que ce monde n’a pas de rapport à Dieu, que tout est permis, qu’il y a d’autres lois morales que celles de l’amour du prochain.


3. Evaluation
Le père Ratzinger, expert au concile, repère deux moments dans la rédaction de la constitution : « On pourrait appeler la première phase, celle de l’incarnation. On redécouvre dans l’incarnation un aspect central du christianisme, et on en fait le point de départ de toute la construction théologique. »[6] A cet optimisme aurait succédé une deuxième phase critique qu’il appelle « eschatologique ». L’évangile de la croix est signe de contradiction qui dénonce le monde dans son injustice. Les violentes secousses que connaît l’Eglise depuis la fin du concile viendraient d’une fascination par le monde et du ralliement à l’idéologie du progrès.
Il est évident que les Trente Glorieuses marquent profondément la constitution. Mais il faut renvoyer dos-à-dos critique et naïveté devant le monde moderne, et constater que le texte répond plutôt aux rendez-vous manqués entre l’Eglise et le monde depuis un siècle et demi. « Le concile décrivait le monde qui s’effondrait et demeurait muet devant les questions qui commençaient à apparaître. » reconnaît Mgr Matagrin, un des Pères conciliaires. Pas sûr que ces questions aient trouvé réponse depuis et cela fragilise l’existence chrétienne : Si le monde est autonome, Dieu peut-il agir dans la vie des hommes ? Si l’on peut être pleinement homme sans croire en Dieu mais en suivant sa conscience, servant Dieu sans même le savoir lorsque l’on sert le frère (Mt 25), pourquoi la foi ?


[1] « L'Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Eglise se fait parole ; l'Eglise se fait message ; l'Eglise se fait conversation. » (Paul VI, encyclique Ecclesiam suam § 67 août 1964)
[2] On peut parler d’un Eloge de la conscience quand est dit qu’en morale sexuelle et familiale, le « jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l’arrêter devant Dieu. » (§ 50/2)
[3] « Les joies et les espoirs (Gaudium et spes), les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (§ 1)
[4] Thomas d’Aquin (+ 1274) pourtant enseignait qu’il valait mieux se tromper en conscience que de croire quelque chose que la conscience rejetait, y compris en matière religieuse, y compris contre l’enseignement de ce que l’on appelle aujourd’hui le magistère. (ST Ia IIae, 19, 5)
[5] La nouveauté n’est pas totale ; on reprend des thèmes patristiques qui reconnaissaient des « semences du Verbe » ou vérités dans le discours païens (AG 9, 11/5 et NA 2).
[6] « Le Dieu des chrétiens, le Dieu fait homme, n’est pas un Dieu de l’autre monde, mais précisément un Dieu de ce monde-ci. Le Royaume des cieux annoncé par le Christ est en vérité une action de Dieu qui concerne ce monde, et non un lieu au-delà de lui. […] Cette prise de conscience a conduit à un christianisme humain, vital, ouvert au monde, en un mot, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler un christianisme incarné : un christianisme qui ne se perd pas dans les mortifications, la fuite du monde et l’attente de l’au-delà, mais qui s’ouvre avec sympathie au monde et s’insère dans la vie d’aujourd’hui, se réjouit de tout ce qui est beau, noble et grand, et y découvre la trace des valeurs chrétiennes qui, elles-mêmes, doivent de nouveau prendre chair et se réaliser comme une responsabilité à l’égard de notre époque. » (Conférence de 1966)