Nous confessons la résurrection de la chair chaque fois que
nous récitons le credo. Il semble que peu d’entre nous savent rendre compte de
cette affirmation de foi et plusieurs disent ne pas croire cet article du credo.
Chaque fois que certains disent ne pas croire, ne pas croire
en Dieu notamment, il convient, avant de présenter une réponse, une
réplique, une défense de la foi, de demander ce qu’ils ne croient pas. Souvent,
nous pourrons constater que nous sommes nous aussi athées du dieu auquel ils ne
croient pas. Il est des visions de Dieu dont il importe de se désolidariser. Ainsi
aussi de l’affirmation de la résurrection de la chair. Il est des manières d’en
rendre compte qui doivent être écartées et il convient de savoir ce que nous
entendons à parler ainsi.
Si vous imaginez que les morceaux de viande ou que les
atomes vont se regrouper pour recomposer un corps tels ceux que nous
connaissons, on est en pleine mythologie, une espèce de survie qui pense la vie
éternelle comme un remake de la vie terrestre. Or la vie éternelle c’est
aujourd’hui et point n'est besoin d'attendre la mort pour la goûter.
La chair désigne non pas la viande, mais l’homme tout
entier. La chair, c’est l’homme, l’homme tout entier, en tant qu’il est
affectable, sensible. Un homme c’est sans doute ce qui l’anime, son âme comme l’on
dit. Mais c’est aussi son corps, sa chair. Il n’est pas 50% chair, 50% âme. Il
est tout entier chair et tout entier âme. La chair et l’âme ne sont pas deux
parties qui le composent, elles sont deux coups de projecteur différents sur l’homme,
qui montre l’homme sous deux jours différents.
Pensez à la musique, à la peinture, à l’art en général. Rien
de tout cela ne nous est accessible en dehors de la chair. Pensez à la
gastronomie, à la beauté d’un paysage. Nous n’en connaîtrions rien sans le corps,
sans la chair. Pensez à la jubilation érotique. En elle encore, nous sommes
pris tout entier.
La chair, c’est nous. Et si la chair ne ressuscitait pas,
nous ne ressusciterions pas, l’homme ne ressusciterait pas. Au mieux
pourrait-on parler d’une immortalité de l’âme, mais nous n’y serions pas en
entier, nous n’y serions donc pas du tout.
Parler de résurrection de la chair, je vous l’accorde, a
quelque chose de provocateur. On désigne l’homme par ce qu’il a, ce qu’il est,
de plus périssable (si tant est que l’âme soit moins périssable, ce qui est une
évidence pour les Grecs anciens, mais qui ne paraît guère convainquant. L’âme
est tout aussi périssable que la chair.) Parler de la chair, c’est manifester l’intempestif
du christianisme, la sanctification de la matière, de la chair. La chair est
hautement spirituelle, et Paul parle de corps spirituel.
« Semé corps (animal ou psychique, ou corps animé), on
ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps animal, il y a aussi un corps
spirituel. » 1 Co 15,44.
Il serait possible de dire que nous croyions en la
résurrection de l’homme, de l’homme tout entier. Mais nous perdrions la
provocante affirmation de la bonté de la chair, de la valeur de la chair, une
grandeur telle que c’est elle qui est promise à l’immortalité. Regardez l'évangile d'aujourd'hui et ce Jésus ressuscité qui mange du poisson ! Et puis, parler de résurrection de l’homme n’est pas juste. On ne ressuscite pas seul. Il faudrait
dire nous croyons à la résurrection des hommes. Et encore, il y a dans la chair
une solidarité avec le cosmos, avec la matière. Et cela aspire de toutes ses forces à la révélation des fils de Dieu (Rm 8,19-22),
cela aussi est récapitulé dans le Christ
(Ep 1, 10) ; cela aussi, toute la création, est appelé au monde nouveau (Ap 21,5) jailli de la
résurrection du Christ.
Une petite conséquence de cela, un codicille en quelque
sorte, les sacrements. Pourquoi et comment un peu d’eau peut faire renaître à l’immortalité ?
Pourquoi et comment un peu d’huile peut consacrer et configurer au Christ ?
Comment un peu de pain et de vin peuvent être nourriture incorruptible ?
La parole, la parole de Dieu, l’évangile, est éminemment
charnelle au point de nous régénérer, de nous nourrir. La parole est visible, elle nous advient et nous la recevons, nous
hommes en tant que nous sommes affectables, c’est-à-dire en tant que chair, en
tant que nous sommes chair. Certes, nous comprenons cette parole de sorte que
nous nous mouvons aussi, que nous sommes âme, animés, que nous nous mettons en
route sur le chemin de la vie éternelle, déjà commencée, amour de Dieu et des
frères.
Parole visible, le sacrement, par la chair, est le chemin de
Dieu vers nous et secondairement de nous vers lui. Dieu ne vient pas à nous
autrement qu’en venant dans la chair car nous sommes chair. Dieu ne viendrait
pas à nous dans la chair, il ne viendrait pas du tout à nous, s’il est vrai que
la chair est l’homme tout entier en tant qu’affectable. Le corps est chemin de Dieu.
La résurrection de la chair oblige à une anthropologie
réaliste, concrète. Nous sommes aimés comme nous sommes, charnels. Nous sommes
sauvés, nous charnels, donc nous ressuscitons charnels (au sens de selon la
chair). Laissons de côté les idéalismes, les matérialismes et autres théories
abstraites. Laissons-nous rencontrer par notre Dieu comme nous sommes, pétris de la terre (Gn 2,7), chair de la chair de l’humanité, os de ses os (Gn 2,23).
Bonjour,
RépondreSupprimerchrétien éloigné de l'Eglise, j'ai pourtant souvent défendu la même interprétation. C'est, je crois, la première fois que je l'entend de la bouche d'un prélat. Dont acte.
Je regrette qu'un certain idéalisme - frère jumeau du matérialisme, et peut-être plus nuisible encore - ait contaminé l'Eglise et les croyants.
Je ne sais quand la haine du corps a commencé dans l'Eglise, mais je sais qu'on ne la retrouve en aucun cas dans les évangiles, bien au contraire (Christ qui nourrit, abreuve, soigne, régénère).
Je suivrai votre blog à l'avenir.