Le vocabulaire du pastorat dans le nouveau testament est
quasiment exclusivement réservé à Jésus. Il est lui le pasteur, le beau
pasteur, et pour personne, à une ou deux exceptions près, on n’emploie le
terme.
Il faut dire que le premier testament avait congédié tous
les pasteurs (Ez 34). Tous s’étaient révélés incapables pour cause de
malhonnêteté. Manger la laine sur le dos de brebis qui ne sont pas les leurs,
tirer avantage de ceux qui leur sont confiés, telle est l’attitude qui oblige
Dieu à révoquer les pasteurs pour être lui, l’unique pasteur de ses brebis.
Dieu guide lui-même son peuple et personne ne saurait
gouverner ce peuple sans congédier Dieu lui-même. N’y pensons même pas ! A
dire vrai, pas tout à fait personne. Dieu confie son troupeau à David. David
est mort depuis fort longtemps au moment où écrit le prophète, de sorte que
David désigne ici non pas le roi, mais la figure du messie, le descendant de
David, celui qui peut vraiment conduire le peuple de Dieu, celui qui vient
rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés, celui dont rêve Dieu
pour enfin conduire son peuple.
On comprend l’intérêt du thème pastoral pour Jésus. En se
disant pasteur, il adopte la posture davidique, il s’identifie à celui que les
prophètes avaient annoncé. Le chapitre 10 de Jean est un chapitre éminemment
christologique. Il désigne Jésus, il identifie Jésus. Jésus prend le rôle qui
revient à Dieu en étant fils de David. Il est lui l’unique pasteur. Lui seul
peut prendre la place de Dieu sans congédier Dieu.
Cette identification de Jésus ne passe pas par une carte
d’identité ou une perspective ontologique. Elle envisage sa mission. Or justement
Jésus est l’envoyé, parce que le messie est l’envoyé. Si l’on parle de mission,
ce n’est pas que l’on s’occupe d’activités pour organiser l’évangélisation. Si
l’on parle de mission, c’est que l’être de Jésus c’est d’être l’envoyé, c’est
d’être pour. Jésus n’existe que dans la relation, double, à celui qui l’envoie
et à ceux auxquels il est envoyé.
Jésus n’existe pas en dehors de sa mission, de la mission
reçue du Père qui le fait vivre, mission qui consiste à faire vivre, à
transmettre la vie reçue. Le verset qui précède immédiatement notre texte est
on ne peut plus clair : « je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on
l’ait en abondance ». Voilà la mission du fils, voilà son pastorat.
Comment dès lors d’autres pourraient-ils être pasteurs ?
C’est assurément impossible, où seulement de façon dérivée, seconde et même
secondaire. Si l’on veut parler de pasteurs pour les disciples de Jésus, il
faudra toujours l’entendre comme participation à la mission de Jésus, la
mission qui revient en propre au seul Jésus.
Du coup, désigner la mission de l’Eglise comme une
pastorale, c’est dire qu’il n’y a pas de mission de l’Eglise, mais seulement la
mission de Jésus, et que si l’Eglise est à son tour envoyée, c’est de façon
dérivée de l’envoi du Fils, de façon seconde, voire secondaire. Est-ce à dire que
la pastorale est optionnelle ? Non, sans doute, si l’enjeu n’est rien
moins que de permettre au Christ de poursuivre sa mission et que cette mission
est la vie en abondance. Mais la mission de l’Eglise n’est pas la sienne, elle
est celle de son Seigneur. L’Eglise ne peut être propriétaire de sa mission, ou
alors, elle se comporterait comme les mercenaires qui obligent Dieu à conduire
lui-même son peuple.
Il est bien évident que la mission de l’Eglise, ce qu’avec
l’évangile nous avons appelé la pastorale, la mission du pasteur, est affaire
ecclésiale ou n’est pas. Pas de mission personnelle. Personne dans l’Eglise ne
peut se réserver la mission, ou alors il en devient propriétaire comme le
mercenaire qui s’approprie le troupeau. La configuration baptismale agrège au
peuple sacerdotal qui a pour vocation d’être au service de la vie en abondance.
Si jamais évêques et autres ministres ordonnés peuvent être
appelés pasteur, c’est dans ce cadre seulement. Leur mission est doublement
dérivée. Leur mission est dérivée de la mission de l’Eglise qui est dérivée de
celle du Fils. Ils ne sont pas plus que les autres propriétaires ou organisateurs
de la mission. Ils sont au service de la mission du corps ecclésial, laquelle
mission est service de l’humanité pour qu’elle vive et vive en abondance. Les
ministres sont chargés de rappeler que la mission de l’Eglise n’est pas la
sienne, mais celle du Fils. Ils sont ordonnés au service de la mission pour que
personne ne confisque la mission. Le drame, ils l’ont et la confisquent encore
eux-mêmes. Le dispositif structurel, le ministère comme structuration
ecclésiale pour reconnaître l’unique et beau pasteur s’est perverti en
confiscation de la mission. La crise des vocations s’enracine sans doute ici.
Notre Eglise ne sera fidèle qu’à être ordonnée au service de
la vie en abondance ; elle doit alors ordonner des ministres pour que ce
service de la vie, la mission reçue de Jésus, soit effectivement le sien. Sans
doute ne doit-elle pas ordonner trop de monde, pour que justement, les
ministres, les serviteurs, ne puissent prendre la place du maître, du seul
pasteur. Il y a besoin de ministres dans l’Eglise. Mais qu’ils le sachent, ce
n’est pas pour quelque pouvoir. C’est uniquement pour que personne, et surtout
pas eux, ne deviennent propriétaire de la mission.
Si ce sont des serviteurs que l’on embauche, peut-être n’y
a-t-il rien d’étonnant à ce que l’on n’en trouve pas tant que cela. Peut-être
est-ce bon signe que l’on ne trouve pas tant de candidats que cela. Qui aujourd’hui
a envie d’être serviteur ?
Je vous remercie pour ce texte qui me permet de comprendre pourquoi j'ai déserté l'église. (L'ensemble du personnel ecclésiastique, son organisation, ses pratiques). Ceux que j'ai côtoyés ordonnaient leur mission à eux-mêmes. Ceux que je n'ai pas côtoyé ne semblaient guère différents. Finalement tous sur un même moule.
RépondreSupprimerEn quelque sorte la gloire de l'église, et non pas la gloire de Dieu.
Je n'ai donc rien à regretter. En particulier lorsque je demeure dans l'attachement à Jésus et dans le service de l'humanité. Pas seul, mais avec d'autres, ceux qui croient « vraiment » en l'Homme. Tout cela transcende largement les religions.
Il est plus difficile qu'il y paraît d'être serviteur surtout quand ce service vous octroie une place singulière.
RépondreSupprimerIl est plus difficile d'être reconnu serviteur par les autres, dès lors que ces autres ne partagent pas votre manière de faire.
Il peut y avoir des conversions. Il doit y en avoir. C'est certain. Mais que tous les prêtres que vous ayez rencontrés se soient trompés de service, j'ai du mal à le croire. D'autant que parfois, le service de l'Eglise est authentique service d'humanité.
Lorsque j'étais tout jeune vicaire, avec quelques mois d'ordination, un membre du conseil paroissial m'était rentré dedans parce que je ne pensais pas comme lui. Je m'en ouvris à un prêtre plus âgé qui me répondit : Qu'est-ce qu'un bon prêtre ? Quelqu'un qui est mort depuis fort longtemps.
Je vous l'accorde, il ne suffit pas de se faire rentrer dedans pour être sûr de ne pas faire fausse route. Mais nous ne sommes guère tendres les uns envers les autres.
Vous avez raison… Je n'ai dit qu'une vérité partielle. Celle qui m'a à la fois marqué et meurtri. (Concernant les prêtres, ou appartenant à diverses congrégations ou autres…). Les blessures laissent des traces profondes. Ce n'est pas à un prêtre, réceptacle de bien des confidences, si ce n'est de confessions, que je l'apprendrai.
RépondreSupprimerJ'ai donc rencontré effectivement des ecclésiastiques qui ne se sont pas trompés de service. (Pour reprendre votre expression). Mais comment dire… J'avais le sentiment de rencontrer des êtres humains… plus que des prêtres… Je ne sais si je me fais comprendre. Bien entendu, l'être humain ne se découpe pas en rondelles de saucisson. J'admets avoir des représentations.
Disons que, et tant pis si c'est trivial ! : « Ils ne m'emmer….. avec la religion…! »
Je lisais récemment ceci : « chacun d'entre nous s'est construit sur des théories religieuses infantiles dont il est très difficile de se détacher » (François Noël, prêtre et psychanalyste).
J'ai été gavé de ces théories infantiles. Je confirme que le détachement est d'autant plus difficile, quand il s'est accompagné de perversion. En particulier lorsque l'on se trouve confronté au choix impossible, celui de « la double contrainte ».
Bannir la croyance pour entrer dans la foi. (au moins en l'Homme, en Dieu on verra…)
Je n'ai trouvé d'autre issue que « sortir de la religion ».
C'est par le chemin de l'Humanisme que je passe. J'essaye en tout cas.
Pour reprendre en le détournant un ancien premier ministre, en cette période électorale : « le chemin est long et la pente est forte… »
Je termine par une citation qui me donne le sentiment de ne pas être forcément sur une mauvaise route : « si le christianisme semble aujourd'hui disparaître, c'est en raison de ses succès : les valeurs chrétiennes se sont répandues partout dans le monde (c'est en partie cela la sécularisation). Cela ne veut pas dire que le mal a disparu, mais l'important, c'est qu'il y a encore un avenir à découvrir à inventer. Il faut prendre le risque de la liberté qui est de reconnaître qu'il y a une possibilité et une capacité d'alternative. » (Bernard Forthomme).
Vous voyez que je n'ai pas que des mauvaises lectures… À moins que ce franciscain philosophe ne soit pas votre tasse de thé…