06/07/2012

Une écharde dans la chair (14ème dim. du temps)


J’ai dans ma chair une écharde. (2 Co 12,7-10) Que n’a-t-on pas fait dire à cette confession ! Les interprétations à connotation sexuelle se sont multipliées. Paul aurait eut un appétit sexuel insatiable. Mais soyons sérieux, si Paul n’a rien d’autre à se reprocher que sa fringale sexuelle, il n’y a pas de quoi parler d’une écharde dans la chair, tout juste une démangeaison, une irritation superficielle de la peau !
Faut-il être obsédé par le sexe et la pureté pour imaginer d’un homme dont rien ne nous est rapporté par ailleurs sur son goût pour les femmes, les hommes ou l’onanisme, qu’il était soumis à une véritable torture. Les interprètes parlent davantage d’eux-mêmes que de Paul. L’obsession de la pureté sexuelle tourne à la dépravation ! Les saintes-nitouches cachent trop souvent des pervers.
Si nous devons imaginer ce qu’est cette écharde, il faut aller dans une autre direction, celle de la culpabilité, celle que par exemple Dostoïevski a explorée. De quoi donc se sentir indélébilement coupable ? Du viol d’un enfant ? D’un viol ? Voyez que je n’écarte pas le sexe a priori. Pour Paul, il n’y a pas besoin d’aller loin pour comprendre. C’est le crime, la délation, l’arrestation d’innocents, leur meurtre.
Comment être en paix avec sa conscience quand on a livré des innocents à la prison voire à la mort, et que, de surcroît, on se pose depuis comme défenseur de la foi de ceux que l’on a persécutés. Je ne prétends pas à la reconstitution historique. Je ne sais rien de cette écharde dont parle Paul. Je sais que ce que nous en comprenons parle davantage de nous qui cherchons à comprendre. Je nous vois avec nos propres culpabilités, les fautes que nous regrettons vraiment, dont nous avons encore honte, toujours honte, dont nous n’arrivons pas à nous défaire, qui nous font nous détester.
Nous avons-nous aussi peut-être une écharde dans la chair, c’est-à-dire au plus profond de notre être, ce que nous appellerions aujourd’hui la conscience. Il faut, je le redis, relire Dostoïevski, Crime et châtiment, Les frères Karamazov, L’Idiot, etc. Bonnes lectures d’été. L’écharde dans la chair, c’est notre histoire avec le mal, notre pacte avec le mal, ce poids sur la conscience. Même le vocabulaire de la conscience demeure matériel et sensible, un poids dit-on.
Mais le texte de Paul ne s’arrête pas sur cette écharde. Il ne la nomme même pas, d’où les supputations les plus folles. Cette écharde est l’occasion d’un évangile, d’une bonne nouvelle. Et si nous aussi nous sommes de ceux que la faute rattrape, ce que l’on appelle la culpabilité, alors, il y a un évangile pour nous. Non pas la magie d’un coup d’éponge. L’écharde est dans la chair, comme l’œil d’Abel qui était dans la tombe et regardait Caïn : malgré la demande d’en être débarrassé, elle demeure. Elle ne peut être ôtée, et tel n’est pas ce qui importe.
Un évangile est annoncé : Ma grâce te suffit. Evangile si bref que nous ne l’avons sans doute pas entendu, qu’il faut le répéter, Ma grâce te suffit, où lui donner des variations, telle celle de Bernanos. « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »
Cette écharde nous mène jusqu’à la détestation de nous-mêmes, la mésestime de soi. C’est alors notre orgueil qui mène encore la danse. Car aussi grosse que soit l’écharde, aussi profondément fichée en la chair, s’en occuper c’est se préoccuper de soi. L’évangile de la grâce annonce une libération. Non pas le laxisme, une fois encore l’écharde n’a pas disparu, mais la possibilité quand ce n’est pas le devoir d’avancer. Ma grâce te suffit, s’aimer comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.
S’il s’agit de mésestime de soi, de haine de soi, l’écharde n’est pas que faute mais aussi culpabilité non coupable, de celle que ressent la victime d’une agression, je pense aux rescapés de la Shoah, aux victimes des pédophiles et des viols. Nulle faute et pourtant l’horreur de soi, le dégoût de soi qui ne trouve à s’exprimer que dans la faute, dans l’endossement de la faute. Jésus a bien pris sur lui nos péchés, agnus Dei qui tollit pecata mundi. La victime peut porter mortellement la faute de son bourreau.
Alors il faut continuer à lire Paul. Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. Pareil propos n’est accessible, n’est compréhensible que par celui qui est rongé par le remords de son crime ou miné par le crime dont il a été victime. Les autres n’y entendent rien. C’est comme aux béatitudes, on ne peut rien entendre si l’on est content de soi et du monde. Bêtement content oserais-je dire, me laissant aller à quelque ressentiment que je sais pourtant vain, coupable et mortifère, qui signe encore mon refus de conversion. Heureux ceux qui pleurent. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Heureux serez-vous si l’on dit toute sorte de mal contre vous à cause de moi.
Oui, c’est cela l’évangile des béatitudes. Ma grâce te suffit.


Que l’Eglise du Seigneur soutienne ceux qui sont les plus faibles, victimes des haines et de l’oppression, de la guerre et de la maladie.

Que la communauté humaine s’organise sans ressentiment pour que les plus faibles soient accompagnés, aidés. Nous pourrons dénoncer l’assistanat lorsque nous aurons expressément lavés les pieds des plus pauvres.

Que notre communauté permette à chacun de se présenter tel qu’il est, notamment avec ses faiblesses. Que n’importe pas l’image qu’il faut donner de soi, mais la vérité de notre vie.

2 commentaires:

  1. Dominique Bargiarelli6/7/12 14:49

    Se sentir faible parce que coupable mais fort parce que coupable pardonné gratuitement, ne jamais entretenir le ressentiment,ne jamais considérer qui que ce soit ,quelle que soit l'horreur des actes qu'il a accomplis ,comme un monstre...Seigneur donne -nous ta grâce pour suivre ce chemin

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  2. De Jean-Baptiste Metz :
    Les traditions bibliques du discours sur Dieu et les récits néotestamentaires concernant Jésus prennent indubitablement l’allure d’une prise de responsabilité universelle. Il est évident (ce serait à considérer de plus près) que cette prise de responsabilité ne porte pas en premier sur l’universalisme du péché de l’homme, mais celui de la souffrance du monde. Son premier regard ne se tourne pas sur la faute des autres, mais sur leur malheur. Pour Jésus, le péché consiste en premier lieu dans le refus de prendre part à la souffrance de l’autre, dans celui de voir au-delà du sombre horizon de sa propre histoire, ce que Augustin voulait désigner quand il parlait de l’« auto-rétrécissement du cœur ». C’est le fait de se laisser aller au narcissisme caché de la créature. […] C’est ainsi qu’a commencé le christianisme, mise en commun de souvenirs et de récits à la suite de ce Jésus dont le premier regard portait sur la souffrance d’autrui.
    Cette sensibilité élémentaire au malheur des autres est caractéristique de la nouvelle façon de vivre de Jésus. Rien à voir avec une attitude geignarde, avec un culte malsain de la souffrance.
    Au cours du temps, n’avons-nous pas peut-être interprété le christianisme comme une religion par trop sensible à la faute, en minimisant ainsi sa sensibilité à la souffrance ? N’avons-nous pas banni par trop vite et par insouciance de l’annonce de la Passion le cri de douleur jaillissant des abysses de l’histoire ? N’avons-nous pas trop rapidement classé tout ce malheur d’autrui comme « purement profane » ? Et ne sommes-nous pas devenus sourds face à la prophétie de cette souffrance qui déclare que c’est dans cette histoire profane que le Fils de l’homme vient nous rencontrer pour mettre à l’épreuve le sérieux de notre attachement ? Dans la parabole du jugement dernier, en Mt 25, il est dit : « Et ils s’étonnaient et lui demandaient : “Seigneur, quand t’avons-nous donc vu souffrant ?” … Et il leur répondit : “En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait au moindre d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ou ne l’avez pas fait”. » C’est bien là le lien, le pacte mystique entre la Passion et les passions. […]

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