Les premiers propos et manières de se présenter du nouveau
Pape me paraissent pouvoir servir de point de départ pour notre méditation du
jeudi saint. Comment celui que d’aucuns n’hésitent pas à appeler le chef de
l’Eglise catholique peut-il se faire serviteur ? Car il faut cesser de se
payer de mots, entre le pouvoir et le service, il faut choisir. Dès la première
audience, une première précision, une première correction :
« Le Christ est le Pasteur de l’Église, mais sa présence
dans l’histoire passe par la liberté des hommes : parmi eux l’un est
choisi pour servir comme son Vicaire, Successeur de l’Apôtre Pierre, mais le
Christ est le centre, non le Successeur de Pierre : le Christ. Le Christ
est le centre. Le Christ est la référence fondamentale, le cœur de l’Église.
Sans lui, Pierre et l’Église n’existeraient pas et n’auraient pas de raison
d’être. »
Mais cela ne suffit pas. A quelles conditions le pouvoir
peut-il être service ?
Je n’en vois aucune, si ce n’est l’amour, c’est-à-dire la
miséricorde. Faire miséricorde. Miserando,
en faisant miséricorde, comme Jésus. Tout le reste est mensonge, pire,
détournement de l’évangile. Rien ne sert de laver les pieds lorsque l’on
gouverne sa paroisse ou son diocèse en autocrate, lorsque l’on se comporte en
petit potentat dans son boulot ou sa famille. Rien ne sert de se frapper la
poitrine, lorsque toutes les bonnes raisons, y compris canoniques, y compris
morales, permettent que l’on ne fasse pas miséricorde ou que l’on rejette le
frère. Rien ne sert de reconnaître la sainteté des autres quand on n’a pas
l’intention de changer un tant soit peu son attitude.
« Si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le
Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ;
car c'est un exemple que je vous ai donné : ce que j'ai fait pour vous,
faites-le vous aussi. »
Que pourrions-nous faire d’autre qu’obéir au commandement du
Seigneur ? Pourrions-nous ne pas obéir et prétendre être disciples ?
Laver les pieds aujourd’hui comme hier, c’est accueillir ceux qui sont sales.
Voilà la seule manière de vivre le pouvoir, laver ceux que nos convictions et
nos habitudes trouvent sales. Ils dérangent, notamment mais pas seulement, les
tenants d’une religion authentique, exigeante, n’ayant pas peur de s’opposer à
la société pour lui dire la vérité. Ils font tâche comme les publicains, les
prostituées, la femme adultère, les lépreux. Je vous laisse décliner ceux que
notre société et notre Eglise trouvent sales. Ce sont eux qu’il faut mettre au
centre, puisque dans ces petits, c’est Jésus qui est visité, nourri, habillé, soigné,
lavé.
Le pouvoir est contraire à l’évangile si l’évangile c’est le
service. Il n’y aura pas de pouvoir évangélique, c’est impossible. La seule
astuce consistera alors ruser, comme
Claire d’Assise, comme Etienne de Muret.
Il va de soi que ceux qui sont sales ne sont pas toujours
les purs. Ils le sont aussi parfois. Mais importe peu ici. Jésus vient pour sauver
ceux qui sont victimes du péché des autres ; comme son Dieu et Père, il a
vu la misère de son peuple. Il vient aussi pour les salauds, Zachée, Matthieu,
Judas, et même Pierre le traitre. C’est plutôt une bonne nouvelle pour nous
autres, non ? « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais
dis seulement une parole et je serai guéri. »
Alors, il faut choisir la stratégie du rebus. Non par
misérabilisme, non par délectation dans l’abject. Mais c’est la seule manière
de ne pas se tromper. Tout ce que vivons, y compris de meilleur, nous devons le
tenir comme des balayures. C’est le chemin de Paul, c’est le chemin de Jésus.
« Sans beauté
ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits; objet
de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance,
comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions
aucun cas. »
Le chemin du Seigneur met nos repères à l’envers, c’est ce que l’on appelle
un chemin de conversion. L’Eglise est invitée par son Seigneur sur ce chemin
qui la détourne des manières de faire mondaines. C’est ce que disait le nouveau
Pape aux Cardinaux lors de la messe pro
Ecclesia : « Quand nous marchons sans la Croix, quand nous
édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans Croix, nous ne
sommes pas disciples du Seigneur : nous sommes mondains, nous sommes des
Évêques, des Prêtres, des Cardinaux, des Papes, mais pas des disciples du
Seigneur. » Nous sommes peut-être des chrétiens, mais pas des disciples du
Seigneur.
Il n’y a pas d’autre chemin que celui du service, laver les pieds, laver
les pieds sales. Si vous préférez des mots plus communs dans une méditation
évangélique : il n’y a pas d’autre chemin, que celui du service, faire
miséricorde… à ceux qui nous semblent le mériter le moins.
À la télé, je vois et j'entends que le pape n'a pas encore intégré ses appartements pontificaux. Le fera-t-il ? On verra… Ça me semblait un signe intéressant, symbolique d'une certaine rupture avec les signes si ostentatoires du pouvoir absolu que la chrétienté a su mettre en place en 2000 ans… Même Louis XIV fait pâle figure avec Versailles !
RépondreSupprimerVoulant en savoir un peu plus, j'interroge M. Google… Je clique au hasard dans la tête de la liste. Je tombe sur un site : « riposte catholique », qui relaie l'information/rumeur selon laquelle il ne réintégrerait pas lesdits appartements. Mais ce qui est intéressants ce sont les commentaires qui suivent dont on devine qu'ils viennent de bons catholiques pratiquants. Je cite quelques messages courts : « le cirque de l’humilité ostentatoire continue comme il a commencé… » — « ll ne faudrait pas quand même qu’il aille coucher sous les ponts … la fonction de pape a aussi sa dignité » — «Trop de modestie nuit à la modestie. » — « Si ce pape voulait rester humble pourquoi a-t-il accepté cette charge? » — « Cette propension à donner dans l’humilité, la modestie ne présage rien de bon » — etc.…
Certes il y a quelques messages dans ton différent, mais ils sont minoritaires…
Finalement, on attend toujours les manifestations du Pouvoir, comme un besoin de l'homme qui réfléchit peu, qui a besoin qu'on lui brandisse des étendards vainqueurs pour s'abriter en dessous et suivre comme un mouton. Une église triomphante, bardés de signes de richesse, de monuments colossaux, de rituels pompeux, de tiares sur les têtes, etc. Voilà ce que réclame le bon peuple… Voilà ce pourquoi il est prêt à donner à la quête et faire brûler des cierges. Les prélats ont très bien compris le truc. Ça marche dans tous les palais royaux. Chacun s'agenouille et baise les pieds. Quels sont donc les pieds les plus sales ?
Alors oui, votre texte, votre méditation, vos exhortations, votre appel au choix entre pouvoir et service, comment ne pas y adhérer, mais combien vont-ils être ceux qui seront vraiment touchés à la profondeur que vous suggérez. C'est là toute la difficulté. Quelles actions fondées sur de tels mots ?
Il y a quelque temps, par hasard, j'ai vu un prêtre (à l'ancienne, en soutane…), qui ouvrait la porte de son église. Il y avait assis sur le seuil, sans doute en attendant les offices, quelques pauvres plus ou moins clochards. Il les a repoussés d'un pied agacé. Sûr qu'il n'était pas prêt à leur laver les pieds.
Je ne tire pas mon épingle du jeu. En voiture, au feu rouge, je repousse d'un geste ou d'un regard agacé ces gens qui frappent au carreau pour quelques pièces. J'ai bonne conscience, puisque je donne à pas mal d'associations caritatives…
Merci pour ce texte parce qu'il bouscule.
Grand Dieu,qu'il est difficile de parler du pharisaïsme des autres sans l'être soit-même...
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