Ce n’est ni de femme ni d’adultère dont parle notre texte.
Il s’agit bien d’un procès, d’un procès
truqué, sans véritable institution ni procédures pour garantir la justice. Le
procès en question est celui qui s’ouvre dès le chapitre 2 de l’évangile de
Jean avec les marchands chassés du temple, c’est le procès de Jésus.
Le texte le dit explicitement : Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir
l'accuser. C’est Jésus que l’on cherche à accuser, c’est à lui qu’on
attente un procès. La femme n’est qu’un prétexte. L’attention de Jésus lui
rendra sa dignité à la fin du texte, lorsqu’aura cessé, pour un moment au
moins, le combat, faute de combattant. Au chapitre 8, il est trop tôt pour que
le piège se referme. L’heure n’est pas encore venue.
A dire vrai, on pourrait se demander si ce n’est pas
l’inverse, si ce n’est pas Jésus qui met le monde en crise, qui lui attente un
procès. Dès les premières pages de l’évangile, Jésus déroute. Au chapitre
premier, le dialogue avec les premiers disciples est un enchaînement de
quiproquos. Que cherchez-vous ?
Maître, où demeures-tu ? Venez et vous verrez. A Cana, la nouveauté du
vin de l’alliance est telle que l’ancienne alliance paraît révoquée, caduque.
Les marchands chassés du temple et la contestation de l’institution
du temple marquent nettement les camps. Apparaissent alors ceux dont
l’évangéliste, Jean, un Juif, fait les adversaires de Jésus et qu’il appelle
les Juifs. Mais tous, y compris les enthousiastes, sont mis en porte-à-faux ;
Jésus se méfie même de ceux qui s’attachent à lui, car il savait, lui, ce qu’il y a
en l’homme.
Nous ne sommes qu’au chapitre 2. Au chapitre suivant, lors
de l’entretien avec Nicodème, de nuit – par peur des Juifs dont il est,
tout comme Jésus ? parce qu’il n’y comprend rien ? parce qu’il ne
passe pas à Jésus ? parce que ce n’est pas l’heure ? parce que tout
cela n’est que basses œuvres ? parce que la nuit demeure jusqu’à la
lumière de l’aube pascale ? ‑ les quiproquos reprennent. C’est comme
si l’on ne pouvait rien comprendre à Jésus tant sa nouveauté est indicible. Le
neuf ne peut être dit, il manque de mots pour le désigner, ou alors, ses mots
seraient incompréhensibles, ésotériques. Nous ne savons parler du nouveau qu’en
le comparant à l’ancien. Mais si Jésus, comme annoncé par Isaïe, fait toutes choses nouvelles, le monde ancien s’en est allé, cet
ancien monde ne fait pas sens et le nouveau est lui à ce point incommensurable
qu’il n’a pas de mots pour le dire.
Dans ce même entretien avec Nicodème, le mot de jugement,
lui est prononcé : Tel est le
jugement : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré
les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises.
Je ne peux relire tous les chapitres de l’évangile du jugement. Jésus met le monde en crise. Sa sainteté
dénonce nos mauvaises œuvres. Mais attention, la mise en crise n’est nullement
accusation et encore moins condamnation. Si l’on veut comprendre le sens de
cette mise en crise, du jugement du monde par Jésus, il faut lire dans le même
entretien à Nicodème le positionnement de Jésus : Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que
quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a
pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde
soit sauvé par lui.
N’est-ce pas exactement ce qui se passe dans l’évangile de
la femme adultère. Le procès de Jésus est aussi procès de ceux qui l’accusent, est aussi le passage de la charité dans ce monde, d’un peu d’amour, là où
il ne semble y avoir que des cœurs aussi durs que les pierres que l’on
s’apprête à jeter.
Nous entendons beaucoup, nous disons beaucoup que l’Eglise
met en crise le monde. Benoît XVI dans l’une de ses dernières interventions,
comme il l’a souvent fait, à opposé de manière bipolaire un concile virtuel et
un concile réel, le concile inventé par les journalistes et celui qu’ont vécu
les pères conciliaires. On a dit ces jours que les pronostics des journalistes
avaient été déjoués, comme si l’Esprit Saint avait un malin plaisir à mettre les
journalistes en difficultés !
On voit bien que le procès de l’Eglise avec le monde,
particulièrement violent depuis les Lumières et la Révolution française n’est
toujours pas fini. Tour à tour monde et Eglise sont l’accusateur l’un de
l’autre, de même que, l’accusateur devient l’accusé dans le procès que
constitue l’évangile de Jean.
Mais si nous voulons mettre le monde en crise, et il le
faut, tant les injustices sont grandes, tant le service de l’argent et du
pouvoir sont avilissement du prochain, il n’y a qu’une solution, celle de Jésus,
aimer ce monde. Aimer ce monde jusqu’à l’extrême, de la prostituée ou de la
femme adultère aux puissants, des journalistes aux non croyants ou au partisans
de lois qui ne sont pas conformes avec ce que nous appelons la morale
catholique.
Nous lirons dans dix jours les lignes qui ouvrent le
chapitre 13 de l’évangile, les lignes qui ouvrent le moment de l’heure : Jésus, sachant que son heure était venue de
passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le
monde, les aima jusqu'à l’extrême. Il n’y a pas d’autre chemin pour l’Eglise
que celui de Jésus. Aimer ce monde jusqu’à l’extrême, aimer jusqu’à l’extrême
ceux dont Jésus s’est fait proche en venant dans le monde, les siens.
Je suis sensible à votre regard qui ne se porte pas d'abord sur ce qui se joue entre Jésus et la femme adultère, mais entre Jésus et les scribes et les pharisiens, à votre regard qui met l'accent sur ce faux procès.
RépondreSupprimerCette scène m'évoque l'épisode de la main desséchée (Marc 3,1-6) où Jésus met également un certain monde en crise, selon votre belle expression, où il bouleverse un certain rapport "crispé" à la Loi où il rappelle la Loi première, lui le Fils.
Notre monde sans repère ou aux repères surabondants et non hiérarchisés, notre monde qui propose une très grande liberté à des hommes qui ont oublié d'apprendre à l'exercer en conscience, invite à ce rapport crispé à la loi, à ce "pharisianisme".
Mettre le monde en crise c'est vouloir réveiller l'humanité des hommes, les appeler à ne pas avoir peur de se laisser transformer par l'Esprit, par ce Père qui nous appelle à l'aimer et à aimer nos prochains comme nous-mêmes en pleine liberté, et non pas à un agir contraint, IL nous appelle à "exister notre humanité", si je peux le dire ainsi.
Alors merci de ce commentaire inspiré de l'évangile qui met en joie et vivifie la foi.
Christophe Marmorat.
cmarmorat@yahoo.fr
J'ai beaucoup aimé ce regard sur la réalité du Christ dans le monde de son temps, dans le monde de notre temps, avec cette invitation à remettre en cause nos vies "ronronnantes" de fidèles rassurés noyés dans un légalisme figé. Une invitation vraie à revisiter la figure et le message du Christ.
RépondreSupprimerEt puis soudain, en fin de l'avant dernier paragraphe, des mots qui surgissent de façon incongrue et qui pour moi sont une remise en cause l'ensemble du développement qui précède : "...ce que nous appelons la morale catholique" !!!
Je suis aterré.
Je vous remercie de votre message, mais ne comprends pas ce qui vous met à terre. Pouvez-vous expliquer en quoi cette mention de ce que l'on appelle la morale catholique vous paraît remettre en cause l'ensemble du texte ?
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