29/03/2013

Mieux vaut pour Dieu disparaître qu'être l'allié des puissants (Vendredi saint)


La prophétie d’Isaïe contient en sa seconde partie, qui date de la fin de l’exil à Babylone, vers 550, trois passages que l’on nomme les Chants du serviteur. Ces quelques dizaines de versets ont une importance considérable tant les thèmes qu’ils développent expriment la fine fleur de la foi d’Israël : Un libérateur, envoyé de Dieu, élu de Dieu, va sauver le peuple. Non seulement étranger au peuple, puisqu’évidemment, ce n’est pas sur ses propres forces que le peuple peut compter pour parvenir à la vie, à la rémission de ses fautes, à la joie, ce serviteur de Dieu est encore rejeté par le peuple.
Les premiers chrétiens ont lu dans ces lignes un portrait prophétique de Jésus. Ces vieilles pages de l’exil constituent le canevas des évangiles de la Passion et Luc, dans les Actes des Apôtres, met en scène l’identification chrétienne du serviteur souffrant d’Isaïe. L’eunuque de la reine d’Ethiopie lit la première lecture de notre office. Ecoutons les Actes :
« Le passage de l’Ecriture qu’il lisait était le suivant : Comme une brebis il a été conduit à la boucherie ; comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n’ouvre pas la bouche. Dans son abaissement la justice lui a été déniée. Sa postérité, qui la racontera ? Car sa vie est retranchée de la terre. S'adressant à Philippe, l’eunuque lui dit : "Je t’en prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ?" Philippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l’Ecriture, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus. »
Ainsi Jésus se tait durant sa Passion. Ainsi Jésus est-il rejeté par ceux qu’il libère dans l’acceptation même de ce rejet. Ainsi Jésus est-il considéré comme un malfaiteur.
Jésus est retranché de la vie. Jésus, Dieu, n’a pas de place dans notre monde. Dieu ne sert à rien dans ce monde, mieux vaut s’en débarrasser. Pas besoin de s’en encombrer. La situation d’athéisme ou d’indifférence profonde aujourd’hui donne à ce texte et à la Passion une résonnance nouvelle. Dieu est retiré de notre monde, il n’y a plus sa place.
Que le prophète imagine un envoyé de Dieu qui vienne non avec force et puissance mais dont l’éradication est le destin ne pouvait que conduire à l’athéisme, ne pouvait que faire de l’athéisme un discours théologique. Dieu se donne comme destin de disparaître, d’être méprisé, de compter pour rien. Dieu consent à être retranché.
Qui donc est Dieu ?
Quand Dieu disparaît, la puissance et la force sont définitivement incapables de dire Dieu. Cela permet sans doute au salaud de prospérer, plus rien ne l’arrête. Si Dieu n’existe pas, tout est permis. Ceci dit, même avec Dieu, le salaud ne se portait pas mal, merci pour lui. Mais si Dieu disparaît, cela rend possible sa quête. La quête est même l’unique chemin, plus de manifestation évidence, plus de miracle. Plus rien, si ce n’est dans son absence, la trace de ce qu’il est à chercher. Mais si Dieu disparaît, sa raison d’être peut à nouveau se laisser deviner, pure gratuité, pure grâce. Dieu ne s’impose pas dans la brutalité d’une présence qui oblige et écrase. Il donne au contraire, il abandonne, tout son poids, toute sa gloire, à ce qui ne vaut rien et n’a aucun poids. Le sort de Dieu est définitivement lié à celui des rejetés.
Le salut de ce qui n’est pas, ne compte pas, ne vaut rien, tient dans ce poids reçu de la présence de la gloire de Dieu lui-même. Que l’idée de Dieu y perde des plumes, c’est certain. Mais cela tombe bien puisque Dieu n’est pas une idée.
Dieu n’a que faire de régner si le rebus de l’humanité crève. Mieux vaut pour Dieu mourir, disparaître, être rejeté, ne plus compter dans ce monde qui vit sans lui. Mieux vaut pour Dieu disparaître que d’être l’allié des puissants. Mieux vaut que vivent ceux que l’on tue qu’un Dieu qui règne éternellement. La gloire de Dieu, c’est l’homme, à commencer par le plus méprisé, l’homme vivant.

2 commentaires:

  1. le Voyageur3/4/13 12:00

    Dans votre billet précédent, à propos du mariage pour tous : 12 commentaires (au moment où j'écris)… Sur celui-ci : aucun (toujours au moment où j'écris…). C'est intéressant quant aux centres d'intérêt des commentateurs… Pour ma part, ce billet-ci me semble bien plus interpellant et intéressant que de savoir qui peut épouser qui, pourquoi et comment…
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    Vous écrivez : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » Et vous insistez sur cette phrase par des italiques. Je ne comprends pas très bien. Il existe dans l'homme une conscience profonde qui lui est accessible, pour peu qu'il veuille bien tourner son regard de ce côté. Cette conscience lui permet de faire des choix qui ne sont pas forcément le « tout et n'importe quoi » que vous supposez. Et ceci, si je puis dire, « indépendamment de Dieu et de son existence » (sauf à avoir le postulat d'un Dieu à l'origine de tout depuis toujours, mais dans ce cas le débat est clos…). Cette conscience existe dans l'enfant (par exemple) de manière naturelle et spontanée, pour le peu qu'il ne soit pas « abîmé » par l'adulte. Ainsi du goût de la vérité, qui fait qu'il réclame des paroles et des attitudes « vraies » et qu'il se montre lui-même dans sa propre vérité dans sa manière d'être et de réagir. Chaque parent fait l'expérience de cela, que ce soit chez les bons catholiques ou dans une famille athée… C'est au nom de valeurs humaines que tout n'est pas permis. Que Dieu existe ou non…
    Le combat pour un monde plus humain n'a pas attendu (ou n'attend pas) Dieu pour faire avancer un peu plus l'humanité des hommes… Le "sans-dieu" n'est pas plus salaud que le "avec-Dieu"… tous les "avec-dieu" ne sont pas des vertueux merveilleux…
    J'aimerais mieux comprendre ce que vous voulez dire par cette phrase…

    Sinon, j'apprécie beaucoup la suite du paragraphe, parce que, « l'athée en recherche » que je suis aujourd'hui apprécie que le Dieu qu'on lui a présenté perde toutes les plumes de paon dont on l'avait affublé, et qu'il puisse enfin poursuivre sa recherche, en se dépouillant jusqu'à arriver à ce que vous écrivez ainsi : « … Plus rien, si ce n’est dans son absence, la trace de ce qu’il est à chercher. »
    D'ailleurs, peut-on accéder à autre chose que cette trace ?… Sauf à continuer à « construire Dieu » selon nos besoins et nécessités d'autosuffisance. (Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur une église qui se comporte comme entité autosuffisante, tout en prétendant être "ouverte").

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    1. La phrase qui vous fait problème est une citation. C'est pour cela qu'elle est en italique. C'est du Dostoïevski.
      Je ne suis pas certain d'être d'accord avec cette assertion parce que je partage grandement les objections que vous faites.
      J'avais d'ailleurs fait remarquer qu'avec ou sans Dieu, le salaud prospérait. Reste que Dieu joue le rôle de surveillant moral pour un certain nombre de personnes, c'est un fait. Dans ces conditions, il rend service à la société avec son costume de gendarme, aussi mal que lui aille ce costume. Je pense notamment que dans les pays où les institutions n'existent pas, ou quasiment pas, là où l'état de droit n'existe pas mais seulement la corruption, à tous les niveaux, relativiser la dimension morale de Dieu est périlleux.
      J'assumais cela en montrant l'inanité de la puissance pour dire Dieu.

      Quant à ce que vous dites des commentaires, je ne peux que partager encore votre avis. Le pire, c'est que dans mon texte, je ne parle pas tant que cela de qui peut se marier avec qui, mais du sophisme de l'article qui veut démontrer contre les faits que le sociogramme des manifestants n'est pas celui, très étroit, d'une opposition politique à l'actuel gouvernement mobilisée par des valeurs d'un catholicisme intransigeant.

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