La liturgie de ce jour, comme la catéchèse en général, fait
de notre première lecture un récit de vocation. C’est le rapprochement de
l’appel de Samuel avec l’appel des premiers disciples qui nous mène sur cette
voie interprétative. C’est dommage par ce qu’aucun des deux textes n’est un
récit de vocation. Que l’on se trompe sur une nomenclature n’est pas important
si cela ne chagrine que les spécialistes. Il en va autrement, si cela empêche
de comprendre les textes !
Que se passe-t-il dans le soi-disant appel de Samuel ?
Une apologie de la parole de Dieu. Le héros du texte, ce n’est pas Samuel, c’est
la parole. La parole se fait entendre, plus fort que tout, et en l’occurrence,
plus fort que l’institution sacerdotale, plus fort que la surdité du prêtre Eli
qui met un moment à comprendre.
Le livre de Samuel met en scène l’incapacité sacerdotale, la
pourriture sacerdotale. L’anticléricalisme n’a pas attendu Charlie Hebdo ! Vous n’avez qu’à voir. Les fils d’Eli, ceux
qui vont lui succéder, sont des pourris, pourris jusqu’au trognon. Que faire,
quand c’est la religion, ceux qui parlent en son nom, qui la pervertissent ?
On n’aurait pas pensé trouver tant d’actualité dans ce vieux livre (difficile à
dater, fait de reprises successives depuis le IXe siècle jusqu’à l’Exil, date de
l’état final) !
Les prêtres sont pourris. Les rois, Saül et même David, sans
parler des successeurs, même topo. Il faut que ce soit Dieu lui-même qui
intervienne, par sa parole. Le prophète serait, comme héraut de la parole,
celui auquel on pourrait se fier. L’épiphanie de la parole plus que la vocation
de Samuel, c’est l’affirmation que rien n’est assuré en matière religieuse. Le
roi et le prêtre trahissent.
Pour l’heure le prophète, avec Samuel, avec l’innocence de l’enfant,
tire son épingle du jeu. Mais il y a aussi de faux prophètes. Rien n’assure la
parole de Dieu, la vérité de la foi. Prêtres, prophètes et rois, tous sont
renvoyés à leurs péchés. Question encore terriblement actuelle : Qui parle
bien de Dieu ?
Si l’on en vient à l’évangile, pareillement, il faut se
méfier des apparences. On est au chapitre 1 de Jean, on ne sait encore presque
rien de Jésus. On n’en est pas à présenter d’autres personnages, d’autant que l’on
ne nous dit pour ainsi dire rien de Pierre et André ; on n’a même pas le
nom du troisième disciple !
Pas plus que Samuel, les disciples ne sont au cœur du texte,
mais Jésus. C’est lui qui attire, intrigue et change les noms. C’est lui, la
parole, qui invite à venir et voir, auprès duquel on demeure. Alors que l’on
sait qu’il n’y a rien de plus ambigu que la prophétie, mieux vaut se garder d’affirmer
péremptoirement. Ainsi, le texte est tout entier construit sur des quiproquos
pour éveiller l’attention, pour que l’on se méfie d’avoir trop bien compris.
Je lis et relis ces textes dans le contexte des débats,
discussions, ou dialogues de sourds suite aux attentats. A qui la faute ?
C’est quoi l’intolérance religieuse ? Ou commence l’intégrisme ? Nous
devons entendre, aussi dur que ce soit, que nos religions portent la violence,
parce qu’elles portent ce qui nous est le plus cher, le plus archaïque aussi.
La critique, même caricaturale, même injuste est une des armes pour désarmer
les religions, nous en libérer. On a oublié que la religion faisait et fait peser
son joug. Certes elle peut aussi libérer, être artisan de paix.
Mais nous ne sommes pas sots au point de penser que les
athées sont plus ouverts, plus libres, comme si le salut se trouvait dans la
laïcité ! Le laïcisme aussi est une religion, c’est le comble, qui
proclame : « Hors de la laïcité pas de salut ! » L’ignorance
‑ je ne parle pas même de mépris ‑ du fait religieux est non
seulement une erreur politique, mais une idiotie. Il y a du religieux dans le
monde. Il pose les questions, dans tous les sens, soit qu’il suscite le débat,
soit qu’il fasse problème.
C’est quoi notre valeur suprême à nous ? La liberté, la
liberté d’expression, comme on l’a entendu ces jours ? Certains répondent
non, mais j’ai peur que ce soit pour mieux laisser libre cours aux puissants et
à l’argent. Le libéralisme est une religion qui se porte fort bien, merci pour
lui. C’est incroyable, on peut même tuer par amour ! Alors, c’est quoi,
notre valeur suprême ? Et si c’était de ne pas en avoir, non par cynisme ou
nihilisme, mais pour laisser ouvert au vent de l’Esprit, la charge de nous
orienter et nous conduire, pour nous interdire de n’en idolâtrer aucune.
Les quiproquos de l’évangile ouvrent un chemin, sur lequel
on est invité à s’engager, les enthousiastes comme André, à l’affut de la
nouveauté, et les types à la tête dure, dure comme Pierre. Venez voir ! On
se garde bien de répondre car on ne sait qui est Jésus qu’à le chercher, qu’à
lui courir après, comme le disciple que Jésus aimait, nous, à la fin du même
évangile. Nous sommes des nomades de la vérité. Dans le désert, c’est l’eau
pour vivre qui fait se déplacer. Dans la foi, c’est la parole de vie qui fait
se mettre en route, n’en rester jamais au port d’attache des certitudes. La
parole se dit dans un souffle, dans le vent. On ne l’entend pas entre les murs
d’un bunker, derrière la clôture d’un monde protégé et sécurisé, ou la
protection idéologique d’un dogme, religieux ou laïc.
Merci pour ce texte.
RépondreSupprimerJe m'arrête sur un détail : est-ce que tu assimile athéisme, laïcité et laïcisme ? Ca me semble assez différent pourtant. L'athéisme pourrait être considéré comme une croyance (la croyance en l'absence de dieu(x)), alors que la laïcité est une position qui défend que l'Etat ne doit pas intervenir dans les affaires religieuses, et vice-versa. Quant au laïcisme, il pousse à bout la laïcité en considérant que la croyance doit rester absolument de l'ordre du privé.
On peut être pour ou contre la laïcité, mais cela n'a pas forcément de rapport avec sa croyance. Il y a sans doute des chrétiens pour la laïcité (voire laïciste), et des athées plutôt contre (qui voudraient supprimer toutes les religions).
Je me demande du coup si tu faisais des raccourcis dans ton texte, ou si tu a une autre conception de ces différents termes ?
Je ne croyais pas avoir été ambigu. Il est clair que je ne confonds pas athéisme, laïcité, laïcisme. Ce qu'est l'athéisme, c'est la réponse à la question de Dieu par la négative. Est-ce une croyance ? Est-ce une éthique ? Est-ce une position philosophique ? etc. On pourra discuter. Mais la question de Dieu est décidé comme réglée.
SupprimerLa laïcité est une caractéristique sociale, celle qui établit la séparation du religieux et du politique, au sens étymologique, de la vie de la cité, de son administration au moins. Mais qui dit séparation, ne dit pas ignorance. Cela dit même si l'on en croit la loi de 1905 la garantie de la liberté religieuse. A noter que le religieux ne relève pas du privé, puisque l'on vise le culte, mais bien la vie publique.
Le laïcisme est pour moi l'intégrisme de la laïcité, l'ignorance instituée des religions sous prétexte que cela ne doit pas regarder l'Etat.
Je suis pour la laïcité et m'engage à la défendre. Je ne suis pas athée et suis disposé à rencontrer les athées pour construire avec eux, comme avec tout homme, le monde fraternel. Ici, je ne suis ni pour ni contre, je suis avec.
Je suis contre le laïcisme, non seulement aberration intellectuelle, mais intégrisme, comme toujours fanatique, et je m'emploie à le combattre.
Je trouve que les choses sont assez clairement distinguées. Mais peut-être mon texte allait-il trop vite.