Avec la fête de l’épiphanie, le Dieu d’Israël est annoncé
comme Dieu pour tous les peuples. Il y a certes longtemps qu’Israël considère
son Dieu comme unique. Dès lors que son sauveur est reconnu comme le créateur, durant
l’épreuve de l’exil, son Dieu est le seul Dieu. On ne voit pas qu’il puisse y
avoir plusieurs créateurs !
Avec la fête de l’épiphanie, un pas de plus est franchi. Non seulement, le Dieu d’Israël est l’unique, mais il est Dieu pour toutes les
nations. L’enfant que visitent et vénèrent les mages n’est pas le dieu d’un
peuple, d’un clan ou d’une famille, mais celui qui rassemble l’humanité en une
seule famille.
Avec la fête de l’épiphanie, unicité et universalité vont de
pair. C’est du jamais vu. Si l’on cherche des ruptures de civilisation, en
voilà une !
Matthieu met en scène cette affirmation théologique au début
de l’évangile, avec le récit des mages, plutôt qu’à la fin, devant le tombeau
vide, triomphe de la résurrection. A la fin de l’évangile, il n’y aura pas de
reconnaissance par l’ensemble des nations contrairement à la crèche. Il y aura
en revanche le commandement d’aller baptiser toutes les nations. Il y a dans le
symbolisme des mages plus que dans le commandement d’aller par toute la
terre. Par quelques uns, le monde entier s’incline devant l’enfant : l’unique
est reconnu par tous et pour tous. A la fin, il n’y a pas grand monde pour
reconnaître l’universalité du ressuscité.
Je me laisse surprendre par ce décalage entre l’annonce déjà
réalisée, dans le prologue de l’évangile, et une réalisation à venir, qui
réside dans une annonce, à la fin du même évangile.
Pour dire l’universel, pour dire que Jésus est le sauveur du
monde, salvator mundi, il faut être
prudent. Comment ne niera-t-on pas les différences et la particularité de chacun
s’il y a un seul Dieu pour tous ? Babel n’est pas loin, et les dictatures,
depuis les tyrannies politiques jusqu’à celles de la pensée unique, du
politiquement correctement et de la mode. Avec la vérité, la prudence est de
mise car la vérité dépasse tout ce qui prétend l’atteindre.
La vérité échappe à l’histoire. Matthieu préfère ici le
mythe à l’histoire. Même si Jésus est le sauveur dans l’histoire, pour le reconnaître
comme le salut du monde ‑ Dieu-sauve, c’est son nom ‑ il faut autre chose que la
collation de faits, aussi importants soient-ils.
La vérité échappe à qui pense la posséder parce que la
vérité est mensonge lorsqu’elle s’impose par la force. On dit faux lorsque l’on
hurle la vérité, on dit faux quand on l’impose plus fort que la charité. On est
serviteur de la vérité, sans puissance, ou bien on la trahit, comme un menteur.
La vérité de l’évangile, l’universalité de l’unique sauveur, se dit avec les
mages, parce que c’est un enfant qui est, pour eux comme pour les bergers, le
signe de ce Dieu. Il ne faudrait surtout pas faire de la résurrection un triomphe
fracassant, happy end et revanche si ce n’est vengeance !
Dieu dans la faiblesse de l’enfant. Quelle conversion de
Dieu, de nos conceptions de Dieu. Et si l’on n’était pas convaincu de la chose,
Matthieu insiste : premièrement, il expose la confession de foi de façon
cryptée, pour qu’elle n’écrase personne, l’or, l’encens et la myrrhe pour le
roi, Dieu et homme. Il raconte deuxièmement l’épisode, tout aussi fictif, du
massacre des innocents, des enfants martyrs. La violence comme le mensonge se
déchaîne. Elle s’est déchaînée au cours de l’histoire dans et par la faute de l’Eglise
à qui il est arrivé de s’imposer en force plutôt que de servir le chemin, la
vérité et la vie. On n’assène pas la vérité de l’évangile en criant, en
défilant dans les rues. Ils la disent autrement et vraiment ceux qui meurent en
Irak ! Aussi juste que soit la théologie de Benoît XVI, l’image de
défenseur inflexible du dogme qui lui était attachée l’a handicapé pour dire la
vérité de l’évangile à toutes les nations ; manquait sa vulnérabilité bien
si peu compatible avec l’infaillibilité.
Qu’est-ce qui change les hommes, qu’est-ce qui change les cœurs,
qu’est-ce qui fait reprendre la route par un autre chemin, qu’est-ce qui
provoque la conversion ? Assurément, la manifestation de l’universalité de
l’unique Dieu. Mais si ce Dieu était apparu dans sa gloire, avec tout son
poids, qui en impose, il n’aurait eu aucun disciple seulement des esclaves.
Qu’est-ce qui change les hommes et les cœurs, qu’est-ce qui
fait reprendre la route par un autre chemin, qu’est-ce qui provoque la
conversion ? La faiblesse de l’enfant, la déréliction du crucifié. Nous
sommes les disciples de cet homme.
Seigneur Jésus, roi de vérité, tu confies à tes disciples de
témoigner devant tous de l’amour du Père. Les Eglises portent ce trésor comme
des poteries sans valeur. Donne-leur de s’aventurer sur les chemins de la
douceur et du pardon, à la rencontre de tout homme.
Seigneur Jésus, roi de paix, ta présence en notre monde
déchaîne haine et violence, alors que tu es venu annoncer à tous les peuples
une humanité fraternelle, enfantée par ton Père et notre Père.
Seigneur Jésus, roi d’humilité, tu te fais proche de tout
homme par ta mort comme un paria. Donne à chacun de te découvrir à ses côtés, les
malades, ceux qui passent la mort, les victimes des guerres et de la violence,
les migrants dont on a tant parlé cette semaine…
Seigneur Jésus, roi de faiblesse, donne à notre communauté
de s’abandonner à ta seule confiance, laissant toutes les sécurités pour te
ressembler davantage.
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