Voilà une question pour les enfants du caté. Le baptême que
Jésus a reçu des mains de Jean, comme nous l’avons entendu, est-il le baptême
que nous autres avons reçu ?
Evidemment, non. Car notre baptême est plongeon (c’est ce
que veut dire baptême) dans la mort de Jésus pour le suivre en sa résurrection.
Nous sommes morts avec lui pour renaître avec lui. On ne voit pas comment Jean
aurait pu plonger ceux qui venaient à lui dans la mort et la résurrection de
Jésus, qui était encore bien vivant. On ne voit pas comment Jésus aurait pu
être plongé dans sa propre mort autrement qu’en sa passion.
Aussi, le rite de purification que Jésus vient recevoir au
milieu des siens n’a pas grand-chose à voir avec la mort que nous traversons
comme les fils d’Israël passèrent la mer. Lorsque l’on baptise en enfant en
Orient, on lui passe la tête sous l’eau en le plongeant dans la cuve
baptismale. Il pleure, évidemment, comme au jour de sa naissance. Quand on
baptisait les adultes dans l’Eglise ancienne, on leur enfonçait la tête sous
l’eau. En ressortant, plus ou moins à bout de souffle, ils disaient Je crois et reprenaient souffle.
L’actualité terrible de ces jours, mort, sang et feu…
Comment dire ? Ce n’est plus une question pour les enfants du caté. Il
vaudrait mieux se taire. Mais on ne va pas laisser un silence de mort
l’emporter. Notre monde est en guerre, il l’a peut-être toujours été. Il est en feu, disait Thérèse de Jésus.
La violence de la haine et du fanatisme, de l’extrémisme, voilà
ce qui nous a sauté à la gueule ces trois jours, de mercredi à vendredi. Du
sang, des vies brisées, des paroles et des voix que l’on n’entendra plus, des
visages et des dessins que l’on ne verra plus, des corps que leurs proches ne
serreront plus dans leurs bras. Il est mesquin de savoir si « nous
pleurons ceux qui nous ne faisaient pas rire ». Nous pleurons, point.
Le Christ par amour de ce monde, même violent, le monde qui
nous fait horreur… (je ne sais terminer ma phrase). N’oublions pas que « nous
sommes les disciples d’un type qui a été victime de l’intégrisme religieux »,
du fanatisme et des basses œuvres politiciennes. Et nous avons été plongés dans
sa mort, comme nous sommes submergés par l’horreur.
Pour la dignité de tout homme, les victimes, nous tous, et
même les agresseurs, Jésus a été livré à la mort. Nous avons été plongés dans
cette mort, comme nous sommes submergés par l’horreur. Affligés, atterrés,
effondrés. « Pleurs et rage. »
Avec la haine de ces jours se rappelle à nous que la mort
nous habite et notre monde. Il ne s’agit ni de se consoler ni de relativiser
l’horreur qui nous ébranle. Il s’agit de n’oublier personne au moment où la
violence nous surprend. On massacre dans tant de pays ; ce sont si souvent
les plus faibles les premières victimes de la haine ; violence de nos modes
de vie qui participent à l’humiliation, au maintien dans l’esclavage de la
pauvreté… Oh là… il faut se taire. Mais non, la mort n’aura pas le dernier mot.
Nous avons été plongés dans la mort de notre Seigneur, et nous pleurons, pris
d’une violente colère pour ne pas sombrer.
Ai-je le droit ainsi, de parler de la mort de ceux qui sont
tombés sous les balles, dix-sept personnes, de penser à leurs familles et amis,
de leur adjoindre les trois fous furieux qui se pensaient plus purs que tous,
qui pensaient tout savoir sur la justice et sur Dieu ? Ai-je le droit de
parler d’eux et de dire le baptême ? Récupération ? Il faut se taire…
Mais non.
Qu’est-ce que cela veut dire être plongés dans la mort de
Jésus, être baptisés, en ces circonstances ? Les Scouts et Guides de
France, avec leur message sur internet, nous ont peut-être offert la meilleure
explication en citant François d’Assise : « là où se trouve la haine,
que je mette l’amour. »
L’élan de solidarité international, la présence en ce moment
à Paris des chefs de gouvernement de l’Europe, ne sont pas que, ni d’abord, un
profond réconfort. Ils sont le témoignage rendu à l’idée qu’ensemble nous avons
de la dignité de tout homme, même salaud. « Là où se trouve la haine, que
je mette l’amour. » N’est-ce pas de Jésus, un peu, beaucoup, à la folie,
passionnément, en sa passion, que nous la tenons cette dignité ?
Le baptême est l’inscription en nos chairs de la
résurrection de Jésus, celui qui nous relève, nous remet debout, même abattus,
qui que nous soyons, quoi que nous pensions. Voix du Père : « Tu es
mon fils bienaimé » (comme la fin est difficile à prononcer en ces
jours :) « en toi je trouve ma joie ».
Les meurtriers de ces jours ne sont pas des pauvres types
manipulés ou psychotiques. Ce sont des guerriers. Ce sont des ennemis. Et de
qui ? Est-ce seulement notre statut de victimes qui fait dire qu’ils sont
les ennemis de la paix, les ennemis de l’Islam aussi, les ennemis des
religions, de la dignité humaine ? Je ne le crois pas. La violence a
décapité Jean, crucifié Jésus, laisser mourir tant d’anonymes, exécuté Mgr Roméro,
dont le Vatican vient de reconnaître la mort au Salvador en 1980 comme un
martyre, l’abattage des dix-sept de cette semaine… la liste est sans fin. « Pleurs
et rage. »
« Là où se trouve la haine, que je mette
l’amour. » Voilà notre profession de foi, aujourd’hui, comme hier et
demain. Voilà où nous convoque notre baptême.
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