S’il est un moment qui désigne aux yeux de tous le cœur de
la foi chrétienne, c’est bien la messe. Pourtant, le commandement de l’amour du
prochain que l’évangile de ce jour met en scène à travers le lavement des pieds
(Jn 13) est plus central encore.
Aussi, ou bien nous ne pouvons pas faire de l’eucharistie le
cœur de la foi, sa source et son sommet comme dit le dernier concile, et notre
Eglise ère grandement, ou bien il faut que la célébration eucharistique soit la
pratique du plus grand des commandements, du commandement nouveau. L’alternative
paraît difficilement contestable. Et si l’Eglise ne se trompe pas à dire
qu’elle trouve dans l’eucharistie sa source et son sommet, nous devons chercher
à expliciter comment l’eucharistie est pratique du commandement nouveau, et
plus encore le vivre.
Un des obstacles qui empêche de percevoir l’eucharistie comme
amour du prochain est le culte eucharistique. Lorsque le christianisme devient
majoritaire et force politique, la pratique de l’évangile devient une religion,
celle qui a écrasé les autres. En gagnant sur les autres religions, le
christianisme a pris leur place, est devenu une religion à son tour, et s’est
perdu. Le culte véritable, l’amour du prochain a été remplacé par un culte religieux,
liturgique, sacrificiel.
Pourtant il ne fait pas de doute que la fraction du pain par
Jésus au soir de sa passion soit amour. Pas
de plus grand amour que donner sa vie pour ses amis, et les amis de Jésus,
c’est l’humanité entière, la multitude.
Jésus est le philanthrope pour Clément d’Alexandrie !
Si l’on emploie un vocabulaire cultuel pour l’eucharistie,
il faut alors dire que l’amour du prochain est le sacrifice qui plaît à Dieu. La disqualification prophétique du
culte et des sacrifices, reprise à son compte par Jésus, parle du service du
frère comme du culte véritable. Que l’on pense au jeûne qui plaît à Dieu
d’Isaïe, à l’humble marche avec Dieu de Michée, à la caverne de bandits de
Jérémie, à la prière du sacrifice interdit de Daniel. Marc et Matthieu
dénoncent le culte vain et Jean adore Dieu en esprit et vérité.
« Avec la croix du Christ - l'acte suprême de l'amour
divin devenu amour humain - le vieux culte comprenant des sacrifices d'animaux
dans le temple de Jérusalem est terminé. Ce culte symbolique, culte de désir,
est à présent remplacé par le culte réel : l'amour de Dieu incarné en
Christ et porté à sa plénitude dans la mort sur la croix. » (Benoît XVI,
07/01/2009)
Le culte véritable est l’amour de Dieu incarné est Christ,
et non l’eucharistie, ou alors l’eucharistie est mémorial de cet amour. La
dévotion aux saintes espèces passe totalement à côté de l’eucharistie. Elle est
au mieux une distraction, au pire, un refus de reconnaître, acte de
non-reconnaissance, de non-action de grâce, de non eucharistie, du grand amour dont Dieu nous a aimés. A
force de sacraliser l’eucharistie, nous l’avons corrompue. Lorsqu’elle n’est
pas sacrement de l’amour de Dieu pour les hommes, c’est-à-dire, l’amour des
frères, elle est idole.
Nous qui communion à Jésus, sommes pris dans son élan
d’amour. Nous n’offrons rien, puisque c’est le Seigneur qui (se) donne. Nous
recevons et c’est en recevant que nous sommes à notre tour offerts pour les
autres, comme Jésus. Devenus (de) son corps, c’est lui qui se donne encore (en
nous) pour les autres. Ce n’est plus nous
qui vivons, mais le Christ en nous. Ce n’est plus notre vie, mais la sienne
pour les frères. Nous communions pour que l’humanité soit rassemblée,
réconciliée, pour que les hommes vivent en un seul corps, en communion. « Quand
nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint,
accorde-nous d'être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. »
« "Je vous
exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en
hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c'est là le culte spirituel que
vous avez à rendre". […] L’expression "offrir vos personnes",
étant donné l’idée de sacrifice qui suit, prend la nuance cultuelle de
"donner en oblation, offrir". L'exhortation à "offrir les
corps" se réfère alors à la personne tout entière […] à "s’offrir
soi-même". Du reste, la référence explicite à la dimension physique du
chrétien coïncide avec l’invitation à "glorifier Dieu dans votre corps"
(cf. 1 Co 6, 20) : il s’agit d'honorer Dieu dans l’existence quotidienne
la plus concrète, faite de visibilité relationnelle et perceptible. »
L’eucharistie ce n’est pas les espèces consacrées, mais la
communion qui transfigure nos vies en vie du Christ. La transsubstantiation des
espèces a pour but la nôtre. « Dans la communion avec le Christ, réalisée
dans la foi et dans les sacrements, nous devenons, malgré tous nos manquements,
un sacrifice vivant : le "culte vrai" s'accomplit. »
Nous communions pour que l’humanité soit vivante et
réconciliée. Le but c’est la manifestation d’un Dieu au service de la vie des
hommes qui réalise l’unité. Sous peine de faire de Dieu un menteur (Cf. 1 Jn
5,10), notre communion à ce Dieu nous met au service des frères, est pratique
du commandement de l’amour. « Celui qui mange et boit, mange et boit sa propre
condamnation, s’il ne discerne le corps. » (1 Co 11, 28) Rompre le
pain, c’est aimer le frère, ou mentir.
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