19/12/2015

La visitation : Dieu visite les nations (4ème dimanche de l'avent)



Enfin les textes tournent notre regard vers Noël. Enfin, ils nous préparent à célébrer la naissance de Jésus. La prophétie de Michée pourrait être un texte de la nativité, pas si loin de celle d’Isaïe que nous lirons lors de la messe de la nuit.
Il est vrai, il est moins évident que l’épitre aux Hébreux vise Noël. C’est sans doute anachronique. Noël est une fête attestée à Rome en 336, peut-être un peu avant. Certes, la citation du psaume 39 mise sur les lèvres du Christ, après être passée par la traduction grecque, pourrait convenir : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. ». Mais avec le verset suivant qui reprend le mot corps, l’entrée du Christ dans le monde a peu de chance de désigner précisément la naissance de Jésus : « nous sommes sanctifiés, par l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps, une fois pour toutes ». Ne s’agit-il pas plutôt de toute la vie de Jésus, depuis sa naissance certes mais jusqu’à sa mort et sa résurrection ? Le salut des hommes, ce n’est pas plus sa naissance, que sa mort et sa résurrection, et toute sa vie, ‑ ses paroles, ses paraboles, sa conception de Dieu, ses actes, les guérisons, les marches, les repas, etc.
Il est vrai, le récit de la visitation n’est sans doute pas un texte de Noël non plus. Historiquement, il s’agit d’établir le rapport étroit de la prédication de Jean Baptiste avec celle de Jésus. Jésus, d’abord disciple de Jean fonde son propre mouvement. Certains disciples de Jean suivent Jésus, mais d’autres continuent avec Jean y compris après la mort et de Jean et de Jésus. Pour aider les disciples de Jean à entrer dans le mouvement de Jésus, les premiers chrétiens assurent qu’il y un rapport étroit entre les deux enseignements, comme un cousinage, mais que, celui qui autrefois était disciple, à la suite du Baptiste, ils sont invités à le reconnaître comme le maître. La visitation et l’exultation de Jean, dès le sein maternel, à l’approche de la mère du Seigneur, vaut comme reconnaissance hors histoire de la grandeur de Jésus. Il est, avant même de naître, celui devant qui l’on danse de joie parce qu’il est le salut des nations.
« Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Béatitude qui s’adresse à « la mère de mon Seigneur », non pas Marie, mais la nouvelle Eve, l’humanité nouvelle qui reconnaît son Seigneur, qui écoute sa parole à la différence de la première Eve. Béatitude qui vise tout homme, les disciples de Jean aussi, qui reconnaîtront en cet homme Jésus, leur Seigneur et maître.
Théologiquement, la visitation est plus encore. Elle établit le lien de la première alliance avec la seconde, celle dont parle notre deuxième lecture. Tout ce que le peuple de la première alliance a espéré ‑ la présence de son Dieu en son sein, Emmanuel ‑ voilà qu’il se réjouit par la figure du Baptiste, de sa venue. C’est maintenant le temps où Dieu visite son peuple. Ce n’est pas Marie qui va voir Elisabeth, c’est Dieu lui-même qui rend visite à son peuple et par lui à toute l’humanité.
Mais cette visitation connaît une sorte de saut, de rupture de continuité. Jésus est seulement cousin du Baptiste, ni frère de la même mère, encore moins fils. Que Jésus soit descendant du peuple de l’alliance est certain, mais on dirait, pas par la branche principale, plutôt comme un cousin. La promesse faite à Abraham semble se dédoubler. Comme si désormais, les disciples de Jésus, par encore coupés de ceux de Moïse, comprenaient que, demeurant certes cousins, si proches, avec le même et unique Dieu, les mêmes Ecritures, ils se séparaient.
L’apparition d’un cousin bouscule l’attente des prophètes. Désormais, c’est à toute l’humanité, aux païens donc, aux grecs et à toutes les nations, que Dieu élargit sa promesse. Et le peuple de la première alliance est invité, comme le Baptiste à sauter de joie de ce que Dieu soit l’Emmanuel non seulement pour lui, mais pour tous.
Le peuple qui a offert à l’humanité une telle conception de Dieu, un tel modèle de vie avec Dieu, et veille à la maintenir vive, demeure porteur de l’alliance. Mais cette bénédiction qu’il est pour tous les peuples devient par Jésus une alliance ouverte à tous sans condition. Alliance noachique plus que mosaïque ; le nouvel Adam est l’avenir du premier et la nouvelle Eve entre en souffrance d’enfantement. De fait, même ignorée par beaucoup, l’alliance est vécue par beaucoup : J’avais faim et soif, j’étais nu, en prison ou malade, vous m’avez nourri, désaltéré, vêtu et visité.
D’une façon inouïe Dieu visite les nations. Il ne se reconnaît pas dans la toute-puissance des divinités d’hier ou des fantasmes d’aujourd’hui. Il est enfant, qui ne parle pas, sans aucune autonomie. Il oblige que l’on prenne soin de lui comme l’on prendrait soin d’un petit d’homme, que l’on prenne soin des frères comme s’il s’agissait de Dieu même.

4 commentaires:

  1. H M, ashem20/12/15 07:48

    Ce qui me plait absolument dans le christianisme et qui m'oblige absolument aussi, c'est la rupture totale d'avec toutes les idoles - Dieu y compris, le trop souvent nommé, mal nommé, adapté, utilisé, récupéré, pèrefouettarisé, allahisé, gottmitunsisé, tourné en bondieuseries, règles et interdits - alors que seul doit compter l'amour de l'autre en actes dans l'application du très exigeant "J’avais faim et soif, j’étais nu, en prison ou malade, vous m’avez nourri, désaltéré, vêtu et visité."
    Le génie du christianisme, c'est l'Incarnation, c'est le fait que Jésus et ses disciples n'étaient pas du tout chrétiens ; ils étaient juifs, totalement juifs. Jésus n'est pas né Jésus-Christ. Il a fallu des siècles pour qu'il le devienne. Marie, mère de Jésus, a conçu un enfant comme tout le monde (je veux dire comme les autres femmes) avec Joseph ou avec un autre, sinon l'Incarnation, la vraie, n'existe pas. Elle a dû attendre bien longtemps avant d'être idolâtrée en tant que Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu. Elle n'en demandait pas tant, la petite fille devenue femme forte !
    Voilà pourquoi, Docteur, beaucoup sont comme moi : mécréants, mystiques, athées, christiques, anticléricaux, catholiques, anathèmes, incrédules. Même si l'on rejette le fatras des systèmes et croyances, on peut chaque jour se dire que la foi, c'est l'espérance d'un amour.
    Il me reste, Patrick, à vous remercier pour vos textes nourrissants. Bon Noël et Bel An Neuf !

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    1. Je ne crois pas, cher Monsieur, ce que vous dites. Entendons-nous, je vous crois, vous, mais pas ce que vous dites. On n'est pas mécréant à cause du fatras des systèmes et croyances.
      Je ne sais pas non plus s'il y a un génie du christianisme. Ou pour le coup, il ne m'intéresse guère car le christianisme n'est pas mon affaire. La civilisation appelée "christianisme" est une production que partiellement évangélique. C'est en outre une vision du monde, un système de penser, qui se prétend universel alors qu'il est si particulier.
      J'essaie d'être disciple de Jésus. Non pas un Jésus an-historique (ni au sens d'une christologie descendante, bien sûr, ni) au sens d'un Jésus imaginé romantique antérieurement à tout ce que ses disciples en on dit depuis 2000 ans.
      Essayez, vous verrez, cela évite de s'imaginer mécréant, athée, anticlérical, anathème, incrédule. Si nous sommes mécréants, ce n'est pas à l'aune du christianisme, mais à l'aune de notre péché. Ou plutôt, vous le savez déjà. Il suffit de changer de rhétorique, d'abandonner le contre-fatras mis en place pour se protéger du fatras, d'arrêter d'être identifié par ce à quoi l'on s'oppose.

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    2. Bonjour Patrick, je ne comprends pas ce que tu veux dire quand tu dis que nous sommes mécréants à cause de notre péché. j'aurai même envie de dire que c'est grâce à mon péché que je me sens infiniment aimée malgré tout ce que je fais de travers, que je peux croire en Dieu. il me semble que le "christianisme" a plutôt été un obstacle à ma conversion que le contraire et il faut toute la force de la rencontre avec le Christ parfois pour digérer la place laissée aux laïcs en général et aux femmes en particulier. Heureusement que Lui est né et viens à notre rencontre au quotidien .Je te souhaite également de bonnes fêtes.
      Florence

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    3. Je ne faisais que reprendre la liste que proposait H M, ashem.

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