04/12/2015

Miséricorde


La racine sémite est la même en hébreu et en arabe. « Le Miséricordieux », c’est l’un des principaux noms de Dieu en Islam. La miséricorde, c’est le sentiment de la mère qui est prise aux entrailles, c’est le retournement du ventre maternelle, qui exulte et se dilate, qui se fige, transpercé par l’épée qui tue son petit. Il faut convoquer toutes les mères, penser à Elisabeth dans le ventre de laquelle saute de joie le futur Jean Baptiste, ou Rachel qui pleure ses enfants car ils ne sont plus, massacres des innocents.
Et bien Dieu, c’est ainsi. C’est charnel, ça le prend aux trippes nos vies. Il aime, il aime follement, dans la joie comme dans les épreuves. Quand ses enfants sont en danger, même par leur faute, rien ne l’arrête. Il passe ses nuits dehors à guetter leur retour ou à battre la campagne pour les retrouver. Chapitre 15 de Luc qu’il faut apprendre par cœur avec ses trois paraboles qui déjà scandalisaient. « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? » « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de miséricorde ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » Et lorsque la femme a retrouvé la pièce perdue, elle fait une fête avec ses amies qui lui coûte sans doute aussi cher que cette pièce ! C’est Dieu qui est prodigue !
Dire Dieu, c’est contempler le père ou la mère, amour qui emporte tout sur son passage, qui exulte, (comptez le nombre de fois où l’on se réjouit en Luc 15 !) ou qui saigne et souffre, blessé à mort. Il n’y a pour Dieu, comme pour nous, d’autre chemin. C’est, je le répète, une affaire d’engendrement, de ventre. Dieu, contrairement à ce que nous pensons, n’est pas dans la toute puissance, c’est-à-dire la violence. Il meurt avec ceux qui meurent. C’était un vendredi. C’est toujours un vendredi que l’on meurt, même le 13 novembre ! « Mon fils que voilà était mort. »
Le Père passe son temps à rappeler de la mort ses enfants, s’enfonçant dans nos cités de banlieue ou les bidonvilles, aux côtés des victimes, mais aussi des bourreaux (c’est encore plus révoltant, mais c’est notre unique chance). C’est la fête d’une humanité qui se révèle fraternité. « Il fallait bien se réjouir car ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie. » Avec Dieu, avec la miséricorde, tous les jours c’est dimanche, c’est résurrection.
La miséricorde du Père est notre destin et ce à quoi nous sommes appelés. Comment vivrions-nous si nous ne recevions de lui ce même bouleversement des entrailles pour nos frères, pour nous aussi ? « S’aimer humblement soi-même, comme n'importe lequel des membres souffrants de Jésus Christ. »
Comment dire le cœur de la foi autrement ? La miséricorde n’est pas un truc pastoral pour adapter une doctrine trop exigeante et pourtant nécessaire, dictée par Dieu, que l’on n’aurait pas le droit de toucher, même pas le Pape. Dieu n’éduque pas avec un bâton ou la peur du gendarme. Il est tendresse. Comme une mère ou un père, il aime, c’est viscéral. Certains s’inquiètent de la miséricorde qui ouvre grandes les portes aux pécheurs, à ceux qui veulent recommencer quand ils n’ont pas su s’aimer, aux femmes victimes d’hommes qu’il valait mieux quitter pour ne pas mourir sous les coups de leurs violences, aux parents qui avortent, et même à ceux qui nous semblent le mériter le moins, comme ces Légionnaires du Christ avec leur terrible fondateur prédateur. Alors, ils installent une division, une opposition, entre la doctrine et la miséricorde. Mais ce n’est plus notre foi, ce n’est plus l’évangile ! Se croyant purs, ils ne veulent rien avoir avec les pécheurs. Et puis la miséricorde, c’est le laxisme ! Si tout le monde est pardonné, pourquoi donc se casser les pieds à être juste ? L’amour sans la loi n’est pas l’amour…
On ne parle pas de loi en Luc 15. L’évangile de la miséricorde oblige à changer d’idée de Dieu, à se convertir. Il vient manger avec les pécheurs sans craindre pour sa réputation ou sa pureté. Voyez la réaction des gens quand Jésus va chez Zachée (Lc 19, 1-10) !
La doctrine, c’est l’accueil miséricordieux ; il n’y en a pas d’autre. La doctrine, c’est Dieu lui-même qui se fait pasteur (Ez 34, 12), contre les faux-pasteurs, et qui va à la recherche des hommes, dès le troisième chapitre des Ecritures : « Où es-tu ? » Et heureusement pour nous ! La pastorale, c’est la doctrine. Que serions-nous sans l’amour sans limite et subversif du Père ? Cela fait 2000 ans que nous refusons de nous convertir au Dieu de miséricorde, même dans l’Eglise.
« Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9,13) « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs en vue de leur retournement. » (Lc 5, 31-32)

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