La racine sémite est la même en hébreu et en arabe. « Le
Miséricordieux », c’est l’un des principaux noms de Dieu en Islam. La
miséricorde, c’est le sentiment de la mère qui est prise aux entrailles, c’est
le retournement du ventre maternelle, qui exulte et se dilate, qui se fige,
transpercé par l’épée qui tue son petit. Il faut convoquer toutes les mères,
penser à Elisabeth dans le ventre de laquelle saute de joie le futur Jean
Baptiste, ou Rachel qui pleure ses enfants car ils ne sont plus, massacres des
innocents.
Et bien Dieu, c’est ainsi. C’est charnel, ça le prend aux
trippes nos vies. Il aime, il aime follement, dans la joie comme dans les
épreuves. Quand ses enfants sont en danger, même par leur faute, rien ne
l’arrête. Il passe ses nuits dehors à guetter leur retour ou à battre la
campagne pour les retrouver. Chapitre 15 de Luc qu’il faut apprendre par cœur
avec ses trois paraboles qui déjà scandalisaient. « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une,
n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller
chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? »
« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de
miséricorde ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. »
Et lorsque la femme a retrouvé la pièce perdue, elle fait une fête avec ses
amies qui lui coûte sans doute aussi cher que cette pièce ! C’est Dieu qui
est prodigue !
Dire Dieu, c’est contempler le
père ou la mère, amour qui emporte tout sur son passage, qui exulte, (comptez
le nombre de fois où l’on se réjouit en Luc 15 !) ou qui saigne et souffre,
blessé à mort. Il n’y a pour Dieu, comme pour nous, d’autre chemin. C’est, je
le répète, une affaire d’engendrement, de ventre. Dieu, contrairement à ce que nous
pensons, n’est pas dans la toute puissance, c’est-à-dire la violence. Il meurt
avec ceux qui meurent. C’était un vendredi. C’est toujours un vendredi que l’on
meurt, même le 13 novembre ! « Mon fils que voilà était mort. »
Le Père passe son temps à rappeler
de la mort ses enfants, s’enfonçant dans nos cités de banlieue ou les
bidonvilles, aux côtés des victimes, mais aussi des bourreaux (c’est encore
plus révoltant, mais c’est notre unique chance). C’est la fête d’une humanité
qui se révèle fraternité. « Il fallait bien se réjouir car ton frère que
voilà était mort et il est revenu à la vie. » Avec Dieu, avec la
miséricorde, tous les jours c’est dimanche, c’est résurrection.
La miséricorde du Père est notre
destin et ce à quoi nous sommes appelés. Comment vivrions-nous si nous ne recevions
de lui ce même bouleversement des entrailles pour nos frères, pour nous aussi ?
« S’aimer humblement soi-même, comme n'importe lequel des membres
souffrants de Jésus Christ. »
Comment dire le cœur de la foi
autrement ? La miséricorde n’est pas un truc pastoral pour adapter une
doctrine trop exigeante et pourtant nécessaire, dictée par Dieu, que l’on n’aurait
pas le droit de toucher, même pas le Pape. Dieu n’éduque pas avec un bâton ou
la peur du gendarme. Il est tendresse. Comme une mère ou un père, il aime, c’est viscéral. Certains
s’inquiètent de la miséricorde qui ouvre grandes les portes aux pécheurs, à
ceux qui veulent recommencer quand ils n’ont pas su s’aimer, aux femmes
victimes d’hommes qu’il valait mieux quitter pour ne pas mourir sous les coups
de leurs violences, aux parents qui avortent, et même à ceux qui nous semblent
le mériter le moins, comme ces Légionnaires du Christ avec leur terrible
fondateur prédateur. Alors, ils installent une division, une opposition, entre
la doctrine et la miséricorde. Mais ce n’est plus notre foi, ce n’est plus l’évangile !
Se croyant purs, ils ne veulent rien avoir avec les pécheurs. Et puis la
miséricorde, c’est le laxisme ! Si tout le monde est pardonné, pourquoi
donc se casser les pieds à être juste ? L’amour sans la loi n’est pas l’amour…
On ne parle pas de loi en Luc 15. L’évangile
de la miséricorde oblige à changer d’idée de Dieu, à se convertir. Il vient
manger avec les pécheurs sans craindre pour sa réputation ou sa pureté. Voyez
la réaction des gens quand Jésus va chez Zachée (Lc 19, 1-10) !
La doctrine, c’est l’accueil miséricordieux ;
il n’y en a pas d’autre. La doctrine, c’est Dieu lui-même qui se fait pasteur
(Ez 34, 12), contre les faux-pasteurs, et qui va à la recherche des hommes, dès
le troisième chapitre des Ecritures : « Où es-tu ? » Et
heureusement pour nous ! La pastorale, c’est la doctrine. Que serions-nous
sans l’amour sans limite et subversif du Père ? Cela fait 2000 ans que
nous refusons de nous convertir au Dieu de miséricorde, même dans l’Eglise.
« Allez donc apprendre ce que
signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En
effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »
(Mt 9,13) « Ce ne sont
pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin mais les malades ;
je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs en vue de leur retournement. »
(Lc 5, 31-32)
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