15/01/2022

Guerre des rites, vraiment ?

Dans le Journal La Croix du 15 01 2022, Mme de Gaulmyn, rédactrice en chef, publie une drôle de chronique. Non sans une prétention impertinente, sans doute, j'ose corriger le tir.

« Il est vrai qu’on a souvent bâclé la liturgie en France. » Cette affirmation est-elle le fait d’une observation scientifique ou une impression, pire un préjugé. Qui est le on ? Selon quels critères ? Le respect scrupuleux ou libre des rubriques, la qualité musicale et littéraire des chants ou leur popularité ? Cela veut dire quoi, bâclé ?

Des liturgies bâclées, au sens de pas ou peu soignées, pas préparées, expédiées le plus rapidement possible, cela a toujours existé. On peut se rappeler Les Trois messes basses, le prologue de Jean avalé à toute vitesse. Ce n’est pas spécifique à la France. Ce n’est pas une affaire révolue. J’ai connu il y a seulement dix ans, la messe du dimanche en 20 mn à Barcelone. Il y avait du monde, parce que l’obligation dominicale était remplie sans que l’on soit ennuyé plus de 20mn, moins si l’on arrivait en retard et partait dès la communion. Que dire de la qualité des homélies, quelle que soit la date du missel ? Les messes bâclées ne sont pas que le fait du célébrant. Combien sabotent les célébrations en arrivant en retard ?

« La religion sans liturgie réduit l’Eglise à une ONG humanitaire. » D’où vient cette autre affirmation ? Est-ce le résultat d’une observation scientifique, une impression ou un préjugé ? L’Eglise serait une ONG que déjà elle remplirait sa mission, du moins une bonne part. Elle le fait pour partie, elle ne le fait sans doute pas assez, ce qui est un contre-témoignage terrifiant, accablant. Dire que la liturgie est ce qui distingue l’Eglise des ONG humanitaires signifie-t-il que le rassemblement de prière, le culte est la spécificité chrétienne ou catholique ? La charité, l’agapè, n’est-elle pas la marque de fabrique des disciples du Christ ? Le culte au contraire est commun à toutes les religions. De quoi parle-t-on ?

Il y a bien des manières de « toucher les gens ». L’esthétique cultuelle peut assurément en être une. Mais l’abbé Pierre, Mère Teresa ou sœur Emmanuel ont davantage touché le monde contemporain que le plus grand liturge ou la plus belle liturgie de leur époque, célébration du Parc des Princes comprise, pas même dans un beau lieu.

Et l’on enfonce le clou : « vue la misère fréquente de nos célébrations dominicales, il n’est guère étonnant que les messes traditionalistes, au rituel soigné, aient pu attirer de nouveaux croyants. » Je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà dit, à la différence de l’article.

Une question cependant. C’est quoi la misère d’une célébration ? L’incompétence des acteurs, le manque de moyens matériels, la participation de non spécialistes ? Et la richesse, ce serait des clercs tous bien habillés, des musiciens de qualité, un niveau culturel de cadres sup ? Ces poncifs, répétés dans l’article même, faussent la réflexion.

Il paraît plus judicieux, cela est malheureusement trop rapidement suggéré, de montrer comment ceux qui se pensent les défenseurs de la tradition épousent une posture post-moderne, bien de leur temps, décidément en rupture avec la tradition. Il est dommage que l’on prenne pour avéré la guerre ou l’opposition des missels. Que je sache, il n'y a qu'un rite romain, et parler de guerres des rites c'est déjà avoir opté pour la terminologie des traditionalistes et intégristes. Car il n’y a qu’un missel romain, qui n’a cessé d’évoluer, y compris depuis Pie V. L’édition d’après Vatican II n’empêche ni que l’on célèbre en latin, ni que l’on prenne la prière eucharistique appelée canon romain, ni que le président tourne le dos à l’assemblée, ni que l’on use des ornements romains, si l’on y tient (la chasuble large est bien plus ancienne, soit dit en passant). Dans ces conditions, ce que l’on nomme rupture voire opposition n’est autre que la fixation sur un moment imaginaire, qui n’a jamais existé. Tout cela n’a rien à voir ni avec le Concile, ni avec le caractère bâclé ou non, ni avec un prétendu sens du sacré.

Tant que l’on ne prendra pas en compte une véritable analyse des raisons de la guerre liturgique, menée par les seuls traditionalistes d’ailleurs, on ne pourra ni comprendre quoi que ce soit aux enjeux, ni, ce qui est pire, espérer le moindre pas vers l’unité.

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