Au début de l’évangile de Jean, un premier signe, comme on comprendra plus tard, ouvre le chapitre deux, avec la mère de Jésus. Jamais Jean ne donne son nom. Le prénom de Marie apparaît quasi exclusivement dans les évangiles de l’enfance (Mt 1-2, Lc 1-2, seize fois ; à part cela on ne le rencontre qu’une fois dans Matthieu, Marc et les Actes.
On ne nomme donc Marie que trois fois dans le second testament, si l’on excepte les évangiles de l’enfance. Tout aussi rarement, on mentionne la mère de Jésus. Chez Jean, en trois endroits ; à Cana et à la croix ‑ les deux fois, Jésus s’adresse à elle en l’appelant femme ‑ et une fois, dans la reprise d’un thème commun avec les synoptiques, l’étonnement que provoque Jésus dont la famille est bien connue.
Appeler sa mère femme, ce n’est pas courant. Jésus met de la distance : « Quoi de toi à mon, femme ? ». Serait-ce la version johannique du « "Ta mère et tes frères se tiennent dehors et veulent te voir." Mais il leur répondit : "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique." » (Lc 8, 20-21) ? La prédication ecclésiale sur la famille ne peut guère trouver d’appui dans celle de Jésus. Sa famille, ce n’est pas celle du sang, du clan, mais la totalité de l’humanité, au moins en tant que susceptible d’entendre la parole et de la mettre en pratique.
Or la mère de Jésus, à Cana comme à la croix, ce n’est pas Marie, ne serait-ce que littéralement. C’est l’humanité. L’humanité se tourne vers Jésus parce que les noces tournent court. « Ils n’ont plus de vin ». Elle est épuisée, à bout, arrive trop tard, du moins son vin. Ce n’est pas une jeune fille accordée en mariage ! C’est la très vieille humanité et ça ne rigole pas tous les jours pour elle. Même quand il y a encore du vin, il est mauvais, tout juste bon pour noyer sa peine, se saouler pour oublier la douleur de l’existence. « Ils n’ont plus de vin. »
Réponse de Jésus : « Quoi de toi à mon, femme ? » Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse, ce n’est pas le moment, ce n’est pas mon heure, « mon heure n’est pas encore arrivée ». L’humanité ne peut pas s’étourdir dans le vin, et Jésus n’en a que faire. L’humanité prend Jésus pour un magicien pour la tirer du faux-pas où elle s’est fourrée, et Jésus refuse. Jésus n’est tout de même pas un talisman, une idole, une superstition, comme on croise les doigts ou touche du bois. Si c’est ainsi que la mère humanité se tourne vers l’un de ses fils ‑ son fils premier né, même tard venu, dans les temps qui sont les derniers, dont l’heure n’est pas encore venue ‑ il est bien légitime qu’il interroge : Qui t’es ? Tu me prends pour qui ?
L’eau changé en vin, ce n’est pas un miracle pour épater la galerie et que, comme des courtisans intéressés, on s’agenouille, on vénère, on adore. C’est l’abondance, la nouveauté et l’excellence. On passe à autre chose. Non pas autre chose que le judaïsme. Comment Jésus pourrait-il penser cela ? Pas la moindre trace de substitution. Autre chose que la religion, la magie, archaïque, dont on n’est jamais débarrassée, dont la lie encombre le fond de nos bouteilles et verres vides.
Un premier signe pour passer à la foi « Et ses disciples crurent en lui ». Les hommes et les femmes des religions ne croient pas, ne mettent pas leur confiance en leurs dieux ou dans quelque esprit des ancêtres ou rituels scrupuleusement accomplis. Ce qu’il y a entre l’humanité et le fils de l’homme, c’est une amitié nouée, une alliance ‑ d’où les noces comme cadre de ce premier signe ‑ nouvelle, un type de relation inouï, s’en remettre à lui pour lui, pour sa gloire, et laisser le petit marchandage du temple ‑ l’épisode suit immédiatement ‑ : j’offre à la divinité pour recevoir. Non, c’est Dieu qui régale, gracieusement ; venez, ce n’est pas une question d’argent. Venez, surtout si vous n’avez rien. « Venez acheter sans argent. »
Avec les noces de Cana s’ouvre, l’ère, l’heure nouvelle de la gratuité. Tu veux survivre, tu veux vivre de quémander et de marchander. Mais lui t’appelle, toi, vivante humanité, toi Eve renouvelée, à la vie en abondance. Tu as déjà tout reçu ; ton créateur, ton bâtisseur, comme un époux, se donne à toi.
Dieu est don, et la créature, et l’humanité surgit. Dieu est don, le mouvement même, se donner. Prenez, voici, c’est mon sang, pour vous. Il ne nous reste plus qu’à faire action de grâce pour vivre comme lui, en alliance avec ses frères, la mère humanité.
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