Se repérer dans l’œuvre de Jean de la Croix n’est pas facile. L’œuvre est une fiction qui cependant ne raconte pas d’histoire, à tous les sens de l’expression. La fiction vise le statut l’œuvre ; Jean commente une poésie comme si elle n’était pas sienne ; la même dans La Montée et La nuit obscure, pour deux commentaires totalement différents.
Si l’œuvre est de commentaire, on comprend qu’on n’y trouve pas la séduction de la fiction. Rien de narratif et encore moins romanesque. Pas d’anecdotes non plus, qui renverraient à la vie de l’auteur ou d’autres. Seulement l’ascèse scolaire de l’écriture marginale. Scolaire au sens aussi de scolastique, ce qui ne fait que rendre l’œuvre plus inaccessible. Et déjà, il y aurait beaucoup à apprendre. La théologie, qu’elle soit universitaire ou de poche, comme chacun d’entre nous la pense pour lui-même pour tenter de saisir ce qu’il fait à se tenir devant le Vivant, est glose, écriture dans les marges. Au centre, le texte.
Quel texte ? Le poème ? Les Ecritures ? Plutôt, la parole de Dieu que portent les Ecritures lues dans la communion de l’Eglise. Mais, comme dit le psaume, pas de parole dans ce récit, pas de voix qui s’entende. Pourtant, sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde.
L’œuvre de Jean fait comme si elle était une poésie commentée, pour faire entendre une parole sans mot, évanescente, que l’on ne saisit que dans la réponse que l’on tente de lui apporter et que le commentaire, précisément, cherche à débusquer. Et encore, le commentaire est plus discours de la méthode que reconstitution, mise en mot de la parole originelle. Mais… il n’y a pas de méthode : le discours de la méthode consiste à déconstruire la méthode. « Il n’y a plus de chemin par ici, parce qu’il n’y a pas de loi pour le Juste. » Alain Cugno parle de publicité mensongère. Ce livre ne dit rien de ce qu’il annonce !
Ce livre « traite comment une âme pourra se disposer pour vite arriver à l’union divine. Donne avis et enseignement, tant aux débutant qu’aux avancés, très profitable pour qu’ils sachent se débarrasser de tout le temporel et ne pas s’embarrasser du spirituel et demeurer dans la plus grande nudité et liberté d’esprit. »
Se débarrasser du temporel, voilà qui n’étonne guère. Mais ce n’est pas pour parvenir au spirituel, dichotomie mortelle. Le spirituel aussi nous encombre au point que l’on ne puisse plus rien embrasser de nouveau. Ce n’est pas seulement l’avertissement de Pascal, qui fait l’ange fait la bête. C’est que le spirituel n’est pas l’enjeu de l’union divine. L’union divine, c’est la chair, la vie ici et maintenant, car aujourd’hui, et non après notre mort, Dieu veut habiter chez nous.
Le spirituel, pire, donne bien des raisons de n’être pas disciples, de n’être pas disponibles, de n’être pas, non pas nus, mais dénudés, de n’être pas libres. Peut-être est-ce cela le péché contre l’Esprit, lorsque le spirituel interdit la liberté, la vie selon l’Esprit.
L’union divine n’est possible que dans la liberté, non pas celle d’aller et venir. Jean en sait quelque chose dans son cachot tolédan. La liberté de toujours tout remettre en cause de ce qui est le meilleur, le spirituel, parce que Dieu n’est rien de tout cela, nada, parce qu’il est toujours devant sur le chemin. « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois aller par où tu ne sais pas. »
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