02/12/2022

Vivre la fin des temps (2ème dimanche de l'avent)

L’évangile de Matthieu s’ouvre par deux chapitres au genre littéraire original qui annoncent, sous les traits de la naissance, la passion. Le déchaînement apocalyptique ‑ mages, exclusion, massacre des innocents, immigration forcée en Egypte ‑ raconte le terme, la mort en croix, le jugement du monde et la fin des temps.

Au début du chapitre 3 (1-12), Jésus n’entre toujours pas en scène. Le Baptiste prononce un réquisitoire d’apocalypse. « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? […] Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. […] Lui vous plongera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

Avec le temps de l’avent, nous avons la fin des temps en ligne de mire, et si c’est à Noël que nous pensons, c’est que la nativité ouvre « ces temps derniers où nous sommes ». L’avent est une catéchèse, une expérience pratique de la fin des temps pour apprendre à vivre dans les derniers temps, un cours accéléré de vie éternelle, disais-je dimanche dernier.

Pour beaucoup, la fin des temps, c’est après la mort, lorsque tout sera fini et que s’ouvrira le jugement décisif. Mais ils ont raté un train ; le monde est déjà définitivement jugé ! Rejeter la fin des temps hors de l’histoire interdit d’entendre que la vie avec Dieu, la vie éternelle donc, c’est maintenant. La vie éternelle c’est notre vie considérée selon le dessein ou le verdict de Dieu : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils ».

Rejeter la fin du monde à plus tard interdit de voir le monde tel qu’il est. Du coup, on ne risque pas de le changer, secoué par les soubresauts d’une violence qui n’en finit pas, autour de nous et en nous. Rejeter la fin du monde à plus tard revient à refuser de changer, à refuser la conversion. Si Dieu a planté sa tente parmi nous, la vie éternelle n’est pas un arrière monde. Avec le Baptiste l’évangile nous prévient : pourrions-nous rester sourds et aveugles ?

Vivre en disciples de Jésus, c’est vivre la fin des temps, c’est vivre la vie qui nous échoit comme éternelle, comme divine. Le changement, la conversion est à l’ordre du jour. Il ne suffit pas d’aller se faire baptiser dans le Jourdain ou de célébrer l’eucharistie. Les rites, s’ils ont un sens, ne sont pas l’expression du sacré, terrifiant, mais le signe de ce que toute la vie est divine, quoi qu’il en soit des injustices, des guerres, de la violence, de la maladie ou la faim. C’est ici que se joue le combat apocalyptique, non décisif au mal, non pas demain comme une revanche ou une récompense. Vivre en disciples est affaire politique, changer pour subvertir le monde, pour que soit appliquée la sentence : « Dieu a tant aimé le monde. »

Je recopie quelques des lignes de la présentation que F. Boyer donne à sa traduction de Evangiles.

« L’Evangile entend déborder les questions : Qui es-tu ? ou M’aimes-tu ? ou Qui aimes-tu ? Des questions insuffisantes et paresseuses. Y compris la question : Quel Dieu ? A toutes ces questions d’ailleurs, ce sont les démons, le mal, qui croient toujours avoir la réponse. La parole de ce rabbi nous dit qu’il y a urgence à agir, à changer (en hébreu, la techouva, qui signifie « retour » ou « réponse », et ce n’est pas la simple repentance, mais signifie à la fois répondre et changer de direction, se retourner) pour sauver le monde et nous sauver autrement que par une petite intrigue sentimentale attendue ou une parole qui n’est plus que le mime, la mimique d’elle-même (voir l’hypocrisie du jeu des pharisiens).

Si « fin des temps » il y a, c’est de postuler une vie nouvelle, encore inconnue, au-delà des faiblesses qui sont les nôtres quand nous sommes confrontés à la destruction et au désastre du monde. Ce à quoi les Ecritures anciennes nous avaient initiés : visualiser les catastrophes, montrer à leurs auditeurs ce que l’existence telle qu’ils la vivent peut produire de peurs, de terreurs. Faire entendre les balbutiements d’une gestation qui permet l’abandon d’une vieille morale, d’une relation hypocrite et tronquée à la Loi Torah. Malheureuse, faible, asthénique, esseulée, l’humanité l’est dans la mesure où elle est disjointe du monde et de ce qui engage sa survie. La parole évangélique tente de brancher l’état amoureux sur un état du monde et de l’humanité qui le dépasse, y compris quand celui-ci semble courir à sa perte.

« Se raccrocher à l'impossible était notre imperfection, notre manquement, au sens premier du mot péché. On ne me demandait pas de croire en l'impossible, mais de croire et penser que la vie était tout entière dans le possible du monde. Ce qui est radicalement différent de la perversion du rêve qui me faisait croire que ce qui était impossible était possible. Oh je sens bien que c'est très difficile à saisir. »

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