21/12/2022

La prière : une demande ? Bernard de Clairvaux

Un texte de saint Bernard découvert ces jours.
Ce qui m'intéresse, c'est la théologie de la prière exprimée comme en passant. La traduction de Bernard est impossible. Celle que j'ai sous la main ne rend pas l'excitation du désir (son soulèvement ou déplacement) expression augustinienne que Bernard ne peut pas ne pas connaître.
Ce qui est passionnant, c'est que la prière ne fait pas obtenir ce qu'elle demande, puisque Dieu, en premier promet et donne. Mais il y a une forme d'astuce, de stratagème, de délicatesse divine. Le pius Dominus, le Dieu très bon, se débrouille à ce que la promesse éveille le désir pour que nous demandions, de sorte que ce que nous soyons sous un certain aspect à l'origine de ce que nous recevons, puisque nous l'avons demandé : Dieu fait en sorte que nous lui demandions ce qu'il promet ; ainsi nous sommes engagés dans notre salut, alors que ce salut est bien sûr un acte gratuit de Dieu. Voilà le Dieu prévenant, le Dieu provident. Il agit gratuitement mais fait mine de ne pas donner gratuitement. On pourrait même comprendre qu'il agit gratuitement, mais ne donne pas pour rien, soit qu'il faille associer l'homme au don, soit qu'on comprenne qu'il ne donne pas pour rien, en vain.

Je recopie la traduction d'Albert Béguin sauf dans la partie en deux colonnes où, sans la compétence de ce dernier, j'ose traduire ce que je comprends. Il existe une traduction plus récente en Sources Chrétiennes que je n'ai pas sous la main. Il s'agit de textes soigneusement rédigés par Bernard, jeune abbé, vers 1120-1125.

« Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait [fiat] selon ta parole. Ce fiat est l'expression d'un désir et non d'une dernière hésitation. En disant ces mots, Marie exprime la vivacité de son désir plutôt qu'elle n'en demande la réalisation, à la façon de quelqu'un qui garderait des doutes. Rien n'interdit toute fois de voir dans ce fiat une prière. Or personne ne prie sans être animé par la foi et l'espérance.
Vult autem a se requiri Deus                         Dieu veut que lui soit demandé
etiam quod pollicetur.                                   
même ce qu'il promet.
Et ideo forte multa quae dare disposuit,      
C'est pourquoi sans doute il dispose que tout ce qu'il donne,
prius pollicetur,                                            
d'abord, il [le] promet
ut ex promissione devotio excitetur,              de sorte que par la promesse notre attachement
                                                                     
[dévouement] soit excité ;
sicque quod gratis daturus erat,                   ensuite, ce qui devait nous être donné gratuitement,
devota oratio promereatur.                           nous l'obtenons pas une prière fervente.
Sic pius Dominus                                         
Ainsi ce Seigneur si bon
qui omnes homines vult salvos fieri            
qui veut que tous les hommes soient sauvés
merita nobis extroquet a nobis                    
nous extorque à nous-mêmes le mérite [de demander]
et dum nos praevenit                                   
et pendant qu'il est prévenant
tribuendo quod retribuat                              en nous obtenant ce qu'il nous rétribue
gratis agit                                                    
il agit gratuitement
ne gratis tribuat.                                          
sans [donner à penser] attribuer pour rien [gratuitement].
La Vierge l'a compris, puisqu'au présent de la promesse gratuite elle joint le mérite de sa prière : fiat [qu'il me soit fait selon ta parole]. Que la parole [de Dieu] fasse de moi ce que dit ta parole [de l'ange]. Que la parole qui était au commencement auprès de Dieu se fasse chair de ma chair selon ta parole. Que s'accomplisse en moi, je t'en supplie, non pas la parole proférée, qui est transitoire, mais cette parole que j'ai conçue pour qu'elle demeure, celle qui s'est revêtue de chair, et non ce vain souffle. Qu'elle ne soit pas seulement perceptible à mes oreilles, mais visible à mes yeux, palpable à mes mains et que je puisse la porter dans mes bras. Que ce soit non la parole écrite et muette, mais la parole incarnée et vivante ; non pas ces signes inertes tracés sur le parchemin desséché, mais cette parole à forme humaine, imprimée vivante dans mes chastes entrailles ; non pas modelée par une plume sans vie, mais gravée par l'opération du Saint Esprit. 

Les louanges de la Vierge Mère, IVème Homélie, §11

Traduction des Sources Chrétiennes, p. 237 de la seconde édition (2020)

"Voici, dit-elle, la servante du Seigneur. Qu'il me soit fait selon ta parole." "Qu'il me soit fait", c'est la marque d'un désir, non le symptôme d'un doute. Par cette parole "qu'il me soit fait selon ta parole", il faut comprendre qu'elle exprime les souhaits de quelqu'un qui désire, et non qu'elle s'enquiert du résultat à la manière de quelqu'un qui doute.Rien d'ailleurs n'empêche de comprendre aussi ce "qu'il me soit fait" comme les mots d'une prière. Or nul ne prie que pour ce qu'il croit et espère.
Et Dieu veut qu'on lui demande
même ce qu'il promet.
Peut-être même, s'il commence par promettre bien des choses
qu'il a décidé de donner
est-ce pour faire naître la ferveur par la promesse ;
et ainsi, ce qu'il va nous donner sans nous,
la prière fervente le méritera.
Par là, le Seigneur miséricordieux,
"qui veut que tous les hommes soient sauvés"
nous arrache à nous-mêmes des mérites ;
il nous devance
en nous accordant ce qu'il récompensera,
et ainsi il agit sans nous
pour ne rien nous accorder sans nous.
C'est certainement ce qu'a compris la Vierge prudente : devancée par le don d'une promesse gratuite, elle y a ajouté le mérite de sa prière en disant : "qu'il me soit fait selon ta parole". S'agissant de la Parole, qu'il me soit fait selon ta parole. "La Parole qui était au commencement auprès de Dieu", "qu'elle se fasse chair" à partir de ma chair, selon ta parole. Je supplie que me soit faite la Parole, non par la parole prononcée et qui passe, mais la Parole conçue qui demeure. La Parole revêtue de chair et non pas d'air. Qu'elle me soit faite : non seulement que mes oreilles puissent l'entendre, mais aussi mes yeux la voir, mes mains la toucher et mes bras la porter. Ni non plus qu'elle me soit faite parole écrite et muette, mais incarnée et vivante, ni tracée en signes sans voix, inscrits sur des peaux mortes, mais exprimée vitalement en la forme humaine dans mes chastes entrailles, et ce, non par les pleins et déliés d'un calame mort, mais "par l'action de l'Esprit Saint".



 


1 commentaire:

  1. Quel beau prêche pour un clerc qui dans les précédents traite ses frères de Vieux garçons à couilles molles incapables de fonder une famille par égoïsme et crache sur quinze siècles de Tradition Chrétienne... Pour un faux frère qui participait il y a 2 ou 3 ans ans au lynchage en meute du cardinal Barbarin...A lire votre prose remplie de fiel on comprend mieux le Mal Être qui en émane...Soyez courageux et logique avec vous même et brulez vos vaisseaux

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