01/12/2012

Le paradis c'est maintenant ou jamais (1er dim avent)


Avec l’évangile de Luc que nous lisons aujourd’hui (Lc 21, 25-28.34-36), le temps de l’avent ne tourne pas nos pas vers Noël, mais vers la fin des temps. Commencer l’année liturgique avec cet évangile c’est désigner la fin des temps. Commencer l’année, c’est être projeté dans l’apocalypse.
Ainsi que le chante la préface, le temps de l’avent n’est pas tant l’attente de la venue de Jésus, c’est déjà fait, « il est déjà venu », que l’attente de son retour « il viendra de nouveau ». Nous n’allons tout de même pas nous préparer à la naissance de quelqu’un mort il y a 2000 ans !
Ou, pour le dire autrement, ce qui se joue en cette naissance, ou plutôt en cette mort, c’est la fin des temps. Depuis ce vendredi du calvaire, le temps a touché à son terme. Il a atteint son point culminant et jamais plus ne pourra le quitter. Dieu habite chez les hommes jusqu’à épouser leur mort. L’éternité de Dieu entre dans le temps et l’achève.
Cela ne signifie pas que le temps se serait arrêté, cela va de soi, nous le constatons. La fin des temps en Jésus n’est pas la fuite dans un autre temps, le discrédit de ce monde, mais la transformation de ce monde et de son temps. Il n’y a pas d’arrière monde chrétien, de paradis pour demain. Le Paradis, c’était en Eden, là où se lève le soleil, au commencement.
Avec la mort de Jésus, le Paradis c’est ici et maintenant, parce que c’est ici et maintenant que Dieu s’offre pour que nous puissions vivre avec lui. S’il y a un sens à parler de Paradis, n’est-ce pas précisément à dire la vie de l’homme avec Dieu, la vie de l’homme divinisé par la fréquentation de son Dieu ? Or cela, pour les disciples de Jésus n’est pas une autre vie, après la mort, mais la vie même que nous vivons ici et maintenant.
J’en conviens, cela ne saute pas aux yeux. Mais ce n’est pas une raison pour projeter, dans un lendemain dont nous ne savons rien, les espoirs perdus et les soifs de vengeance ou du moins de revanche.
L’affirmation chrétienne de la vie éternelle qui n’est pas vie après la mort, mais vie avec Dieu, ici et maintenant, vie divinisée déjà commencée, est risquée. Puisque l’aujourd’hui n’a pas substantiellement changé ‑ on continue de mourir, d’opprimer et de tuer – la divinisation pourrait n’apparaître que comme une fumisterie. Est-ce pour cela que nous préférons faire de l’avent l’attente d’un événement vieux de 2000 ans ? Cela au moins ne risque pas d’être contesté !
 Si rien ne change avec la fin du monde inaugurée par la mort de Jésus, alors, cette fin du monde est-elle effective ? L’Evangile qui l’annonce a-t-il quelque intérêt ? Il se pourrait que la sécularisation ait trop bien retenu l’annonce chrétienne et son échec, les deux en même temps. En retenant l’échec, elle ne porte plus crédit à l’annonce elle-même, à la divinisation de l’aujourd’hui. Et il n’est pas certain qu’on puisse le lui reprocher. En retenant l’importance de l’ici et maintenant comme lieu du destin de l’homme, elle a entériné qu’il n’y avait pas d’autre monde, que ce monde était l’unique champ de réalisation de l’homme.
Autant dire l’urgence prophétique à maintenir l’avent comme attente de la fin des temps et ne pas perdre de temps, ne pas se distraire à attendre une naissance bien trop vieille pour qu’on puisse encore l’espérer. Car si nous rendons sensée cette attente de la fin, quand bien même nous proclamons, dans les actes et les paroles, que nous vivons déjà en cette fin, alors, nous continuerons à proclamer qu’il n’y a pas d’autres lieux que la vie de ce monde pour la sainteté, pour la divinisation de l’homme, sans recourber la vocation humaine à un appel seulement intramondain, se fît-il entendre de façon transcendante par rapport à nos existences singulières, par la voix de la conscience, le décryptage d’un sens de l’humanité ou l’impératif des droits de l’homme.
Il ne nous reste pour attester de l’évangile qu’à accueillir la divinisation. Et c’est sans doute cela Noël, il s’est fait cela-même que nous sommes, homme, pour faire de nous cela-même qu’il est, Dieu. Si l’Esprit habite en nous, cela finira bien par se voir. Par notre attente d’un monde définitivement réconcilié, d’un monde qui a déjà atteint sa fin ‑ la réconciliation de tous, avec et par Dieu – nous voulons être les prophètes que même ce qu’il y a de meilleur en l’homme ne suffit pas à dire la vocation de l’homme, car cette vocation est divine, la vie même de Dieu.

2 commentaires:

  1. Voilà un texte avec lequel je me sens en accord global. En particulier sur le ici et maintenant d'une vie de l'homme avec Dieu, et que cette fréquentation divinise. Je n'ai jamais eu aucun attrait pour je ne sais quel « ailleurs » auquel on accéderait après la mort et qu'il conviendrait d'attendre…
    "Ici c'est dur, et t'inquiète pas, là-bas, après la mort ce sera super !"
    J'ai toujours trouvé cette perspective désespérante…

    Toutefois, j'aimerais, si c'est possible, quelques précisions sur l'extrait ci-après de votre texte, car je ne suis pas sûr de bien comprendre…
    J'aurais besoin d'exemples, ou de quelque chose de plus concret.
    Voici le texte :
    «(…)’il n’y a pas d’autres lieux que la vie de ce monde pour la sainteté, pour la divinisation de l’homme, sans recourber la vocation humaine à un appel seulement intramondain, se fît-il entendre de façon transcendante par rapport à nos existences singulières, par la voix de la conscience, le décryptage d’un sens de l’humanité ou l’impératif des droits de l’homme.

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  2. Mon texte est marqué par ma lecture de Jean-Luc Nancy. Sa déconstruction du christianisme est directement visée par le paragraphe que vous citez.
    Car je suis à la limite de ce que je crois et crois pouvoir dire. J'affirme que la vie éternelle c'est ici et maintenant. Je n'affirme pas qu'elle n'aurait pas aussi une forme autrement, ailleurs, après, que sais-je ? Mais c'est justement de ne rien savoir de cet autrement qui m'invite à y aller a minima. Je crois même que tout n'est pas dit du pouvoir vivifiant de Dieu y compris à travers la mort dans l'ici et maintenant.
    Mais j'entends la critique notamment nietzschéenne de l'arrière monde, revanche, vengeance, ressentiment, etc.
    Sur le paragraphe cité, je prends quelques distances par rapport à Nancy. Ce qu'il dit de la foi chrétienne est d'une grande justesse, sauf sur un point... que justement il n'y a pas de foi au sens d'amitié (d'amour) avec Dieu, il n'y a pas d'alliance. L'ouverture de l'homme est une transcendance qui s'épuise dans cet ouvert qui n'est rien ni personne si ce n'est l'acte humain de l'ouvert.
    Tout cela est juste selon moi, à condition de n'être pas que cela. Je consonne à cet ouvert, qui se tient en lui et n'a besoin de rien d'autre. Mais cet ouvert peut être parabole d'un autre. Mais cela n'empêche pas cet ouvert d'être parabole ou un autre trouve des mots pour être dit. Et c'est ce dont Nancy ne veut pas.

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