Les lignes de Luc (2, 41-52) que nous venons de lire sont d’une
importance capitale pour comprendre les évangiles de l’enfance, ces deux
premiers chapitres de Luc et de Matthieu, qui relèvent d’un genre littéraire
original, à mille lieues de la biographique.
Déjà l’ensemble de l’évangile n’est pas une biographie, une vie de
Jésus, mais le témoignage de foi des communautés chrétiennes primitives. Les premiers
versets de la première lettre de Jean expriment bien l’intention des auteurs du
Nouveau Testament : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons,
afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle
est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci, nous vous l'écrivons
pour que notre joie soit complète. Or voici le message que nous avons entendu
de lui et que nous vous annonçons. »
Cette annonce est certes transmission de ce qu’ils ont vu et touché,
entendu et contemplé. Elle rapporte ce qui s’est passé, mais non pas comme le
ferait une caméra de surveillance vidéo, qui ne sait pas ce qu’elle filme, mais
dans un double but, la communion avec Dieu et la joie des messagers.
Matthieu et Luc ouvrent leur évangile par le récit de l’enfance de Jésus.
Ni l’un ni l’autre n’en ont été les témoins. On ne sait de quelqu’un qu’il est
un grand homme qu’une fois qu’il est devenu adulte. C’est trop tard pour être
présent et faire un reportage sur sa naissance ! Nous ne savons donc rien
de l’enfance de Jésus d’un point de vue biographique.
Au mieux les évangélistes ont-ils pu se renseigner. Luc cherche d’ailleurs
à donner des repères historiques assez précis, situant la naissance de Jésus lors
du recensement ordonné par l’empereur Auguste, Quirinus étant gouverneur de
Syrie. Mais le récit ne prétend pas rapporter des faits. Il veut laisser
deviner l’enjeu de ce qui sera raconté dans la suite, comme dans une sorte d’ouverture,
de porche. Il veut aussi donner des clefs pour comprendre : La nouvelle
alliance n’est pas nouvelle au sens où elle ne se comprend que dans le cadre de
la première alliance. Ainsi les prophètes sont-ils sans cesse cités, soit très
explicitement, soit par allusion, soit comme trame du récit.
Marie et Joseph nous sont aujourd'hui présentés comme le modèle, des croyants: ils cherchent Jésus et ne peuvent le trouver qu'au troisième jour, après la résurrection !
Marie et Joseph nous sont aujourd'hui présentés comme le modèle, des croyants: ils cherchent Jésus et ne peuvent le trouver qu'au troisième jour, après la résurrection !
L’épisode de Jésus avec les docteurs de la loi, qui a sa
propre logique, constitue aussi la conclusion des deux premiers chapitres de
Luc, de son évangile de l’enfance. Toute de suite après on fait un saut d’une
trentaine d’années pour découvrir l’activité du Baptiste au bord du Jourdain.
Le lecteur est au courant de ce qu’il est convenu d’appeler
la conception virginale, la grossesse de Marie qui n'a pas connu d’homme. Il a
lu le récit de l’annonciation ; il a entendu l’annonce aux bergers. Allez
savoir ce que ces derniers ont compris. Car avouez, quand vous êtes bergers dans
un coin paumé de Palestine, que comprenez-vous lorsque vous entendez : « Je
vous annonce une grande joie, aujourd’hui, dans la maison de David, vous est né
un sauveur, c’est le Messie, le Seigneur, et voilà le signe qui vous est donné,
vous trouverez un nouveau né couché dans une mangeoire. »
Déjà, les anges, ce n’est pas commun, mais en plus ces
salades de Messie et de nouveau-né dans une crèche, c’est incompréhensible. Le
message n’est pas pour les bergers mais pour les lecteurs. Pour nous. Et nous
ne comprenons qu’à ne pas savoir notre histoire sainte ou notre catéchisme.
Nous ne comprenons qu’à accepter de reconnaître que nous ne comprenons pas, que
c’est incompréhensible, ou du moins que cela ne veut rien dire.
Vous ne me croyez pas ? C’est là que la conclusion de l’évangile
de l’enfance trouve toute son importance. Comment Marie peut-elle ne rien
comprendre à ce que lui répond Jésus : « Pourquoi donc me
cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? »
S’il y en a une qui doit comprendre, c’est bien elle. Mais elle ne connaît pas son catéchisme ! On dirait pourtant qu’elle
a oublié comment elle a conçu cet enfant ! Cet incroyable.
Sauf si Luc n’a pas parlé de la conception virginale,
quelles que soient les apparences. De fait, Marie ne semble pas au courant de
la conception virginale. Luc indique le chemin que devra prendre la confession
de foi : il y a quelque chose à chercher quant à l’identité de Jésus. La
virginité de Marie ne dit rien des organes génitaux de Marie. Que les pervers
passent leur chemin ! Elle indique qu’il y a quelque chose à chercher du
côté d’une humanité qui, après avoir été mère, après avoir donné la vie dans
tant de douleurs et pour tant de douleurs, donné la chair à ce Jésus aussi, se
trouve restaurée, virginisée, par la venue de Jésus. Pourra-t-on croire que l’humanité,
si vieille, retrouve la jeunesse et la fécondité, la joie d’enfanter le nouvel
Adam, celui dont justement Luc, dans le chapitre suivant fait remonter l’arbre
généalogique à Adam ?
Pas de biographie dans ces lignes, pas d’histoire de
sainte famille, ou alors la sainte famille, c’est l’humanité, c’est la vocation
de l’humanité. Il y a l’histoire d’un homme Jésus, qui vient rendre à une très
vieille femme, usée, cassée, parfois joyeuse aussi, lubrique peut-être, faite
pour la joie certainement, la promesse d’une jeunesse, une jeunesse pleine de
promesses.
Pour l’Eglise dont
nombre des enfants se sentent agressés par les options de la société contemporaine.
Qu’elle choisisse le chemin du Christ, renonce aux démonstrations de force,
continue à manifester son amour pour tous, à commencer par ses ennemis.
Pour l’humanité dont
tant d’hommes et de femmes ignorent que Dieu les aime. Qu’ils aient la
possibilité d’entendre une parole de vie. Qu’ils rejettent l’intolérance qui leur
interdit toute rencontre avec le Vivant qui fait vivre.
Pour les familles.
Qu’elles soient des lieux de paix et de respect, d’épanouissement et de
croissance. Pour les familles déchirées, celles qui sont des machines à
détruire. Pour les femmes battues, les enfants humiliés.
Pour les
homosexuels, en particuliers chrétiens, qui, au cours de ces derniers mois, n’ont
guère été respectés dans leur vie et dans leur foi. Qu’ils aient comme chacun
de nous la force de persévérer dans la foi et l’amour de leurs frères.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire