Petite conférence, reprenant des idées déjà développées dans ce blog. Il s'agissait de répondre à l'interrogation sur le sens de la vie chrétienne dans un monde majoritairement ignorant de Dieu à partir de la Constitution pastorale du dernier concile, Gaudium et spes.
Dans le post suivant, quelques uns des citations auxquelles ce texte renvoie.
Dans le post suivant, quelques uns des citations auxquelles ce texte renvoie.
1. Parmi ceux que nous aimons,
beaucoup vivent sans Dieu
Rares sont les familles dont tous les membres sont des
chrétiens convaincus, sans difficultés aucunes avec les normes de l’Eglise,
c’est-à-dire sans divorcé qui se remarie, sans jeune qui consomme avant le
mariage, sans utilisation des moyens artificiels de contraception. La
sécularisation, la prise de distance par rapport, non seulement au magistère
romain, mais surtout par rapport à une pratique ecclésiale de l’évangile nous
touchent tous de très près.
Nous constatons que nombre de ceux qui ne se reconnaissent
plus chrétiens, sinon de très loin ne vivent pas plus mal que nous. Certes, il
y a des débauchés, des jouisseurs qui exploitent leurs frères ou tombent dans
la dépriment. Mais malheureusement, être disciples de Jésus ne garantit pas que
nous serions ni heureux ni moraux. Est-il seulement utile ici pour couper court
à toute objection de rappeler les dramatiques affaires de pédophilie ?
Les plus âgées d’entre nous parlent-ils de la foi à leurs
enfants ? Comment, dans quel but ? Voudrait-on, devrait-on les convaincre ? Parlons-nous à nos
frères et sœurs de cette foi ? C’est souvent bien plus difficile qu’une
discussion avec des collègues de travail, voire des gens croisés dans un train
ou un avion, que l’on ne reverra pas ? Au lycée, comment dire sa foi
lorsque l’institution scolaire sous couvert de laïcité renvoie la religion au
domaine strictement privé et donne si aisément dans la critique
réductrice ?
Ainsi donc, nos pays de vieilles chrétientés ne sont plus
chrétiens au sens où ils ne font plus de la vie ecclésiale la fontaine du village où ils viennent puiser l’eau qui apaisera
leurs soifs et entretiendra leur désir, au sens même où ils ne font plus de
l’évangile une bonne nouvelle qui changera leur vie.
2. Que faire ?
Que deviendra l’Eglise ? Que deviendra
l’évangile ? Le fils de l’homme,
lorsqu’il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre (Lc 18,8) ? Que
devons-nous faire ? Que doit faire l’Eglise ? Les réponses sont aussi
diverses qu’inefficaces semble-t-il ? Il y a ceux qui baissent les bras et
pour qui la mission n’est pas leur problème, ou qui constate que de toute façon
l’on ne peut rien faire. La foi étant un don de Dieu, on ne va pas la provoquer
chez les autres s’ils n’ont pas reçu ce don ! Il y a ceux qui pensent que
l’évangile et l’Eglise souffrent d’un problème de communication. Que l’Eglise
annonce autrement l’évangile ! Les évangélistes ne doivent pas avoir le
monopole des conversions, pourquoi ne pas user de leurs méthodes ? Il y a
ceux qui rendent le passé responsable de cette situation. Il faut changer de
pastorale, rompre plus ou moins avec le dernier concile, tenir une position non
de dialogue dans lequel l’Eglise se serait perdu, mais d’affirmation de
l’identité chrétienne, de visibilité par des processions, pèlerinages ou
autres. Nombres de nouveaux mouvements sont nés depuis cinquante ans, fer de
lance de la nouvelle évangélisation. Avec le recul, ils n’ont pas inversé la
déchristianisation. Au mieux ont-ils permis à certains d’entre nous une manière
différente de vivre la foi, souvent en rupture avec la pastorale tristounette
ou réputée telle des paroisses.
On pourrait continuer l’énumération. Il en ressort que nous
n’avons pas trouvé le remède à la déchristianisation et que nous sommes
toujours moins nombreux à nous dire disciples de Jésus. Il faut dire que l’on n’est
que rarement à cours d’idée de trucs qu’on pourrait faire, que l’on met souvent
en place les moyens avant de réfléchir au but, aux objectifs. Les « y’a
qu’à », « faut qu’on » généreux et parfois enflammés ont fait
long feu.
3. On ne refera pas la chrétienté
Je crois vain, et mauvais, de vouloir reconquérir du
terrain, de rêver d’une re-christianisation de l’Europe. La chrétienté, qui est
grandement un mythe, ce moment où la société et l’Eglise semblent coïncider,
n’est pas l’état habituel de l’Eglise. Elle relève de l’exception[1].
En outre, il ne faudrait pas que nous confondions évangélisation et christianisation.
Annoncer l’évangile n’est pas construire une civilisation chrétienne, dont on
connaît aussi les dérives. Puisqu’il est hors de propos de forcer quiconque croire[2],
il y aura des gens, nombreux, qui n’entreront pas dans le mystère d’amitié avec
le Christ. On peut dans ce cadre, sans complaisance ni acrimonie[3],
se faire une idée des résistances à la foi.
Certes, il y a le refus de se convertir, de changer de vie.
Mais je ne suis pas certain que les libertins soient les plus nombreux. Clairement,
tout ce qui ferait l’apologie de la deshumanisation de soi et d’autrui doit
être dénoncé par les disciples de Jésus. Il y a les causes de l’athéisme. Et
là, les chrétiens eux-mêmes ont une part de responsabilité (GS 19 3). Il y a la mondialisation et le
nécessaire pluralisme culturel si nous ne voulons pas tous finir états-uniens
ou chinois. La suprématie occidentale n’est plus possible, et l’on doit
reconnaître non seulement que Dieu peut associer tout homme au salut (GS 22 5), qu’il confesse ou non la foi,
que les religions non chrétiennes contiennent des éléments de vérité[4],
mais qu’elles sont comme telles des chemins de salut[5].
Mais tout cela, ainsi que le disent les textes, ne dispensent jamais de
déboucher ou d’espérer déboucher vers la connaissance de la vérité tout entière
que l’Eglise porterait, intendante des mystères du Christ, le seul par lequel
tous sont sauvés.
Il y a la logique de sécularisation qui n’est pas sortie du
christianisme mais de la religion. De moins en moins de gens pensent que Dieu
intervient dans ce monde et le concile reconnaît la juste autonomie des réalités
terrestres (GS 36). On peut penser ce monde sans
Dieu, on peut penser que ce monde se tient sans que l’on en appelle à Dieu, non
que cela autoriserait à le nier, mais que l’on ne voit pas Dieu à chaque coin
de rue.
Mais il y a plus, la re-christianisation n’est pas possible
car elle va à l’encontre de la logique de la foi. En effet, le Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés
(1 Tm 2,4) c’est-à-dire partagent sa vie, est découvert par l’athéisme et le
pluralisme religieux comme le Dieu non nécessaire, au sens où il ne s’impose
pas, ne peut pas s’imposer. Il sera toujours le Dieu de tous que seuls quelques
uns re-connaissent ou plutôt commencent à reconnaître. Ce que nous disons de
Dieu n’est jamais ça, non qu’il y ait erreur, mais que pour l’heure, nous
voyons de façon trouble[6].
Comment les disciples du Dieu qui se retire, se vide de lui-même, se fait
serviteurs pourraient-ils être dans une situation de puissance, ne serait-ce
que celle du nombre ? Comme si le nombre était contre-témoignage[7].
Le concile a entériné que l’Eglise ne coïncidait plus avec
l’humanité. Le début de la constitution pastorale Gaudium et spes exprime très clairement qu’il existe un vis-à-vis
de l’Eglise : « Les
joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps,
des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les
espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est
rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »
Il nous faut apprendre à vivre comme le petit reste (Is
10,20-22), le sacrement du salut. C’est notre vocation.
4. Le sel de la terre ou la fin de
la mission
« Le Christ ne
nous demande pas de faire du nombre, mais d'avoir du goût, d'être le sel de la
terre»[8].
Les chrétiens sont invités à être sel de la terre et lumière du monde. A qui
servirait la lumière si tous étaient lumière ? Le plat ne serait-il pas
immangeable si tous étaient sel ? Importe plutôt, comme dit l’évangile,
que le sel ne se dénature pas, ne s’affadisse pas. Sans quoi, avec quoi le salera-t-on ?
Ainsi donc, notre mission, c’est d’être au service de la
fraternité humaine, à cause de Jésus
(2 Co 4,5). Nous ne sommes pas là pour nous servir, pour notre propre
promotion, mais nous sommes là à cause de
Jésus. Il y a besoin de monde pour ce service de l’humanité. C’est cela la
fin de la mission : que des frères et sœurs se laissent saisir pour être
au service de l’humanité à cause de Jésus.
La mission passe par notre mise au service, notre engagement dans le de
l’Eglise.
Quelle forme cela doit-il prendre ? Quelle forme pour
la mission ? Il est clair qu’un des enjeux mondiaux, c’est le défi de la
rencontre et du dialogue, la reconnaissance des droits, notamment des plus
faibles et des minorités, la véritable écoute de ceux que personne n’entend. Le
dialogue (GS 28, 92) est la
responsabilité des disciples. Les évêques le réclament lorsqu’ils sont
minoritaires ; je ne suis pas certain qu’ils sachent l’instituer dans
l’Eglise.
Ce dialogue a pour conséquence que l’Eglise reconnaît
qu’elle apprend de ceux qui ne partagent pas son avis, y compris, ceux qui
s’opposent à elle (GS 44). La mission
comme dialogue ne peut avoir la forme d’un exposé descendant de celui qui sait
vers celui qui devrait tout apprendre, ne sachant rien. Chrétiens ou non, nous
cherchons la vérité qui fait vivre.
[1] « Partout l’Eglise est devenue plus ou moins une
Eglise dans la diaspora du monde moderne, et cette diaspora, qui est la
situation ordinaire de l’Eglise […] elle doit l’accepter dans l’obéissance
comme le moment historique que le Seigneur a disposé pour elle. En un certain
sens, cette situation est même plus conforme à ce qu’est l’Eglise que celle où
Eglise et société se recouvrent. Dans cette perspective, le Moyen Age
représente davantage l’exception que la norme et la règle. » W. Kasper, La théologie et l’Eglise,
Cerf, Paris 1990, p. 194.
[2]
« L'Eglise s'adresse à l'homme dans l'entier respect de sa liberté :
la mission ne restreint pas la liberté, mais elle la favorise. L'Eglise
propose, elle n'impose rien : elle respecte les personnes et les cultures,
et elle s'arrête devant l'autel de la conscience. A ceux qui s'opposent, sous
les prétextes les plus variés, à son activité missionnaire, l'Eglise répète: Ouvrez
les portes au Christ! », Jean-Paul II, Redemptoris missio
39 (1990).
[3]
Le positionnement d’opposition au monde est rejeté au profit du dialogue. Cf.
par ex. GS 3.
[4]
« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces
religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de
vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des
rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un
rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » Nostra Aetate 2.
[5]
Cf. CTI, Le christianisme et les
religions, 1997, n°82-88 et RM
28-29 ; 55.
[6]
Cf 1 Co 13,12. N’oublions pas que les miroirs de l’Antiquité ne donnent pas une
image aussi parfaite que nos glaces sans tain.
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