Au commencement était
le Verbe.
Les cinq premiers mots de l’évangile de Jean, la première
parole qui dit que la parole est première, qui dit la parole première. Ce verbe
premier qui vient en premier est une énigme. Affirmation si simple,
semble-t-il. Premiers mots qui ont bien plus d’un sens, comme s’il fallait brouiller
le verbe du commencement : au
commencement était le verbe.
Comment traduire ? Au commencement, dans un
commencement, dans le principe, au principe, pour commencer, pour commander ou
pour régir ? Le verbe être, au temps de la durée depuis le passé, comment le
rendre ? Au commencement existait le verbe, il y avait le verbe, au
commencement c’était le verbe, au commencement le verbe ?
Quant au mot "verbe", quant à la parole "parole", elle peut signifier mot, parole, discours, raison, proportion, mesure, etc. Au
commencement était le verbe, au commencement était la raison, etc.
Cinq petits mots dont seul le mot "verbe" indique désormais la
curiosité, et qu’il est trompeur de prétendre entendre tranquillement, facilement,
comme "c’est Noël ce soir", "le chat est sur le paillasson", "la température est douce
cette nuit", "tout va très bien Madame la marquise".
Au commencement était le Verbe. Comme principe, la raison. D’abord
la proportion. L’origine c’est le discours. Au commencement, il y avait la
parole. Traductions possibles parmi bien d’autres.
La préposition est peut-être le plus simple des mots à
comprendre, localisation spatiale, temporel ou logique. Elle est le premier mot
du texte. A l’origine, dans le commencement, en principe. Elle est aussi la
première d’une série impressionnante dans les versets qui suivent. La première
proposition est une demeure, un dedans, un espace, peut-être grand, mais
délimité. Au commencement semble dire, in
nuce, au cœur pour traduire.
Vous pardonnerez ces leçons de grammaire pour une homélie de
Noël, mais enfin, l’évangile lui-même l’impose : au commencement était une
histoire de mots, d’un mot en cinq mots, un petit discours, une petite règle,
de grammaire, de logique, d’anthropologie, de théologie... Au commencement était le Verbe.
Commencement, verbe, les deux mots un peu plus typés, si je puis
dire. Des mots biens de chez eux, des mots qu’on fait sien. Mais lorsque ce
verbe est venu chez les siens, les siens
ne l’ont pas reçu. C’est le problème des gens typés, de n’être pas reçus !
Est-ce que Jean et Luc disent la même chose : il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ? Ce
qui est commun, pourtant, n’est-ce pas sien aussi ?
Je ne m’arrête que sur le deuxième mot, c’est-à-dire le cinquième,
verbe, logos. C'est le dernier mot dont les autres disent qu’il est premier,
au commencement. Dernier, premier, retournement bien évangélique ! La
parole ne peut normalement venir au commencement. Pour parler, pour raisonner
ou donner des lois, des proportions, pour faire des calculs, il faut quelqu’un d’abord,
en premier. Une parole au commencement, c’est impossible. Qui parle ? Et à
qui ? Qui raisonne ? Et à propos de quoi ? Qui mesure et quoi ?
Pourtant, il n’y a pas d’hésitation possible. C’est bien le
verbe qui est au commencement. Nous ne savons pas ce que cela signifie, mais la
chose est claire, la parole est au commencement. Il faut accepter l’incroyable.
C’est d’abord la relation. Dit ou fait de dire, peu importe, le logos sort du
commencement qui semblait l’enfermer pour mieux exprimer sa priorité. D’abord
la parole. La parole depuis toujours sort de l’enfermement de la solitude.
Depuis toujours, la parole est relation. En principe, sortir du principe. En
principe, en finir avec les principes. En règle générale, seulement la relation,
qui est toujours si particulière.
Ces quelques mots sibyllins vont durer longtemps, même si la lumière éclaire tout homme. L’excès
de lumière ne permet pas mieux de voir que l’origine de la parole de
comprendre.
Pour que la parole soit relation, y a-t-il autre possibilité
que la chair ? Y a-t-il relation sans la chair ? Dire que la parole
est relation, dire qu’au commencement était la raison ou la parole, c’est dire
que parole et raison sont chair. Qui donc a jamais entendu une parole sans
chair ? Qui donc a déjà pensé sans chair. Tournée vers Dieu, divine, cette
raison est chez elle dans la chair, chez les hommes. Lorsque l’homme parle,
Dieu se devine. Lorsque l’homme pense, Dieu vient à l’idée. C’est bien chez les
siens qu’il est venu.
La parole demeure au commencement. Elle demeure de
nouveau : et il a demeuré parmi nous.
Pour demeurer, il sort, il vient chez, il est tourné vers, il est ce par quoi…
relation qui dès le commencement unit le ciel et la terre, ainsi qu’au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
Il demeure mais ne tient pas en place. Voilà pourquoi il ne
peut y avoir de place pour lui dans la salle commune. Il habite chez nous, non
pour que nous soyons bien au chaud avec lui, mais pour nous sortir de nos évidences,
sécurités, principes, règles, calculs. Ne pleurons pas des gens ingrats ou de l'auberge trop petite. Réjouissons-nous de ce qu'il ne puisse qu'être de sorti, dehors, dès le commencement hors du commencement. Il habite chez nous pour que nous
parlions, pour que nous soyons en relation, pour que la terre et le ciel,
séparés, sans confusion soient cependant unis, sans division.
Au commencement était
le Verbe, et c’est la vie au cœur des ténèbres. La vie était la lumière des hommes qui luit dans les ténèbres.
Bravo ! Quelle belle réflexion pleine de souffle et de justes interrogations -- sur ce "courant d'air" de Dieu, notamment, et après tout, l'air, c'est aussi le souffle qui anime --, mais aussi plene de *trop* d'interrogations qui éloignent un peu de la très grande simplicité profonde de ce qui se veut, de la part de Jean, "commencement" et qui réussit, en une manière de miracle, à l'être !
RépondreSupprimerCette parole n'est pas entièrement maîtrisée, elle est inspirée, intuitive. Consubstantiellement, l'homme ne sait pas clairement ce qui l'anime et comment transcender sa condition souffrante d'être réflexif qui s'interroge sur lui-même, et, par là-même, en perd la "grâce d'être" de nos amis les animaux, pleinement dans leur être, "étants" parce que non pensants (réflexivement).
Et la simplicité de cet énoncé inspiré, c'est que ***l'homme n'est homme que par le langage***, et qu'au-delà des histoires que nous *devons* nous raconter pour ne pas désespérer de vivre avec ce fardeau de la conscience de soi, eh bien avant même le commencement de tout discours dans cet partie de l'Univers, il y a nécessairement l'Homme !
Ce qui n'efface en rien l'obligation de respect dû à "Dieu", qui est bien plus constructive aujourd'hui, pour tous les hommes, dans la vision panthéiste du génie Spinoza (dont on peut arguer qu'il est à la 2ème place des juifs bienfaiteurs de l'humanité), et surtout ce qui, à l'inverse "oblige" (= "lie absolument avec ce qui n'est pas soi") à maintenir vivant toute sa vie le lien intime avec le Christ (dont le message est porté au plus haut par Paul), qui nous fait civilisés et, ce faisant, nous élève !
Lionel Lumbroso
(lionel@lumbroso.fr)