Voilà, nous y sommes, la liturgie parle enfin de Noël !
Nous lisons l’annonce faite à Marie (Lc 1,26-38) ; c’est dans l’évangile de Luc. Comme
à chaque lecture de l’évangile, une rencontre se produit entre notre histoire
et l’histoire racontée. Mais history n’est pas story !
Le texte d’évangile que nous lisons n’est pas historique au
sens de l’établissement des faits qui se sont passés. Certes, Luc prétend faire
travail d’historien, ou du moins il a enquêté : « J’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des
informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour
toi, excellent Théophile, un exposé suivi. »
Mais ces deux premiers chapitres ont un statut narratif original.
La story n’est pas history, l’histoire n’est pas
historique. C’est important de le repérer si l’on veut comprendre le texte. Il
ne s’agit pas d’une description de ce qui s’est passé. On ne peut pas lire ces
chapitres comme on lit, par la suite, que Jésus entre à la synagogue de
Nazareth, qu’il guérit toutes sortes de malades, ou qu’il meurt sur une croix,
un jour de la Pâques. On ne fait pas entrer un conte dans le cours des
événements. Ce genre de textes d’évangile a un rapport avec notre vie par le
détour de la fiction, comme la parabole ou le roman. Cela n’a rien d’extraordinaire.
Mais si on n’en tient pas compte, on est en pleine mythologie et l’on rate la
bonne nouvelle.
Bref, ces versets ne nous racontent pas la conception
virginale, selon le mythe commun de la vierge fécondée par un dieu libidineux. L’histoire
comparée des religions nous a appris à nous méfier de ce genre de raccourcis. Le
récit, au moyen de la conception virginale, nous raconte autre chose, et c’est
cela qu’il faut entendre. Et ce qu’il faut entendre n’est pas un message, mais
la condition pour entendre le message : s’interroger.
Le récit en sa fausse naïveté, nous cache l’origine de Jésus.
Il en raconte une, comme un conte, pour détourner la curiosité malsaine. Même
la question de Marie « comment cela va-t-il se faire puisque je suis
vierge ? », contrairement aux apparences, demeure sans réponse. En
effet, on peut l’espérer, l’Esprit couvre de son ombre tant d’hommes et de
femmes depuis que le monde est monde qui n’ont jamais enfanté par son
opération. L’Esprit couvre de son ombre, histoire de bien dire l’obscurité !
Vous ne saurez rien car il convient pour le moment de s’interroger, pas d’avoir
les réponses.
Savamment construit, reprenant des thèmes, qui sont, eux, bien
connus, du premier testament, le texte confesse ‑ c’est une profession de
foi ‑ et en énigme – il pose une question ‑ qu’il y a de quoi s’interroger
sur l’homme dont va parler l’évangile. Pour lire le texte et le comprendre,
commencez par vous laisser interroger, déplacer, déloger de vos savoirs, du
bien connu sur Dieu et les dieux. Si vous n’abandonnez pas ce que vous savez
sur Dieu, sa toute-puissance, sa non-corporéité, son éternité, etc., vous ne
comprendrez rien à cet enfant, avec sa faiblesse, sa chair et son histoire.
L’identité de Jésus – Dieu sauve ‑ est une
question qui oblige à ce que l’on se prononce à son propos, pour ou contre lui.
Cet homme, les disciples sont invités, dans la résurrection, à le reconnaître
comme leur sauveur, Dieu lui-même.
Il ne faudrait pas oublier que notre temps de l’avent n’est
pas fini. Il ne faudrait pas oublier que nous en sommes à nous préparer à Noël,
et comme avant une naissance imminente, on est impatient de découvrir celui qui
va arriver. Qui sera-t-il ? Non seulement, un garçon ou une fille ?
Mais qui sera-t-il ? Que fera-t-il de sa vie ?
Jésus est de ceux dont l’identité nous met nous-mêmes en
jeu, en question. Notre histoire est bouleversée par la sienne. Voilà pourquoi
sa naissance est question. S’il est celui que confessent les disciples, le
Seigneur et sauveur, comment sa vie ne serait-elle ferment des nôtres ? On
ne peut confesser Jésus sans se convertir. C’est ce que, figure de l’Eglise,
Marie vit : « je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait
selon ta parole. »
Impossible de connaître Jésus avant de lire l’évangile, c’est-à-dire
avant de se laisser conduire par lui sur le chemin de la vie, par la croix. Les
réponses du caté sont mensonges qui, par l’astuce d’un savoir de dictionnaire, sont
tentations diaboliques pour connaître Jésus en évitant la pâque, le passage par
la mort et la résurrection. On ne connaît Jésus qu’à le suivre. « Je suis
la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. »
Un dictionnaire ne sait rien, d’ailleurs. Il faut que quelqu’un
le lise pour que son contenu devienne un savoir. Un catéchisme pareillement n’a
jamais été disciple, n’a jamais cru. Il faut quelqu’un qui croie pour que ce qu’il
énonce soit vérité.
Nos versets disposent à la profession de foi qui sera possible au matin
de la Pâque, au moment de l’accomplissement pascal, à la Pentecôte. Pour l’heure,
c’est le moment des interrogations, pas des réponses. Pour l’heure, c’est l’avent :
il faut éveiller la curiosité de l’auditeur et s’ouvrir à la stupeur de ce qui
arrive : Dieu prend chair.
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