« A toute croissance de l’humanité, à tout progrès, à
toute extension de l’humain en l’un des domaines de la création – par la
connaissance aussi bien que par l’action – doit répondre une croissance de
l’Eglise, une incorporation de la foi, une incarnation de la grâce, une
humanisation de Dieu. C’est cela l’Eglise, c’est cela la catholicité. L’Eglise
n'est pas un petit groupe social, isolé, un bloc à part qui resterait inentamé
parmi les évolutions du monde ; l’Eglise c'est le monde en tant que
croyant au Christ, ou, ce qui revient au même, c’est le Christ habitant et
sauvant le monde par notre foi. L’Eglise, c'est l’humanité religieuse ;
que dis-je ? C'est l'univers en tant que transfiguré par la grâce à
l'image de Dieu. » (Revue La vie
intellectuelle, 1935, p. 247)
L’histoire est très corrosive pour le dogme censé exprimer
une vérité éternelle. Au début du XXème siècle, la crise moderniste naît de la
contestation par les faits d’une vérité immuable et dogmatique. Par une
condamnation imparable, Pie X ne règle pas le problème mais durcit l’opposition
entre l’Eglise et le monde. Après le premier conflit mondial, une manière de
renouveler la théologie consiste à ne pas se prononcer sur le sens du dogme,
mais seulement à exposer des faits, à faire connaître des textes. Ce retour aux
sources, difficilement contestables, permet à la liturgie et à la dogmatique de
s’accoutumer à l’étrangeté de pensées différentes.
C’est ainsi qu’Yves Congar (1904-1995) renouvelle la
théologie de l’Eglise. Il s’engage pour l’unité de l’Eglise alors que Pie XI
condamne en 1928 le mouvement œcuménisme comme un faux irénisme. Luther peut
être lu autrement que comme l’hérétique qu’il faut contester : c’est un
authentique théologien, fidèle en particulier aux Ecritures et à Saint
Augustin. Pie XII en 1943 avait invité à revenir à une définition plus
théologique de l’Eglise avec son encyclique sur le Corps mystique. Pourtant, on
continue à penser l’Eglise de façon juridique comme une société parfaite et
hiérarchique c’est-à-dire inégalitaire.
Les années 50 avec la fin du pontificat de Pie XII voient un
retour de la crise moderniste et Congar est interdit d’enseigner et de
participer à des rencontres œcuméniques ; ses publications sont soumises à
une censure drastique. Il s’engage dans la pastorale et garde le souci du monde
ouvrier et des prêtres ouvriers. En 1960, il est nommé par Jean XXIII membre de
la commission théologique préparatoire de Vatican II. Il participe à la
rédaction de nombre des documents conciliaires, scandalisé par les manœuvres de
certains, déçus par certaines décisions, enthousiaste devant l’œuvre finalement
accomplie. Jean-Paul II achève de le réhabiliter en le créant cardinal en 1994.
Multipliant les rencontres, amitiés, cours et travaux universitaires, il est
sur tous les fronts ecclésiologiques : théologies des ministères, du laïcat,
de la mission, de la pastorale, de la tradition, de l’Esprit Saint, du rôle du
Pape, etc.
Lorsque Paul parle de l’Eglise Corps du Christ (1 Co 12) il
suppose les charismes ou dons de l’Esprit. La théologie occidentale s’est trop attachée
à la verticalité de la relation du Christ, tête ou chef, à son corps. Or
l’Eglise est professée dans le Credo comme explicitation de la foi en l’Esprit
saint, au même titre que le baptême et la vie éternelle. L’attention à l’Esprit
permet de penser la synodalité et la responsabilité de tous en Eglise en articulant
ministères et communion ecclésiale
(1971). « C’est Dieu qui se construit son Eglise par des dons divers qui
vont à l’édification du corps du Christ. » (à propos du rapport de Lourdes
1973) Les ministres ont à exercer ce que leur nom signifie, un service, dans et
pour une Eglise, servante et pauvre
(1963).
Congar avait publié en 1942 L’Unité de l’Eglise catholique de Cyprien de Carthage comme numéro
7 de la collection de théologie Unam
sanctam qu’il avait fondée en 1937. On y lit : « L’Eglise tire ce
qui fait son unité de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit », que cite Lumen Gentium. Ainsi, l’Eglise ne peut pas
être envisagée pour soi mais toujours référée à Dieu et son projet d’amour pour
les hommes. La vocation et la mission définissent l’Eglise au point que parler
d’elle en soi n’a pas de sens.
Son rapport à l’humanité n’est alors pas de vis-à-vis où,
pour le meilleur, elle est chargée d’enseigner les nations, et pour le pire se
situe en opposition au monde, parce que le rapport de Dieu au monde est d’amour.
L’Eglise n’est pas autre que l’humanité ; elle est la préfiguration de
l’humanité sauvée, elle est cette humanité même en tant que sauvée.
Quand l’humanité n’est plus religieuse, on ne peut dire que
« l’Eglise c’est l’humanité religieuse », mais que c’est l’humanité
avec sa quête de justice, car, même si elle ne le sait pas ou ne veut pas le
savoir, l’humanité rencontre le Christ quand elle offre ne serait-ce qu’un
simple verre d'eau. Augustin parlait de l’Eglise
depuis Abel. Il écrivait : « beaucoup qui paraissent dehors sont
dedans et beaucoup qui paraissent dedans sont dehors ». Nouvelle Eve née
du côté ouvert du nouvel Adam, épouse du nouvel Adam, l’Eglise est l’humanité
re-née, baptisée dans la mort du Christ pour vivre de sa vie.
Les lignes de l’article de 1935 sont d’une incroyable intrépidité, que rend possible
la connaissance des Pères et de la tradition. Leur optimisme un rien
progressiste n’est plus possible après la seconde guerre mondiale et la Shoah,
la fin des Trente glorieuses et les scandales des ecclésiastiques révélés à la
fin du millénaire. L’Eglise, marquée par le péché, est cependant encore la
partie qui désigne l’humanité entière, exprimant la vocation à la vie de cette humanité
que le Christ sauve de sa misère et de son crime.
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