En cette année Thérèse de Jésus, quelques unes des lignes
qu’elle écrit dans sa Vie nous guideront
dans notre médiation de Noel :
« Nous ne sommes pas des anges, mais nous avons un
corps. Vouloir faire l’ange pendant que nous sommes sur terre (et sur terre
autant que je l’étais), c’est de la folie […] Dans les affaires, les
persécutions, les épreuves, lorsque l’on n’est pas dans la paix coutumière, aux
heures de sécheresse, c’est un très bon ami que le Christ, car nous voyons
l’Homme en lui, nous voyons ses faiblesses, ses épreuves, et il nous tient
compagnie. […] Embrassés à la croix, advienne que pourra. »
« Nous ne sommes pas des anges, nous avons un
corps. » Juste une évidence, juste le bon sens. Mais à ceux d’entre nous
qui rêvent leur vie spirituelle, voici sans doute un bon rappel à l’ordre, à la
réalité. Et à ceux d’entre nous qui prennent si peu soin de leur vie avec Dieu,
voilà aussi un bon rappel à l’ordre, car n’être pas un ange ne signifie pas se
laisser vivre comme des bêtes, esclaves du corps et des instincts, mais nous
fait prendre en considération notre corporéité, lieu qu’habite le Seigneur.
Notre corps, temple du Seigneur. Rien que ça !
La fête de ce jour, c’est exactement cela. Dieu prend chair,
Dieu habite le corps, parce que nous avons un corps. Dieu prend corps pour nous
rejoindre comme nous sommes, « nous ne sommes pas des anges, mais nous
avons un corps ».
Avoir un corps, cela veut dire parfois la force et la
vigueur, celles de l’exploit sportif, de la grâce chorégraphique mais aussi de
la violence guerrière. Avoir un corps, souvent, cela veut dire la faiblesse,
celle du nouveau-né, celle de la personne âgée ou malade qui ne peut plus
s’occuper d’elle et, comme l’enfant, s’abandonne à la charité de qui prend soin
d’elle.
Avoir un corps, cela veut dire la violence subie ou exercée.
Cela veut aussi dire la douceur des relations, comme une caresse, ce geste qu’a
décrit avec tant de justesse le philosophe Emmanuel Levinas : on touche
sans prendre, main ouverte qui effleure, à l’opposé de la mainmise qui possède.
Voilà ce que nous fêtons aujourd’hui, le corps que vient
habiter le Seigneur. Ce n’est pas dans les nuages que l’on pense à Dieu, ni
dans des prières. C’est dans ce corps, capable du meilleur comme du pire, que
Dieu se risque pour croiser l’homme, que l’homme s’ose à prier. C’est dans
notre corps que Dieu vient à notre rencontre ; pourquoi croyez-vous qu’il
faille communier, manger le corps du Christ ? C’est dans ce corps que se
vit la Pâque, le triomphe de la vie sur la mort. « Embrassés à la croix,
advienne que pourra. »
Il est bien difficile, même à vouloir évoquer la douceur et
le respect de la caresse, de ne pas penser à tous ceux dont les corps sont
meurtris de par le monde. Bien sûr, nous pensons aux chrétiens d’Irak et de
Syrie. Mais il n’y a pas que les chrétiens qui souffrent. Mais il n’y a pas
qu’en Irak que le fanatisme et la haine tuent.
2015 sera une année électorale en France comme en Espagne.
On voudrait que les partis de la haine ne soient pas plébiscités. Ils ne
prennent pas davantage soin du corps que les autres, mais ignorent certains
corps au prétexte de mieux s’occuper d’autres. (Comme si c’était à nous de
choisir notre prochain, alors que nous devons nous débrouiller à faire en sorte
que tout homme puisse trouver en nous un prochain.) Bref, la violence est aussi
chez nous. Que l’on pense seulement à nos politiques migratoires : en
2014, à ce jour, plus de 3500 personnes sont mortes dans la Méditerranée, mer
la plus meurtrière au monde…
Thérèse qui sait qu’on n’est pas des anges, qu’on est
capable d’être des bêtes, ne sait que faire devant le mal. Tout comme nous.
Soulager un peu autour de nous, nous le pouvons. Mais que faire pour l’Irak,
pour le Nigeria, pour Madagascar, pour le Pakistan, pour les migrants à Ceuta
ou à Calais, Lampedusa ou le fond de l’abîme ?
Thérèse trouve la force de vivre – « serrant la
croix en nos bras, advienne que pourra » ‑, de ne pas se décourager à
regarder celui que nul n’a jamais vu
mais qui, parce qu’il a pris corps, s’est rendu visible à nos yeux, lui que nos mains ont touché, que nous avons entendu. Elle se tourne
vers lui, « l’Homme », parfois si faible, si souvent faible,
puisqu’avec tous ses frères qui souffrent et meurent, c’est lui qui souffre et
meurt.
Nous fêtons ce que la confidence de Thérèse exprime ‑ et cela
serait impudique si ce n’était pour ses sœurs ‑ : « C’est un
très bon ami que le Christ ». Nous fêtons ce qu’elle dit : « il
nous tient compagnie ». Le texte dit tout simplement de ce Christ souffrant
et contemplé : « et c’est compagnie ». Voilà. Dieu qui est la
compagnie des hommes. Noël.
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