Dimanche d’invitation à la joie si l’on en croit l’introït
grégorien et les deux premières lectures. Il y a un an, le Pape envoyait une
première circulaire, la Joie de
l’évangile. Nombre d’entre nous sont persuadés que la vérité de
l’expérience spirituelle se mesure à la joie. Un saint triste est un triste
saint, disait le Pape, reprenant Thérèse de Jésus ou François de Sales.
Je vous avoue que je demeure sceptique, de plus en plus.
Notre monde va mal. Ce n’est peut-être pas pire qu’hier, mais il va mal. Je ne
pense pas d’abord à l’écologie, mais à la violence contre tant et tant d’entre
nous. Et la moindre des violences n’est pas l’inégalité toujours plus grande
entre riches et pauvres. Les extrémismes vont de succès en succès. Leurs
idéologies ne font même plus sursauter l’homme honnête. Ce n’est pas jouer les
Cassandre que de redouter les prochaines échéances électorales françaises où le
populisme s’imposera comme une solution aussi évidente, désaseptisée que
dangereuse.
Notre Eglise aussi va mal. Les réformes que promeut le Pape
et pour lesquelles il a été élu sont freinées par ceux qui ne veulent pas
changer un iota à la pratique qu’ils canonisent bien rapidement. La pastorale
disent-ils ne doit pas dicter la doctrine ! Mais la miséricorde, ce n’est
pas la doctrine ! Que l’on relise la femme adultère. Il en est aujourd’hui
pour lancer non seulement la première pierre mais aussi les suivantes. Les
adversaires de l’évangile sont moins à l’extérieur de l’Eglise que parmi ceux
qui sont censés la servir. Je ne sais pas comment fait François pour ne pas vomir
chaque matin en se remettant au travail.
Bien sûr, le monde ni l’Eglise ne se réduisent à cela. Il y
a tellement de service des plus pauvres dans le monde, ce service qui ne fait pas
de bruit mais qui préserve le souci de la fraternité et de la dignité humaine,
comme on protège une flamme du vent qui pourrait l’éteindre.
Je ne l’oublie pas, je veux le voir ce bien, cet amour
chaque minute entretenu. Il n’est pas que fragile et a parfois la force qui
renverse les montagnes. Cependant, il indique encore les larmes de tant de vallées
où l’homme est massacré, où l’évangile est piétiné, par nous-mêmes, disciples
de Jésus, et par tant d’autres.
Alors, excusez-moi, mais la joie, je suis sceptique. Je le
suis d’autant plus que je pense à tel ou tel d’entre nous, qui craque, parce
que la vie est trop lourde, mais qui, chrétien, s’interdit de voir qu’il n’est
pas heureux et s’enfonce encore un peu plus dans son malheur. Nous avons parmi
nous des spécialistes d’une joie forcée dont l’illusion ne trompe qu’eux.
Alors, la joie… la joie de l’évangile.
Me revient à l’esprit le Saint François d’Assise de Messiaen.
La joie, la joie parfaite. Il y a une
mélodie au xylophone. Est-elle joyeuse ? Est-elle comme les coups de
marteaux sur les lattes de bois, le harcèlement qui crucifie ? Puis, les
mots de François qui chante la joie parfaite en une phrase musicale si simple,
si courte, soutenue par les ondes Martenot et leurs sons enveloppants,
rassurants.
La joie de l’évangile, la joie du Poverello d’Assise, c’est la joie qui fait suite à la mort.
François a tout perdu, il est mis en minorité dans l’ordre qu’il a créé. Il a
les mains vides, pire les mais vidées, dépouillées, dépossédées. C’est de la
fosse qu’il chante, ou geint la joie, la
joie parfaite. Son gémissement devient chant.
Je change leur deuil
en joie, les console après la peine. Le prophète annonce la résurrection du
fond de l’exil. Le fond du gouffre n’apa s tout dit. La joie vient après la
mort, non pas demain, dans l’autre monde, mais ici. Même le poète, un peu tard
peut-être, s’en est rendu compte : la
joie venait toujours après la peine. Seuls ceux qui auront consenti à la
mort, là, maintenant, connaîtront la joie. C’est pourquoi la joie se rencontre chez
les chrétiens d’Irak, chez les enfants, chez les martyrs. C’est ce que dit l’évangile,
Heureux, vous qui pleurez maintenant !
La joie de l’évangile, ce n’est ni le contentement de soi, le
développement de soi, une attitude contrainte, le rire des vainqueurs, de ceux
à qui tout réussit, ni la sérénité que donnerait la vérité de la foi ; ce
n’est pas même le plaisir d’être ensemble entre amis, la jubilation des corps
ou le regard posé sur l’enfant qui grandit. Que
ces paroles sont dures ! Qui pourra les entendre ? La joie de l’évangile, c’est la bonne
nouvelle de la résurrection qui détruit le mal et conduit le bien à un
dépassement aussi espéré qu’impossible. La joie de l’évangile, il faut juste
être mort pour y avoir part.
Je le redis, non être mort pour ressusciter demain dans l’autre
monde. Etre mort aujourd’hui ou hier, pour ressusciter aujourd’hui même, les
mains vides, et chanter dans ce monde avec François, le pauvre aux mains vides,
la joie, la joie parfaite.
Un brin d'échange :
RépondreSupprimerJe viens de lire l'homélie de demain sur... la joie. Je comprends bien qu'on peut se bercer d'illusion. Parce qu'il "faut" être heureux alors on fait bonne mine. Mais en même temps, on ne peut se complaire dans "Pas très heureux ? Accepter de ne pas être patraque peut est une manière de se pacifier... et donc d'approcher une certaine joie. Le tragique de la vie ne peut exclure la paix intérieure... et donc la joie ? Je crois que je suis en train de perdre beaucoup de mes idéaux... au profit d'une forme de providentialisme et de confiance en demain et en Dieu. L'hiver permet le printemps.
Tu as raison, c’est une histoire de résurrection. La joie de l’évangile est celle qui a traversé la mort et qui emporte avec elle, comme le Christ remontant des enfers, l’humanité enfin rendue à sa stature promise et désirée. C’est l’expérience de François, c’est l’hiver avant l’été, les cendres avant le feu pascal. T’as qu’à voir, si la flamme jaillit des cendres, le feu sans fin brûlera.
Bon dimanche !