29/10/2021

Heureux ceux qui pleurent (Toussaint)

Comment entendre l’évangile de ce jour (Mt 5, 1-12) ? Quel scandale à dire heureux ceux qui pleurent et les persécutés pour la justice, rassasiés ceux qui ont faim et soif de la justice à en mourir. A Calais, ces jours, trois personnes dont un jésuite, font la grève de la faim pour que justice soit faite aux migrants. Ils ont faim et soif de la justice et pourraient y laisser leur vie, du moins leur santé.

Il y a en ce moment, de par le monde, tant de personnes inconsolables, de la perte de ceux qu’ils ont aimés, de la violence dont ils sont les victimes. Et personne pour les consoler.

Pour entendre la page qui ouvre le ministère public de Jésus dans l’évangile de Matthieu, il convient de ne pas en effacer le caractère de scandale, ce qui fait trébucher. A ne pas voir l’obstacle, nous pourrions passer à côté de ce qui est annoncé, proclamé. La mise en scène impose l’attention tant on insiste : « Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. »

Il y a d’abord, que le paradoxe commande, la prise en considération de la situation, pleurs, injustices, persécutions. Les victimes de violences sexuelles, violences qui souvent ne laissent que peu de traces, voire aucune, surtout des années après, savent combien la reconnaissance de leur situation, du mal qui leur a été fait, est nécessaire et bénéfique.

Ecouter ceux qui pleurent, ne pas se voiler la face devant ceux qui à force d’injustice n’ont plus figure humaine, ceux dont la vue est insoutenable, est sans doute le premier gain des béatitudes sur le mal, le commencement d’une consolation, de la satiété, de la justice.

Jésus s’adresse peut-être aux foules, et de façon obvie aux disciples qui s’approchent. Parmi eux, il y a sans doute des gens qui pleurent, des affamés de justice, des persécutés pour la justice. Parmi eux, il y a aussi, bien sûr, de nombreuses personnes invitées par le scandale du propos à ouvrir les yeux sur ceux qui pleurent, sur les affamés de justice. Permettre aux uns et aux autres de se rencontrer, de se reconnaître est aussi la force des béatitudes.

Dire l’injustice et le deuil, dire les inégalités et ce qui fait souffrir à en pleurer, c’est dénoncer le mal. Non, cela n’est pas admissible. Nous n’avons pas encore parlé de résurrection. Mais le refus de taire le mal, le refus de couvrir le crime a déjà relevé, remis debout des hommes et des femmes. Dans l’horreur de leur situation, nous les regardons avec le cœur, ils peuvent relever le visage sans peur d’être humiliés pour toujours, quand bien même le contexte ne changerait pas, quand bien même ils mourraient de la persécution dans les minutes qui suivent. Suite de la consolation et de l’apaisement de la soif de justice.

Organiser un monde, une société où se croisent ceux qui pleurent et tous les autres, ceux qui meurent d’injustice et tous les autres, c’est déjà changer le monde et les cœurs, c’est déjà la consolation et l’inscription dans le ciel de noms que rien dès lors ne pourrait effacer. C’est à ce service qu’avec tous les hommes et femmes de bonne volonté nous sommes attelés, ou devrions l’être, nous disciples de Jésus qui nous approchons de lui.

Faut-il imaginer une revanche ailleurs et autrement ? La consolation ne serait-elle que de ne pas mourir anonyme, ignoré ? Inventer un arrière-monde, non seulement est une stratégie qui encourage à ne rien changer ici et maintenant, mais cela pourrait nous détourner de la vie que Jésus annonce, donne, est lui-même.

Les disciples de Jésus ont été relevés après sa mort, ont reçu de sa mort une source de vie. Si ce qui leur a été donné de vivre avec et pour les autres, et leur est encore donné, n’est pas le fruit de leur imagination, ce qui leur est donné de vivre pourrait bien avoir la force de renverser même la mort, la force de nous ouvrir encore à la vie. Ce qui nous donne de vivre ne cesse d’unir ceux qui pleurent et sont persécutés aux doux, aux artisans de paix, aux cœurs purs et aux miséricordieux. Quel monde ! Ce qui déjà se vit de bonté devient l’indice, non d’un paradis perdu ni d’une revanche, mais d’une promesse de vie en grand.

Rien plus que les pleurs et les persécutions pour la justice ne dit mieux, par le scandale du paradoxe, la puissance de vie. Si même les endeuillés et les victimes d’injustice sont vivants et consolés, qu’est donc la vie !

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